Cartier-Bresson, Allemagne 1945

Après le passionnant Robert Capa, Omaha Beach 6 juin 1944 (Dominique Bertail), les éditions Dupuis poursuivent leur partenariat avec l’Agence Magnum par la publication de Cartier-Bresson, Allemagne 1945, toujours sur un scénario de Jean-David Morvan mais cette fois une mise en image de Sylvain Savoia autour du travail de Henri Cartier-Bresson pendant la Seconde Guerre Mondiale.

CARTIER-BRESSON : DE LA PEINTURE A LA PHOTOGRAPHIE

Né en 1908 dans une famille prospère de Seine-et-Marne, Henri Cartier-Bresson est l’aîné d’une fratrie de 5 enfants. Tout petit, il s’intéresse au dessin et à la photographie (ses parents lui offrent même son premier appareil Brownie Kodak). C’est décidé, il veut vivre de la peinture et d’Art malgré les recommandations de son père.

En 1927-1928, il suit les cours de André Lhote dans le Quartier du Montparnasse à Paris et découvre le Nombre d’Or qui permet d’analyser les toiles de maîtres en superposant des figures géométriques.

Il rencontre ensuite André Breton, Max Ernst, Crosby et les Surréalistes pendant son service militaire. Il découvre la photographie auprès du célèbre couple Gretchen et Peter Powell, puis part pour l’Afrique en 1930. Là, il prend ses premiers clichés en Côte d’Ivoire grâce à un Krauss qu’il achète d’occasion. Vient ensuite la publication de son reportage l’année suivante et enfin l’achat de son Leica à Marseille en 1932. Il débute alors ses voyages où il photographie beaucoup (l’Italie, l’Espagne, le Mexique et le Maroc).

DE L’ENGAGEMENT POLITIQUE A LA SECONDE GUERRE MONDIALE

Au début des années 30, il s’oriente dans l’action politique et plus particulièrement le Communisme. Au Mexique, il fréquente des personnalités proches du parti national révolutionnaire au pouvoir et à New-York, il milite dans le Nykino (cinéastes inspirés des conceptions soviétiques). A cette époque, tous ses amis sont communistes : Robert Capa, Chim, Georges Sadoul ou Louis Aragon.

En 1937, il épouse Eli, danseuse traditionnelle javanaise, connue sous son nom de scène Ratna Mohini. Ensemble, ils soutiennent l’indépendance de l’Indonésie.

Il travaille ensuite pour Ce soir, quotidien communiste dirigé par Aragon à partir de 1937 et commence dans le même temps ses travaux dans le 7e art, auprès de Renoir pour les longs métrages La vie est à nous, Partie de campagne et La règle du jeu.

Pendant la Seconde Guerre Mondiale, il est mobilisé, emprisonné en 1943 – ses conditions de détention sont plutôt bonne parce qu’il fait partie du Service film et photographie de l’armée – s’évade plusieurs fois et rejoint un réseau de résistance à Lyon. Puis il photographie les combats lors de la Libération de Paris, le village d’Oradour-sur-Glane anéantit par les SS guidé par Clément Broussaudier – l’un des rares survivants – ainsi que le camp de Dessau en Allemagne d’où il tirera un film Le retour – découverte des camps par les alliés et le chemin du retour des prisonniers – qui sortira en salles à la fin de l’année 1945.

LA CRÉATION DE MAGNUM

Après une rétrospective de son œuvre au MoMa de New-York en 1947, il fonde Magnum avec ses deux amis Robert Capa et Chim. Cette agence est autogérée en coopérative où les photographes possèdent tous des parts, toutes les décisions sont prises en commun et les profits équitablement redistribués. Capa lui conseille alors de laisser de côté la photographie réaliste pour se consacrer au photo-journalisme et au reportage.

NOUVELLES TECHNIQUES DE PHOTOGRAPHIE

Comme le montre l’album scénarisé par Jean-David Morvan, Henri Cartier-Bresson fut l’un des pionniers du reportage photographique, témoin important de ses années de bouleversements historiques. Grâce aux nouvelles techniques qu’il met en lumière, le co-fondateur de Magnum magnifie les anonymes qu’il photographie en contrechamp des grands moments historiques. D’Oradour à Dessau, en passant par la Libération de la capitale, il est là, immortalise l’Histoire grâce à son fidèle compagnon le Leica, petit appareil réactif, avec des pellicules et très maniable.

Jamais recadrés lors des tirages dans les studios, ses clichés bénéficient de sa précision au couperet et de sa belle mise en scène dans leur composition (aplats puis profondeur de champ qu’il apprend aux côtés de Renoir).

CARTIER-BRESSON : L’ŒIL DU SIÈCLE

Henri Cartier-Bresson a un talent indéniable pour le photo-journalisme. Il sera d’ailleurs surnommé L’œil du siècle par le romancier Pierre Assouline. A travers les 90 pages de l’album, le lecteur découvre un homme libre, penseur, touche-à-tout, passionné d’art et profondément humaniste.

Morvan reprend d’ailleurs dans un dialogue, une de ces citations : « La photographie est pour moi l’impulsion spontanée d’une attention visuelle perpétuelle, qui saisit l’instant et son éternité. Le dessin, lui, par sa graphologie, élabore ce que notre conscience a saisi à cet instant. La photo est une action immédiate, le dessin, une méditation. »

Alors que le précédent ouvrage de la collection Robert Capa, Omaha Beach, 6 juin 1944 mettait en scène la fabuleuse histoire des Magnificient Eleven (les 11 clichés rescapés du Débarquement en Normandie pris par le photographe) – ce qui le rendait très vivant, Cartier-Bresson, Allemagne 1945 ne s’attarde pas que sur un seul cliché mais sur un pan de la vie de l’auteur, d’où un album plus classique. Son travail historique majeur lui fait d’ailleurs dire : « […] Disons que je veux témoigner… Pour montrer que la liberté a un prix et que ça vaut le coup de se battre pour elle. Même armé d’un simple Leica ».

UN GRAPHISME LEGER

La partie graphique en noir et blanc proposée par Sylvain Savoia est sobre et précise. Son trait léger et aérien tranche avec la toile de fond sombre du récit. L’auteur des Esclaves oubliés de Tromelin (Dupuis) n’utilise pas la couleur pour se rapprocher le plus possible du travail de Cartier-Bresson.

En plus de la partie dessinée, l’album bénéficie d’un long dossier intitulé Henri Cartier-Bresson La liberté, le mouvement et l’instant composé d’un portfolio d’une dizaine de photographies sur double-page et d’une biographie signée Thomas Todd, chercheur et cinéaste de documentaires allemand.

Article posté le mardi 05 juillet 2016 par Damien Canteau

Cartier-Bresson Allemagne 1945 est un bel album sur la vie du photographe signé Morvan et Savoia aux éditions Dupuis, décrypté par Comixtrip le site BD de référence
  • Cartier-Bresson, Allemagne 1945
  • Scénariste : Jean-David Morvan
  • Dessinateur : Sylvain Savoia
  • Éditeur : Dupuis – Aire Libre & Magnum Photos
  • Prix : 19€
  • Parution : 17 juin 2016

Résumé de l’éditeur : 1945. Les Alliés marchent sur les camps et le monde découvre l’horreur nazie. À Dessau, en Allemagne, une rescapée reconnaît sa délatrice et la gifle. Henri Cartier-Bresson, alors sur place, capture ce geste dans une image qui deviendra emblématique. Avant d’accompagner les Américains dans la Libération, puis, plus tard, de cofonder l’agence Magnum, Henri Cartier-Bresson était déjà un photoreporter majeur du XXe siècle. Fait prisonnier en 1940, il parviendra à s’échapper en 1943 et reviendra témoigner en images avec une précision du geste, une science du moment, un talent du cadrage qui feront de lui, selon les mots de Pierre Assouline, « L’oeil du siècle ». Tout à la fois roman graphique et biographie, Henri Cartier-Bresson, Allemagne 1945 raconte « l’homme libre », profondément humaniste, qu’était Cartier-Bresson. L’ouvrage est accompagné d’un portfolio et d’un dossier documentaire rédigé par Thomas Todd, spécialiste de l’oeuvre du photographe, sous l’égide de la fondation Cartier-Bresson.

À propos de l'auteur de cet article

Damien Canteau

Damien Canteau est passionné par la bande dessinée depuis une vingtaine d’années. Après avoir organisé des festivals, fondé des fanzines, écrit de nombreux articles, il est toujours à la recherche de petites merveilles qu’il prend plaisir à vous faire découvrir. Il est aussi membre de l'ACBD (Association des Critiques et journalistes de Bande Dessinée). Il est le rédacteur en chef du site Comixtrip.

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