Deux femmes

À Séoul, la longiligne Seo Gongju et la plus petite Park Hong-Yeon sont inséparables depuis des années. Le lecteur débarque dans l’amitié entre ces deux femmes en cours de route, à un moment charnière. L’une est enceinte et va donc se marier, la seconde veut quitter la capitale pour retourner dans sa ville d’origine, Daegu.

Hong-yeon et la vie de famille

La première partie de l’histoire est consacrée à Park Hong-yeon. Malgré son enthousiasme de départ pour sa nouvelle union, la jeune femme déchante rapidement, écrasée par le poids des traditions attachées à la vie de femme mariée. Il est en effet attendu d’elle qu’elle s’occupe seule de son enfant en bas âge, de la maison et de son mari, tout en travaillant. Sa belle-mère veille d’ailleurs particulièrement au grain lors des fêtes de famille, même lorsque son fils est manifestement peu investi. Centrée sur ses soucis de couple, Hong-yeon vide son sac lorsqu’elle réussit enfin à voir Gongju mais ne songe pas à prendre des nouvelles de son amie.

Trois générations

Un choc fait alors changer le lecteur de point de vue  pour continuer l’histoire. Et nous voici plusieurs années en arrière, dans la peau de Gongju. Ne rêvant que de s’échapper de sa province pour rejoindre Séoul et travailler dans la presse, elle enchaîne les petits boulots pour s’assurer une réserve financière avant de partir. Mais ce qui frappe dans ce chapitre, plus que la volonté de fer de Gongju et son total dévouement à son rêve, est le lien entre les femmes de la famille.

Trois générations vivent dans la même maison. Mais la mère de Gongju ressasse une amertume profonde qui rejaillit sur ses relations avec sa fille et sa belle-mère. La communication est difficile, les choses ne se disent que rarement et l’incompréhension dresse des murs. La mère de Gongju semble avoir souffert du carcan conservateur imposé par sa belle-mère, mais cherche tout de même à ce que sa fille reste dans le rang, quitte à reproduire le schéma.

Deux femmes en quête de liberté

Le grand point commun entre nos héroïnes se situe là : dans ce conservatisme forcé sur leur rôle dans la société. Pour qui n’est pas familier de la Corée du Sud, Deux femmes permet de découvrir l’un des paradoxes les plus étranges du pays : l’écart entre la modernisation technologique extrême et les mœurs sociales qui semblent venir d’un autre temps. La place de la femme y est extrêmement codifiée, et son seul espace de liberté semble se situer entre la fin des études et le mariage. Elle est avant cela soumise aux volontés de ses parents, puis à celles de son mari et de sa belle-mère.

Aussi inattendue que solide, l’amitié entre la discrète Gongju et l’exubérante Hong-yeon est l’occasion de constater que malgré leurs différences de caractère, aucune n’échappe à ce que la société a décidé à leur place. Les lourdes traditions se transmettent d’une génération à l’autre sans remise en question et la jeunesse peine à les contourner. Édifiant.

Article posté le mardi 22 janvier 2019 par Elisabeth Eon

  • Deux femmes
  • Auteur : Song Aram
  • Editeur : çà et là
  • Parution : 12 septembre 2018
  • Prix : 18€
  • ISBN : 9782369902560

Résumé de l’éditeur : Gongju, une jeune femme plutôt réservée et originaire de la ville de Daegu, a abandonné ses études puis a travaillé comme serveuse en attendant de pouvoir trouver du travail dans la presse à Seoul. Elle et la très enjouée Hong-yeon se sont rencontrées sur Internet grâce à un blog et sont liées d’amitié une fois Gongju installée à Seoul. Après quelques années de galères à travailler comme rédactrice pour des tabloïds ou des sites de commerce, Gongiu apprend à Hong-yeon qu’elle a décidé de quitter Séoul pour retourner vivre dans sa ville natale et s’occuper de sa mère malade. Au même moment, Hong-yeon annonce à son amie qu’elle est enceinte et qu’elle va se marier alors qu’elle a toujours été contre l’idée du mariage. La vie de famille va être particulièrement éprouvante pour la jeune femme confrontée à sa belle-famille et à un mari peu bienveillant. Les deux femmes vont se suivre à travers une correspondance régulière. Les histoires délicatement intriquées de Hong-yeon et Gongju donnent un aperçu de la réalité de la société coréenne, conservatrice et patriarcale.

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Elisabeth Eon

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