Ceux qui me restent

Florent, septuagénaire, perd la mémoire. Il ne se souvient que de rares moments de bonheur qu’il a pu partager avec sa femme et Lilie, sa petite fille, qu’il n’a pas revu depuis de nombreuses années. Dans Ceux qui me restent, Damien Marie et Laurent Bonneau nous plonge dans la vertigineuse abîme de la mémoire et de la maladie d’Alzheimer. Bouleversant, formidable !

Paris, mai 1968. Florent Vastel tombe éperdument amoureux de Jenny, une belle jeune femme anglaise. Il décide alors de quitter la France pour la rejoindre. Mais la vie n’est pas toujours tendre pour les amoureux et la jeune femme meurt à 39 ans, laissant l’homme avec sa petite fille, Lilie.

Vertigineuse abîme de la mémoire

Après les funérailles, Florent et Lilie, âgée de 5 ans, quittent l’Angleterre pour rentrer sur le continent, à Cherbourg. Se posant de nombreuses questions sur les futures difficultés d’élever une petite fille seule, qui lui rappelle à chaque instant Jenny.

Mais lors de la traversée, il la perd de vue alors qu’il lui avait laisser de l’argent pour qu’elle aille acheter, toute seule, un coca. A peine le temps de fumer une cigarette qu’il se rend compte qu’elle a disparu. Commence alors une incroyable poursuite pour la retrouver et pour retrouver sa mémoire qui le fuit…

L’une des plus belles réalisations de cette rentrée littéraire

Ceux qui me restent est l’une des plus belles réalisations de cette rentrée littéraire. Bouleversant et touchant en plein cœur, le récit de Damien Marie est d’une grande sensibilité, marchant sur le fil ténu de la vie. Il nous plonge dans les méandres de la mémoire et de la maladie d’Alzheimer : que peut ressentir un homme dont le passé le fuit et qui sent la fin si proche ? Que peut ressentir les gens qui l’entourent ? Pourtant le début de l’histoire d’amour entre Florent et Jenny ressemblait à un conte de fées, qui se brouillera rapidement et ne laissant que peu de temps de bonheur à ses protagonistes. L’homme, entre la tragédie et l’émotion, ressemble pourtant à beaucoup de parents seuls : perdu, ayant la pression et s’éloignant petit à petit de son enfant. Lilie, belle jeune femme, travaillant dans une agence de voyages, qui doit prendre soin du seul membre de sa famille, entre empathie, amour, dégoût et rejet. Les dialogues sont justes de réalisme, parfois cruels et durs. Le lecteur se prend cette histoire en pleine figure et c’est extrêmement bien écrit. Le scénariste nous montre même l’infantilisation des patients et le travail délicat des soignants de ces établissements spécialisés. « L’histoire que nous rendons aujourd’hui traite des sujets plus vastes : le regret, le séparation et l’impossibilité de faire marche arrière » ajoutera même l’auteur de Parce que le paradis n’existe pas. Le découpage et la narration naviguent entre le présent (l’hôpital) et le passé (Jenny, Lilie petite), entre les souvenirs et l’effacement, entre joie et tristesse.

« Des ressentis plutôt que des événements »

Le trait original de Laurent Bonneau est lui aussi d’une grande force. « L’utilisation de la couleur crée des atmosphères, des repères chronologiques […] », souligne le dessinateur. Les grands aplats de couleurs à l’ordinateur se mêlent aux frottements du fusain qui rappellent le flou et l’absence de mémoire, mais aussi les scènes de pluie. Un beau mélange de traits marqués et appuyés mais aussi de traits vifs et jetés. L’auteur de Metropolitan (Dargaud) expliquera aussi que : « Nos intentions étaient de faire passer des ressentis plutôt que des événements, en se laissant chacun beaucoup de liberté… Une telle volonté induisait un graphisme lâché et parfois inachevé, jouant sur les flous du fusain et la gomme ».

Ceux qui me restent : un très bel ouvrage sur une thématique contemporaine et universelle suscitant de nombreuse émotions. La mémoire qui joue des tours et qui s’efface comme le titre sur l’album. A lire absolument !

Article posté le vendredi 29 août 2014 par Damien Canteau

Ceux qui me restent
  • Ceux qui me restent
  • Scénariste : Damien Marie
  • Dessinateur :  Laurent Bonneau
  • Editeur: Grand Angle – Bamboo
  • Prix: 21.90€
  • Sortie: 27 août 2014

Résumé de l’éditeur : Florent a perdu sa femme beaucoup trop jeune. Il a tenté d’élever seul sa trop petite Lilie, maladroitement ou certainement pas assez. Et Florent et sa fille se sont perdus à leur tour. Elle l’a laissé encore plus seul pendant 20 ans. Aujourd’hui, à 70 ans, il n’a qu’un souhait, il veut la retrouver avant de mourir ; sa Lilie qui vient maintenant le voir presque tous les jours, mais qu’il ne reconnaît plus. La maladie lui vole la mémoire pour le laisser toujours plus seul. Alors il cherche sans relâche, en vrac, dans les bribes de trop vieux souvenirs… Florent n’abandonnera plus ; un voyage en Alzheimer.

À propos de l'auteur de cet article

Damien Canteau

Damien Canteau est passionné par la bande dessinée depuis une vingtaine d’années. Après avoir organisé des festivals, fondé des fanzines, écrit de nombreux articles, il est toujours à la recherche de petites merveilles qu’il prend plaisir à vous faire découvrir. Il est aussi membre de l'ACBD (Association des Critiques et journalistes de Bande Dessinée). Il est le rédacteur en chef du site Comixtrip.

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