Les esclaves oubliés de Tromelin

Sylvain Savoia, auteur de Marzi (avec Marzena Sowa, Dupuis) et de Al’Togo (avec Jean-David Morvan, Dargaud) est invité par l’archéologue Max Guérout à le rejoindre lors d’une expédition sur l’Ile de Tromelin et ainsi découvrir les vestiges d’un village d’esclaves sur cette petite parcelle de l’Océan Indien après le naufrage de leur navire en 1761. Publié par Dupuis, Les esclaves oubliés de Tromelin raconte cette aventure humaine sur la base scientifique ainsi qu’en parallèle l’histoire de ces êtres humains du 18e siècle, laissés à l’abandon sur cette minuscule Ile des Sables.

UNE BELLE ALTERNANCE DE RÉCITS

La force du récit de Sylvain Savoia réside dans son alternance entre carnet de bord archéologique et le récit fictionnel des esclaves. Le découpage très maîtrisé, permet au lecteur de ne pas être perdu. Empli d’un grand humanisme et d’une grande pudeur, il livre un album d’une grande force émotionnelle. Il faut dire que ce morceau d’histoire est oublié de manuels scolaires et de cours à l’université : L’Utile, un navire négrier appartenant à la Compagnie des Indes Orientales, donc à la royauté, est mise à l’eau malgré les réticences météorologiques. Dans les cales du bateau, 160 esclaves noirs entassés de force, dans des conditions inhumaines. A la tête de l’équipage, Jean Lafarge ne s’embarrasse pas des directives. Contrairement au trajet habituel, son navire passe près de l’Ile des Sables et le 31 juillet s’échoue sur le récif de coraux qui entoure le petit morceau de terre. La moitié des hommes et des femmes meurt et les rescapés doivent alors construire un village éphémère. Pourtant le temps passe, les français, toujours aussi hautains, décident de construire un autre navire. Ils embarquent alors sans les esclaves, malgré la promesse qui leur a été faite et pendant 15 ans plus aucune nouvelle. Les survivants construisent alors un vrai village.

UN CARNET DE BORD SUR LES FOUILLES

En 2008, Sylvain Savoia intègre donc cette expédition archéologique par l’invitation de Max Guérout. Il aura donc fallu 7 ans pour que l’auteur achève cet album de 120 pages. Il faut dire qu’entre-temps, il a publié Marzi ou Al’Togo, et qu’il lui a fallu digérer au mieux cette aventure et le récit des esclaves. Il est donc chargé par l’archéologue de mettre en dessin cette drôle d’expédition. Le lecteur découvre en plus de l’histoire de l’Utile, le carnet de bord de l’auteur : le trajet en avion, l’équipe variée, la découverte de l’île, la petite base scientifique, la chaleur, les fouilles, les ruines, les bernard-l’ermite, les coraux, le lagon, les tortues mais aussi tous les détritus charriés par la mer.

DEUX UNIVERS, DEUX TECHNIQUES GRAPHIQUES

D’ailleurs graphiquement, l’auteur utilise deux techniques, deux univers différents pour ses deux parties : une plus libre mais avec de nombreux détails, ultra-réaliste, très écrite avec beaucoup de récitatifs pour son carnet de bord et une autre plus léchée, qui met en lumière ces individus sans nom pour la partie fictionnelle. Les corps nus, d’une grande maigreur mais aussi les morts, sont admirablement mis en image par Savoia.

Article posté le vendredi 24 avril 2015 par Damien Canteau

  • Les esclaves oubliés de Tromelin
  • Auteur : Sylvain Savoia
  • Editeur : Dupuis, collection Aire Libre
  • Prix : 20.50€
  • Sortie : 24 avril 2015

Résumé de l’éditeur : L’île des Sables, un îlot perdu au milieu de l’océan Indien dont la terre la plus proche est à 500 kilomètres de là… À la fin du XVIIIe siècle, un navire y fait naufrage avec à son bord une « cargaison » d’esclaves malgaches. Les survivants construisent alors une embarcation de fortune. Seul l’équipage blanc peut y trouver place, abandonnant derrière lui une soixantaine d’esclaves.

Les rescapés vont survivre sur ce bout de caillou traversé par les tempêtes. Ce n’est que le 29 novembre 1776, quinze ans après le naufrage, que le chevalier de Tromelin récupérera les huit esclaves survivants : sept femmes et un enfant de huit mois. Une fois connu en métropole, ce « fait divers » sera dénoncé par Condorcet et les abolitionnistes, à l’orée de la Révolution française.

Max Guérout, ancien officier de marine, créateur du Groupe de recherche en archéologie navale (GRAN), a monté plusieurs expéditions sous le patronage de l’UNESCO pour retrouver les traces du séjour des naufragés. Ses découvertes démontrent une fois de plus la capacité humaine à s’adapter et à survivre, en dépit de tout.

À propos de l'auteur de cet article

Damien Canteau

Damien Canteau est passionné par la bande dessinée depuis une vingtaine d’années. Après avoir organisé des festivals, fondé des fanzines, écrit de nombreux articles, il est toujours à la recherche de petites merveilles qu’il prend plaisir à vous faire découvrir. Il est aussi membre de l'ACBD (Association des Critiques et journalistes de Bande Dessinée). Il est le rédacteur en chef du site Comixtrip.

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