Sur le dos de la Carne, sa fidèle pentacorne, Hum le barde parcourt le monde à la recherche d’un moyen de délivrer Serka, sa dulcinée. Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il n’est pas au bout de ses peines, et nous, de nos surprises. En un mot, voici Coda, une œuvre magistrale de Simon Spurrier et Matias Bergara, éditée chez Glénat Comics.
UN UNIVERS DÉSENCHANTÉ.
L’ancien monde était beau, les ylfes aux oreilles pointues y vivaient nombreux, les dragons majestueux volaient dans un ciel sans nuage et les chevaliers poursuivaient des quêtes honorables.
Mais depuis l’extinction, depuis que la magie s’est tarie, le monde est devenu violent et amoral.
Les pillards sont légion, les scorpions mutants pullulent et les dragons ne sont plus que des amas d’os suppliant qu’on leur gratte la carcasse. Les seigneurs noirs ont détruit tout ce qui était beau. Et désormais la traitrise, le meurtre et l’égoïsme guident les hommes. Sans foi ni loi, ils sont prêts à tout pour obtenir de l’ichor, ce distillat vert, ultime source de magie. Pour ne serait-ce qu’on goutte d’ichor, on tue sans hésitation.
Pourtant, dans ce vaste monde désabusé, un barde du nom de Hum s’est donné une quête vertueuse : retrouver sa chère Serka…
Parviendra-t-il à dépasser les nombreux obstacles qui vont se dresser sur son chemin ? Sera-t-il en mesure de réaliser les sacrifices nécessaires pour accomplir la mission qu’il s’est fixée ? Rien n’est moins sûr… Et pourtant, nous le suivrons et même l’accompagnerons da Capo al Coda.
Tout en reprenant les attendus d’un univers d’heroic fantasy, les auteurs apportent des éléments originaux qui constituent au fur et à mesure une histoire inoubliable avec une ambiance rare dans ce genre de récits.
UNE ÉPOPÉE HÉROÏCO-APOCALYPTIQUE.
Quand on découvre Coda, on s’immerge dans l’univers créé par deux auteurs de talent.
Et à ce titre, il convient tout d’abord de saluer le travail remarquable d’un dessinateur uruguayen : Matias Bergara. Par son trait fin et précis, il construit ses planches avec un dynamisme saisissant. En multipliant les détails à l’envie, il crée de véritables fresques parfaitement lisibles, toutes plus originales les unes que les autres. Sous son crayon, pentacorne, géant, dragons, sirène et autre cocatrix prennent vie. Mais ce n’est pas tout, car la diversité impressionnante des plans et des angles de vue accompagne à la perfection la narration et nous entraine littéralement dans une aventure qui met en valeur un héros malgré lui.
Ainsi, Coda s’admire, mais avant tout Coda se lit.
L’ODYSSÉE DE HUM.
Saluons à ce titre le choix éditorial de l’omnibus qui permet de suivre à loisir le rythme d’une narration parfaitement maîtrisée.
Et c’est un point fort de l’œuvre : Simon Spurrier est un scénariste aguerri, les nombreux rebondissements auxquels nous assisterons nous le font vite comprendre. Il sait construire son récit pour ménager des tensions insoutenables qui alternent parfaitement avec des moments calmes, presque mélancoliques. Tel un chef d’orchestre, il fait varier les registres, les rythmes et les tonalités pour nous entrainer dans une symphonie fantastique.
Mais derrière l’écriture d’une aventure, bien vite, on se rend compte qu’il y a l’aventure d’une écriture.
La quête de Hum semble simple, mais en réalité, elle le mènera, et nous à ses côtés, bien plus loin que ce à quoi il aurait pu s’attendre.
ÉCRIRE POUR EXISTER.
« Les Urken l’ont enlevée. J’écris ce que je ne peux pas lui dire. »
Par ces simples mots qu’il fait prononcer au barde, Simon Spurrier met en place un concept remarquable et donne à son œuvre une dimension poétique inattendue.
Le fait est qu’en même temps qu’il vit son aventure, Hum la raconte. Et cette savante mise en abyme donne rapidement à l’œuvre un caractère unique et une profondeur insoupçonnée.
En lisant Coda, on constate que l’écriture est protéiforme : tantôt narrative, tantôt introspective, elle peut servir de témoignage, de défouloir comique ou de journal intime à la vertu cathartique.
Dans un monde qui a perdu toute valeur, le véritable pouvoir, c’est celui des mots. Et quand on sait jongler avec eux, on sait mentir vrai pour triompher…
Ainsi, Hum est un personnage nuancé, rugueux et imparfait. Il fait des erreurs et bon nombre de ses actions sont critiquables. Mais il serait bien malvenu de lui jeter la pierre, car en fait, il nous ressemble.
Souvent drôle, parfois grinçante et finalement touchante, Coda est une œuvre d’une qualité rare. Simon Spurrier et Matias Bergara nous entrainent, aux côtés de Hum, la Carne et Serka dans une aventure aussi magique que désenchantée. La critique ne s’y est d’ailleurs pas trompée car Coda figure dans la très prestigieuse sélection officielle du Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême 2021 ainsi que dans sa sélection des lycéens.
- Coda Omnibus
- Scénariste : Simon Spurrier
- Dessinateur : Matias Bergara
- Éditeur : Glénat
- Prix : 29,95 €
- Parution : 28 octobre 2020
- ISBN : 9782344039564
Résumé de l’éditeur : Un barde rusé, une turbulente licorne et un destin exceptionnel. Oyez, oyez, le seigneur Noir a gagné ! La magie a été quasiment éradiquée de ce monde fantastique autrefois magnifique et majestueux. Dans cette contrée désolée, un mystérieux barde du nom de Hum, un homme de peu de parole qui marmonne plus facilement son prénom qu’il ne répond aux questions d’autrui, est en quête d’un remède pour sauver l’âme de sa bien-aimée, accompagné dans son périple par une licorne mutante au tempérament aussi fougueux qu’imprévisible. Si le barde doit sa survie à son bon esprit, il est bien en peine de prévoir les réactions de sa monture et encore moins de l’issue du combat qui l’attend. Emporté malgré lui dans la tourmente, Hum devra choisir au mieux ses alliés pour faire triompher le bien et remettre de l’ordre dans cet étrange monde en déliquescence.
À propos de l'auteur de cet article
Victor Benelbaz
Tombé dans la marmite de la bande dessinée depuis tout petit, Victor est un vrai amateur éclairé. Comics ou récits jeunesse sont les deux genres préférés de ce professeur de français.
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