Alienated

Que se produit-il quand trois adolescents découvrent un alien bleu capable de leur donner une puissance sans limite ? Simon Spurrier et Chris Wildgoose vont nous le dire dans Alienated, une œuvre aussi imprévisible que subversive, publiée chez Hi comics.

 PROMENONS-NOUS DANS LES BOIS…

Tous les trois sont des adolescents comme il en existe des milliers, des millions peut-être.

Ils s’appellent Samuel, Samantha et Samir… Sam, en un mot et trois lettres.

À cet âge, tout le monde a une étiquette.

L’un est « le nouveau », mais en secret, il rêve d’acquérir la gloire sur les réseaux sociaux.

L’autre est « l’asociale », mais pour une raison qu’elle n’avouera à personne, elle souhaite juste tenir les six derniers mois avant la fac.

Le dernier est « issu d’une minorité » et cherche démesurément à être apprécié pour ne pas avoir à révéler une identité sexuelle qu’il ne parvient pas à assumer.

Une fois qu’ils ont une étiquette, tout est simple puisqu’ils peuvent se fondre dans la masse sans faire de vague…

Mais voilà, quand on est adolescent, il n’est pas certain que ce soit ce qu’on veut « se fondre dans la masse sans faire de vague ».

Et c’est là que tout se complique, car dans la vie, il n’y a pas de baguette magique pour faire en sorte qu’on nous remarque et même mieux : qu’on nous apprécie pour ce qu’on est vraiment…

Or un jour, par un détour dans les bois, les trois jeunes découvrent un mystérieux cocon bleu. De ce cocon, éclot un étonnant petit alien volant, capable de leur donner un pouvoir infini.

Alors, ils se disent que leur vie va enfin changer.

VARIATIONS SUR UN THÈME DE SCIENCE-FICTION.

Dans les premières pages de l’œuvre, on peut croire qu’on tient entre les mains une variation aussi simple que légère sur le thème de l’extraterrestre venu sur Terre.

En effet, si on excepte Leon, un abruti raciste, violent et homophobe, l’ambiance est plutôt sereine au lycée de Tangletree et les trois personnages principaux semblent n’être préoccupés que par des problèmes de leur âge.

Rien d’extraordinaire à proprement parler…

Mais voilà, quand on est adolescent, rien n’est ordinaire, on a l’impression qu’on devient quelqu’un d’autre, qu’on est aliéné, « alienated »…

Or c’est précisément sur ce point que le très talentueux scénariste Simon Spurrier (Coda) entend démarrer sa réflexion.

Et petit à petit, la légèreté de façade va laisser place à une ambiance tortueuse voire torturée, à l’image de la violence des modifications psychiques provoquées par l’adolescence.

JUSQU’ICI TOUT VA BIEN, JUSQU’ICI TOUT VA BIEN…

Bien entendu la seule découverte d’une entité extraterrestre d’un beau bleu phosphorescent a de quoi tout bouleverser. Surtout lorsque l’alien en question donne des super-pouvoirs à ceux qui l’ont découvert.

Mais le premier à se révéler est particulièrement significatif : c’est celui de partager l’esprit de ceux qui ont découvert l’alien.

Bien vite, ce qui aurait pu être perçu comme une bénédiction prend alors les traits d’un véritable calvaire. Le fait est qu’à un âge où l’intimité prévaut sur tous les droits, la cohabitation spirituelle a de quoi déranger.

« une paire de parfaits étrangers ont ouvert un groupe WhatsApp dans ma tête »

L’ADOLESCENCE : ALIENATED, ALIEN HATED.

À ce moment de l’histoire, l’ambiance reste bon enfant.

Mais plus pour longtemps, car quand Leon suit les trois Sam dans les bois et les menace avec son couteau, l’alien intervient et l’irréparable se produit…

Ce n’est alors que le point de départ d’une série d’événements qui vont entrainer les protagonistes dans un tourbillon infernal dont ils sont eux-mêmes les initiateurs.

Cette parabole des troubles qui hantent l’adolescence est présentée de main de maître par Simon Spurrier. Tout est distillé avec mesure pour que la tension narrative suive l’escalade psychologique.

Tragiquement, à chaque marche gravie, la situation semble être sous contrôle pour les jeunes héros. Et c’est là que réside le caractère fatal de l’œuvre, car malheureusement, chaque marche permet facilement d’accéder à une suivante, et une suivante…

Et quand les trois Sam se retourneront enfin, il sera trop tard : l’horreur et la violence auront définitivement effacé l’insouciance et la légèreté d’une enfance à jamais perdue.

REPRÉSENTER L’ADOLESCENCE.

Qu’on ne s’y trompe pas : malgré l’impression initiale, Alienated est une œuvre dure et subversive.

Mais en réalité, si elle inquiète autant, c’est précisément parce qu’elle montre que sous un joli verni, se cache parfois une souffrance tellement violente qu’elle en devient indicible.

Les dessins de Chris Wildgoose, en association avec la colorisation d’André May, en sont d’ailleurs la parfaite illustration.

Le trait fin et précis donne à voir des personnages harmonieux et souriants dans des décors qui le sont tout autant. Les couleurs, vives et acidulées, donnent réellement envie d’en savoir toujours plus.

Mais bien vite, le dynamisme des planches entraine les héros et le lecteur dans une spirale aussi psychédélique que destructrice, aussi envoûtante que dérangeante.

A l’adolescence, rien n’est simple ; Simon Spurrier, Chris Wildgoose et André May ne l’ont pas oublié et ils nous les rappellent de manière magistrale dans Alienated, initialement publié par BOOM! Studios et disponible en France chez Hi Comics.

Article posté le vendredi 26 février 2021 par Victor Benelbaz

Alienated de Simon Spurrier et Chris Wildgoose (Hi Comics)
  • Alienated
  • Auteur : Simon Spurrier
  • Dessinateur : Chris Wildgoose
  • Coloriste : André May
  • Editeur : Hi comics
  • Prix : 17,90 €
  • Parution : 20 janvier 2021
  • ISBN : 9782378872328

Résumé de l’éditeur :  Que faire du pouvoir de changer le monde si nous ne sommes pas prêts à l’utiliser ?

Samuel, Samantha et Samir, tous trois un peu à la marge, chacun à sa façon, voient leur destin basculer quand ils découvrent une entité extraterrestre s’éveillant à la vie. Liés par le secret et connectés par les pouvoirs incroyables de cette créature, plus rien ne leur semble hors de portée pour la première fois.
Mais ils ne tardent pas à comprendre que leur nouveau compagnon – si attachant au premier abord – est un futur prédateur en quête de proies…
D’abord guidés par les meilleures intentions, les trois adolescents plongent rapidement dans une spirale toxique de jalousies, de vengeances et d’erreurs funestes.

Simon Spurrier (John Constantine HellblazerCoda) et Chris Wildgoose (BatgirlBatman: Nightwalker) livrent un récit initiatique délicat et subversif d’une justesse remarquable. 

À propos de l'auteur de cet article

Victor Benelbaz

Tombé dans la marmite de la bande dessinée depuis tout petit, Victor est un vrai amateur éclairé. Comics ou récits jeunesse sont les deux genres préférés de ce professeur de français.

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