Doc Frankenstein

Dans Doc Frankenstein, paru chez Huginn & Muninn, les sœurs Wachowski, accompagnées de Steve Skroce, s’emparent du mythe du Prométhée moderne. Au programme : de l’action, beaucoup d’action mais aussi une critique de la société moderne.

DOC FRANKENSTEIN, PAR-DELÀ LE BIEN ET LE MAL.

Créature issue de cadavres, elle est née de la foudre. Et depuis deux siècles qu’elle arpente la Terre, elle lutte contre les diverses incarnations du mal. Aucune bête démoniaque ne lui a survécu. Et aujourd’hui encore, on peut observer son œuvre. D’ailleurs, dans les rues dévastées de Washington DC, un monstre gigantesque gît au milieu des décombres. Et au même moment, non loin de là, au cœur de la Maison Blanche, on fait un rapport à George W. Bush.

« – Le monstre est à terre ! Je répète… le monstre est à terre. Le Béhémoth de Swen le Jaune.

– Loué soit le Seigneur tout-puissant !

– Si vous voulez, Monsieur de président. Mais de mon point de vue, Dieu tout-puissant n’a pas fait grand-chose dans l’affaire. Si quelqu’un doit être remercié… C’est Frankenstein. »

Et pourtant, rares sont ceux qui ont pris la peine de lui témoigner leur gratitude. Car pour beaucoup, l’horreur qu’il inspire prévaudra toujours sur ses actes. Qu’il le veuille ou non, à jamais, il sera le monstre de Frankenstein.

DOC FRANKENSTEIN, 200 ANS D’HISTOIRE…

« T’avais-je requis dans mon argile, Ô Créateur

De me mouler en homme ? T’ai-je sollicité

De me faire surgir des ténèbres ? »

C’est par ces quelques mots, issus du Paradis perdu de Milton, que Mary Shelley débuta en 1818 une œuvre qui deviendrait une légende : Frankenstein ou le Prométhée moderne. Plus de 200 ans plus tard, le mythe fascine toujours autant. Et la dernière réécriture en date se trouve sous la plume de Lilly et Lana Wachowski. Ainsi, à mi-chemin entre l’interprétation de Boris Karloff et les films Matrix, le duo nous propose une version post-moderne du mythe de Prométhée.

DES DESSINS AU DIAPASON.

Habitué à collaborer avec les sœurs Wachowski, Steve Skroce parvient à merveille à retranscrire les promesses du scénario. Les scènes d’action sont à couper le souffle et le moindre détail est exploité pour accroître une tension déjà omniprésente. Et de manière très cohérente, chaque planche est construite dans un esprit cinématographique. La variation des plans, les différentes vues, les effets dynamiques sont employés pour guider l’œil au milieu d’un spectacle époustouflant.

UN PERSONNAGE DE LA POP CULTURE.

Et pour couronner le tout, on comprend rapidement que l’équipe compte inscrire son personnage dans la grande famille de la culture populaire moderne. Ainsi, quelques références apparaissent au gré des pages. Batman, Preacher, et même Planète Terreur… On voit où se trouve l’inspiration. Et bien entendu, ces clins d’œil servent l’histoire. Ainsi, au cours de ses aventures, le personnage principal, rebaptisée « Doc », comme pour signifier que créateur et créature sont indissociables, va avoir maille à partir avec bon nombre de monstres issus de l’univers de la pop culture. Du yéti vivant dans l’Arctique, au loup-garou pratiquement immortel en passant par un Kaiju, le but recherché est de créer du grand spectacle. Mais ce n’est pas tout…

DOC FRANKENSTEIN, SAUVEUR DE L’HUMANITÉ.

Car au milieu des explosions et des scènes dignes des plus grands blockbusters, une ennemie sort du lot. Plus néfaste et démonique que tous les monstres réunis, elle se met en travers du chemin de Doc Frankenstein depuis qu’il a ouvert les yeux. Elle est connue de tous, et une fois de plus  on se dit que Preacher n’est pas loin, car il s’agit de la religion chrétienne. Récemment, Le Retour du Messie nous avait proposé une réécriture mêlant humour et super-héros. Mais cette fois-ci, la pique est plus acerbe. Présentée comme une organisation vérolée depuis sa genèse, elle mène une quête aveugle contre ce qu’elle juge indigne d’exister.

Dans le viseur, la créature de Frankenstein n’est pas seule. Et c’est réellement là que l’aventure prend une dimension inattendue.

CRÉER POUR CRIER QU’ON EXISTE.

Lana Wachowski s’en explique longuement dans la préface de l’édition : l’histoire de « la créature » rejetée à un tel point qu’elle est devenue aux yeux de beaucoup un monstre, c’est la sienne. Ainsi, et de manière touchante, on en arrive petit à petit à avoir une autre lecture de l’œuvre qu’elle nous propose.

Derrière le grand spectacle et les excès, se cache une souffrance existentielle. Et bien entendu, on comprend alors pourquoi la religion chrétienne et sa mise en pratique par les Républicains est pointée du doigt. Lana Wachowski le dit très bien : le processus d’acceptation de soi, lorsqu’on fait l’expérience du coming out puis d’une transformation transgenre, est une épreuve éternelle. La peur de s’accepter, de perdre ses amis et surtout sa famille l’a littéralement hantée. Mais grâce à l’amour de ses proches et de l’écriture, la sienne, mais aussi celle des autres, elle a traversé la tempête. Et aujourd’hui, elle est heureuse et épanouie.

En dédiant son œuvre à son père et sa mère, malheureusement décédés trop tôt pour la voir achevée, Lana Wachowski montre sa réussite. Et en même temps, elle met un point final à l’histoire de la créature de Frankenstein. Car manifestement, là où dans le roman de Mary Shelley, Victor a échoué, elle, a bel et bien réussi.

Article posté le dimanche 22 mai 2022 par Victor Benelbaz

Doc Frankenstein de Lana et Lilly Wachowski (Huginn & Muninn)
  • Doc Frankenstein
  • Auteurs : Lana Wachowski et Lilly Wachowski
  • Dessinateur : Steve Skroce
  • Traducteur : Jean-Marc Lainé
  • Editeur : Huginn & Muninn
  • Prix : 24.95 €
  • Parution : 25 mars 2022
  • ISBN : 9782364808379

Résumé de l’éditeurLes soeurs Wachowski (Matrix, Sense8, Speed Racer) et le dessinateur Steve Skroce (X-Men, Spiderman) s’emparent du mythe de la créature de Frankenstein ! 240 pages de folie furieuse et graphique pour raconter la vie de ce monstre, de la fin du roman de Mary Shelley jusqu’à nos jours.
« Provoquant, profond et ridiculement violent, Doc Frankenstein est la créature des plus grands storytellers du moment » – Brian K.Vaughan (Saga, Y le dernier homme)

À propos de l'auteur de cet article

Victor Benelbaz

Tombé dans la marmite de la bande dessinée depuis tout petit, Victor est un vrai amateur éclairé. Comics ou récits jeunesse sont les deux genres préférés de ce professeur de français.

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