Pourtant complétement discrète sur sa vie privée, Momoko Sakura réalise une œuvre personnelle au succès immense. C’est en 2024 que Chibi Maruko-chan débarque par chez nous en France. Un évènement à ne pas manquer.
Momoko Sakura
C’est en 1966 dans la préfecture de Shizuoka que naît Momoko Sakura, de son vrai prénom Miura Miki. À cette époque, le Japon se situe toujours dans l’ère Shôwa, période de 1926 à 1989, où l’empereur Shôwa Hirohito règne sur le pays. Elle grandit avec l’idée de devenir, un jour, mangaka. C’est au lycée qu’elle commencera réellement à dessiner. En deuxième année, elle proposera une de ses créations pour le Newcomer’s Award du magazine Ribon, mais ne sera pas retenue. Complètement découragée, elle envisagera d’abandonner son rêve de faire du manga.
C’est pendant le reste de ses études, dans un exercice d’écriture, qu’elle reprendra confiance en elle. En effet, elle sera comparée à une « Sei Shōnagon des temps modernes ». Sei Shōnagon est une femme de lettres du IXe siècle, autrice des Notes de chevet, chef d’œuvre de la littérature japonaise. Ainsi, elle écrira davantage et donnera une nouvelle chance au manga en reprenant le dessin. Après l’obtention de son diplôme universitaire et deux mois de travail en bureau, elle lancera sa carrière de mangaka. C’est en 2018, à l’âge de 53 ans, qu’elle disparaitra des suites d’un cancer du sein.
Chibi Maruko-chan : Le manga-essai
Complimentée pour ses écrits jusqu’à être comparée à une autrice japonaise de légende, Momoko Sakura a continué à écrire pendant longtemps. Elle réalise un grand nombre de recueils, d’essais ou de poésies au sein desquels elle narre, à l’instar et en lien avec Chibi Maruko-chan, des évènements de sa jeunesse. Lors d’une exposition dédiée à sa carrière en 2023 au Japon, on pouvait retrouver un grand nombre d’originaux de ses travaux et, notamment, de ses écrits.
« Une bande dessinée est une version de vous-même basée sur vos expériences. C’est comme un essai » – Momoko Sakura (1992)
Chibi Maruko-chan est un « manga-essai ». C’est un genre de manga au sein duquel l’autrice est le personnage principal de son histoire et où l’on aborde des sujets du quotidien avec une touche très personnelle. À l’instar de Maruko, les mangas-essais se contentent d’illustrations simples pour que la lecture soit accessible à toutes et tous. C’est un genre qui est apparu aux alentours des années 80, mais, même avant ça, des auteurices réalisaient déjà cela dans la postface ou dans les bonus des livres. Il se popularise dans les années 90.
Chibi Momoko Sakura-chan
« Odeko-chan ou Nonki-kun auraient pu être les noms pour la série Chibi Maruko-chan » évoque Momoko Sakura dans une interview accordée à Mainichi en 1992. Finalement, l’œuvre portera le nom que lui donnait sa mère « Chibi Maruko » et c’est en 1986 que débutera la sérialisation de l’œuvre dans le magazine shôjo : Ribon.
Dans Chibi Maruko-chan, on retrouve Maruko, une jeune fille de primaire, dans les années 1970, vivant avec ses parents, sa sœur et ses grands-parents dans la petite ville de Shimizu. À l’image d’une autobiographie, on retrouve Momoko Sakura dans un manga-essai où elle narre des évènements de son enfance sous la forme de petites histoires et de gags. Elle choisit la 3e année de primaire car elle représente celle où les enfants commencent à avoir confiance en eux tout en restant des enfants.
Qu’il s’agisse de ses escapades avec ses camarades, des échanges qu’elle entretient avec sa grande sœur ou d’évènements familiaux, on suit Maruko dans ses études et son quotidien avec un ton humoristique et de son point de vue d’enfant. L’un des plus grands charmes de la série réside dans sa capacité à projeter le lectorat dans une jeunesse aisément identifiable tout en parsemant le tout avec des références culturelles d’époque. Ainsi, Momoko Sakura offre à son lectorat d’origine une douce nostalgie et à son nouveau, une image ancrée d’un temps passé.
Le manga a été prépublié au Japon de 1986 à 2009 dans le magazine shôjo Ribon et est édité en un total de 18 volumes reliés. Il remportera le Prix du manga Kōdansha dans la catégorie shôjo en 1989. En France, il est disponible depuis septembre 2024 dans la collection KOTEN des éditions Mangetsu.
Quelles étaient les propositions du Ribon en parallèle ?
Lorsque Chibi Maruko-chan est publié, quelques titres sont déjà présents dans le shôjo magazine Ribon. De longues séries sont déjà installées comme Neko Neko Fantasia de Takada Emi ou encore Tokimeki Tonight de Ikeno Koi et sont totalement inédits sur le sol français. Cela dit, quelques titres ont déjà eu l’occasion d’obtenir une édition française. On pourra citer La locomotive de l’innocence de Uchida Yoshimi (connue pour Liddell au clair de lune) édité par Black Box.
En dehors du cercle des années 80, plusieurs titres du Ribon sont publiés chez nous. En effet, on retrouve la plupart des titres de Ai Yazawa, autrice de Gokinjo, une vie de quartier et de Nana tous deux publiés aux éditions Delcourt/Tonkam, ou le tout récent Honey Lemon Soda de Murata Mayu disponible chez nobi nobi !.
https://x.com/sugar_yin/status/1845037021829447931
La petite peste sur vos écrans !
En 1990, l’adaptation animée de Chibi Maruko-chan dépasse l’audience de Sazae-san, un énorme succès télévisé au Japon. Initialement, la production n’avait prévu que deux petites saisons pour Maruko. Aujourd’hui, la série est toujours en cours et possède plus de 1300 épisodes. À ses débuts, la réussite de l’animé permet au magazine shôjo Ribon de battre des records en devenant le magazine shôjo le plus vendu. On compte 2 millions de ventes à une époque où le Shônen Jump atteignait les 6,5 millions. À la sortie du quatrième volume de la série, il y avait déjà 1,7 millions d’exemplaires vendus des histoires de Maruko. C’est un immense succès. La popularité grandissante de la série lui offrira une notoriété nationale. Deux années plus tard, c’est Sailor Moon de Naoko Takeuchi qui fera exploser les ventes du magazine shôjo Nakayoshi et deviendra un succès international.
La série s’offre même quatre films dans les salles de cinéma. Acclamé, le deuxième, intitulé Chibi Maruko-chan: Watashi no Suki na Uta, a été travaillé par Masaaki Yuasa, directeur sur quelques épisodes de DEVILMAN crybaby et sur Mind Game. Il réalisait déjà des séquences sur les opening et ending de la série.
Malheureusement, cela reste indisponible en France pour le moment. Nonobstant, on espère la voir apparaitre un jour sur nos écrans !
Watashi no Suki na Chibi Maruko-chan!!
Comment la série réussit-elle à fédérer autant de lecteurices et de téléspectateurices ? Jun Takagi, réalisateur sur la série animée, évoque la présence familière et récurrente du personnage. Maruko est un personnage qui rappelle des souvenirs d’enfance et d’époque. Ce qui la rend crédible et identifiable auprès de son audimat. Son charme réside dans la simplicité de son quotidien.
« Il y a des mères qui reprennent ce que leurs enfants lisent et s’y mettent à leur tour. Après tout, nous avons tous eu une enfance similaire, n’est-ce pas ? » – Momoko Sakura (1989)
Nobuaki Tanaka, producteur du troisième film intitulé Chibi Maruko-chan Movie: Italia Kara Kita Shounen, énonce que même si l’époque du manga et celle d’aujourd’hui sont légèrement différentes, le lien et la communication entre les personnages est si profonde qu’on fait abstraction de ses différences.
Visuellement, Momoko Sakura se détache du style graphique des shôjo d’époque. Absence des gros yeux et des décorations excessives sur les pages, on retrouve un style plus simple se rapprochant de la ligne claire. Cet aspect graphique offre une ouverture plus grand public à l’œuvre. Miho Takeuchi, dans un article pour Bunka, désignait le fait que l’on identifie plus Chibi Maruko-chan comme un gag-manga que comme un titre shôjo.
Une arrivée importante sur le marché français
Au-delà de sa popularité évidente au Japon, Chibi Maruko-chan a son importance dans le paysage français. En effet, c’est un titre qui permet de démontrer, une nouvelle fois, la diversité des titres publiés dans les magazines shôjo. On notera également la mise en avant du gag-manga par l’éditeur avec la prochaine sortie de Crayon Shin-chan.
Discrètement sur le rabat de son premier volume, Mangetsu annonce la publication des trois volumes de Coji-Coji, un autre titre issu d’un magazine shôjo de Momoko Sakura.
Sources :
- Entretien de Momoko Sakura avec Mainichi (1992) : https://mainichi.jp/articles/20180828/org/00m/200/001000d
- Entretien avec TARAKO, doubleuse de Maruko, pour la sortie du troisième film (2015) : https://www.animatetimes.com/news/details.php?id=1450589154
- Entretien croisé avec Jun Takagi et Nobuaki Tanaka pour la sortie du troisième film (2015) : https://www.animatetimes.com/news/details.php?id=1451205268
- Dossier NHK Momoko Sakura : https://www2.nhk.or.jp/archives/articles/?id=D0009250557_00000
- Article Gendai sur Momoko Sakura: https://gendai.media/articles/-/57268
- Article @BAILA pour l’exposition sur Momoko Sakura: https://baila.hpplus.jp/lifestyle/entertainment/54700
- Interview de Momoko Sakura (1990) par @junk_ww: https://x.com/junk_ww/status/1053663407679799296
- Article de Miho Takeuchi sur Momoko Sakura (2019) : https://mediag.bunka.go.jp/article/article-14951/
- Article de Real Sound sur le renversement des mangas féminins dans les années 90 : https://realsound.jp/book/2020/08/post-602590.html
- Liste des musiques du deuxième film : https://www.nautiljon.com/ost/chibi+maruko-chan+-+movie+2+-+watashi+no+suki+na+uta.html
- Page Wikipédia sur Sei Shōnagon : https://fr.wikipedia.org/wiki/Sei_Sh%C5%8Dnagon
- Page Google Arts & Culture sur la Genèse de « Chibi Maruko-chan » : https://artsandculture.google.com/story/nwVx0Q3Z223SKw?hl=fr
- Chibi Maruko-chan
- Auteur : Momoko Sakura
- Traducteur : Kevin Stocker
- Éditeur : Mangetsu
- Date de publication France : 04 septembre 2024
- Nombre de pages : 176 pages
- ISBN / INE : 2382816244
- Prix : 7,95€
Résumé éditeur : Momoko Sakura est une jeune fille vivant avec ses parents, sa soeur et ses grands-parents dans la petite ville de Shimizu. Elle est souvent surnommée « Chibi Maruko » en raison de sa petite taille. Suivez le quotidien mouvementé de la petite Maruko à travers des situations aussi inattendues qu’hilarantes.
Inspiré de la vie de l’autrice Momoko Sakura, Chibi Maruko-chan berce depuis plus de trente ans l’enfance de tout un pays. Publiée aux éditions Shueisha et adaptée en animé, la popularité de la série dépasse les frontières du Japon, ce qui en fait aujourd’hui un shôjo incontournable.