Environnement toxique

De son expérience professionnelle dans une mine de sables bitumeux en Alberta, l’autrice canadienne Kate Beaton livre Environnement toxique. Un album cinglant sur la masculinité toxique. Poignant !

De Cap-Breton…

Kate Beaton est une autrice canadienne de bande dessinée née en 1983. Avant de publier des albums, édités en France par Cambourakis, Diantre un manant (2 prix Ignatz et 1 Harvey Award), La princesse et le poney et Le roi bébé, elle a du quitter le foyer familial pour travailler dans des entreprises d’extraction de pétrole.

Celle qui aujourd’hui partage le studio Pizza Island avec notamment Julia Wertz, devait rembourser le plus rapidement possible ses crédits contractés pour ses études en sciences humaines.

… A Long-Lake

A Cap-Breton dans la Nouvelle-Écosse, il n’y a pas grand chose pour une étudiante et pour trouver de l’argent. Alors comme de nombreux compatriotes, Kate Beaton fait le grand voyage vers Long-Lake dans l’Alberta, à plus de 5 000 km de chez elle.

Ces mines de sables bitumeux accueillent des milliers de travailleurs arrivés de toutes les régions du Canada. Facile de s’y faire embaucher même sans diplôme.

« Bon. Je suis désolée. C’est mon premier jour… Je ne connais pas encore grand-chose… »

Kate est là pour travailler. Elle veut rapidement rembourser ses dettes. Elle n’hésite pas à cumuler deux emplois : dans la mine et dans un restaurant où elle est serveuse.

Syncrude. Après avoir regardé un documentaire sur la sécurité, Kate arrive au dépôt. Elle doit donner les outils aux employés qui se présentent. Mais, les outils, elle n’y connait vraiment rien. Elle a menti pour se faire embaucher. Peu importe, elle apprend vite.

Un vrai environnement toxique

Mais comme elle est jeune, qu’elle est une femme, la file des ouvriers s’allonge devant le dépôt. La neige n’y fait rien, ils viennent pour s’équiper mais surtout pour la voir. Elle est nouvelle, ils la draguent lourdement. Ils font également des sous-entendus graveleux.

Kate découvre un environnement toxique. Un environnement quasiment masculin. Elle ne dit rien, elle encaisse. Puis, elle commence à répondre, ne se laisse pas faire, mais ce n’est pas simple. Surtout que les hommes même mariés tentent de l’inviter, de la faire boire, pour abuser d’elle ?

Uppercut, double-uppercut, triple-uppercut

Si de plus en plus de femmes, d’autrices, de réalisatrices ou d’artistes abordent le sujet des violences faites aux femmes depuis #metoo, ce n’est toujours pas aussi simple pour le faire.

Après des albums humoristiques, Kate Beaton a décidé de se pencher sur son passé. Dans cette poignante autobiographie, elle met en scène cette période délicate où elle fut employée dans différentes mines de sables bitumeux.

Il en faut du courage pour délivrer sans fard et sans concession cet environnement toxique. Dès qu’elle arrive sur son premier poste, les remarques fusent. Rien ne lui ai épargné. Cette expérience professionnelle est pourtant là, simple, brut et indélébile dans le corps et dans l’âme de l’autrice canadienne. A chaque chapitre, on reçoit uppercut sur uppercut.

Huis-clos pour gros harceleurs

Environnement toxique débute en 2005, une période où les téléphones portables sont encore rares, surtout dans les milieux populaires et précaires.

La jeune diplômée en licence d’Histoire et d’Anthropologie se retrouve plongée dans un enfer qu’elle découvre au fil des jours. On la voit ne rien dire, puis fulminer, se rebeller et répliquer.

Elle est entourée d’hommes. Il n’y a même pas 2% de femmes employées dans la première mine. Elle se retrouve seule face à des hommes qui ne se rendent même pas compte pour certains qu’ils sont lourds. C’est normal pour eux, c’est un schéma mental engrangé depuis des centaines d’années. Ils sont construits comme ça. Ils sont harceleurs même par une « banale » phrase. Certains ont laissé femmes et enfants et se disent qu’ils peuvent fauter cela n’aura aucune conséquence sur leur vie de couple.

Des compliments comme du harcèlement

Tous les jours, Kate reçoit ça en pleine face. Même les compliments déguisés relèvent du harcèlement. Ils pensent être drôles voire grivois, ils ne sont que des hommes toxiques.

Alors, quand elle se rebelle, ils lui assènent : « Tu n’as pas d’humour », « Ce n’est pas grave. » Pire, on essaie de la caser avec le petit jeune célibataire ou de la faire boire pour être plus « docile ». On lui invente des rumeurs avec le chef, d’être une fille facile. On la touche sans son consentement. Elle est même violée.

Sororité pour se soutenir

Kate Beaton livre brut ce qu’elle subit. Elle se dit qu’en changeant de lieu, cela sera plus simple. Eh bien non, c’est partout pareil. Pourtant, à aucun moment, elle ne veut se venger. Elle veut juste travailler pour rembourser son crédit étudiant.

Si cet environnement toxique la brise, elle peut compter sur quelques hommes moins lourds que d’autres, d’autres qui la soutiennent et enfin d’autres qui se comportent normalement, comme si cela devait être des exceptions. La logique devrait être l’inverse : des hommes respectueux. Il y a aussi les femmes employées qui savent ce que c’est qu’être une femme au milieu de ces hommes. Du réconfort parfois juste par un mot, un geste, un regard. Et enfin, il y a sa sœur aînée qui vient travailler en Alberta. Elle se soutiennent malgré les obstacles.

Environnement toxique et polluant

Le titre de l’album peut a un double sens. Celui des hommes toxiques et celui de la pollution. Kate Beaton aborde également des questions écologiques dans son récit. L’extraction du pétrole s’effectue par fracturation hydraulique laissant les sous-sols fragilisés. Cette méthode rejette 3 à 5 fois plus de gaz à effets de serre que les hydrocarbures conventionnels. Quant à l’eau utilisée, elle est rejetée directement dans la rivière Athabesca.

Et même si les règles de sécurité sont délivrées tous les jours aux employés, les accidents de travail sont légion. Néanmoins, on les minore pour ne pas ternir l’image des entreprises. Kate Beaton parle donc également des conditions de travail. Un ouvrier décède même pendant son séjour. Ce système libéral et capitaliste de haut vol, l’autrice le met en lumière, comme une aliénation.

Un monde professionnel complexe

L’autrice canadienne met en garde les lecteurs. Ce monde professionnel est plus complexe qu’il n’y paraît. Elle a essayé de donner sa vérité. Ce milieu fonctionne en vase fermé, un huis-clos où tout peut se passer, en bien mais souvent en mal. Les inégalités sont fréquentes et la domination masculine forte.

Il a fallu plusieurs années à Kate Beaton pour pouvoir écrire son livre. Elle l’a débuté en 2016 alors que les faits remontent à 2005. Le temps de digérer, de prendre conscience et de rassembler des témoignages.

Barack Obama a fait d’Environnement toxique son roman graphique préféré en 2022. Pénélope Bagieu dit qu’on ne ressort pas indemne de sa lecture. Alison Bechdel dit que le résultat de cet album esdt « d’une redoutable efficacité. » Et ils ont raison. Cet album est fort, aborde plusieurs sujets et met encore en lumière les violences faites aux femmes. Un grand récit fort et puissant !

Article posté le lundi 13 mars 2023 par Damien Canteau

Environnement toxique de Kate Beaton (Casterman)
  • Environnement toxique
  • Autrice : Kate Beaton
  • Traductrice : Alice Marchand
  • Éditeur : Casterman
  • Prix : 29,95 €
  • Parution : 08 mars 2023
  • ISBN : 9782203242234

Résumé de l’éditeur : Pour rembourser son prêt étudiant, Kate n’a guère le choix : elle doit quitter sa Nouvelle-Écosse natale pour aller travailler à l’autre bout du Canada, dans l’ouest lointain, là où l’on extrait le pétrole des sables bitumineux. Souvent isolée, naviguant de site en site, la jeune femme découvre un monde marqué par le harcèlement quotidien et le sexisme de nombreux collègues masculins. Sans se départir de son empathie ni de son humour, soutenue par des allié.e.s de confiance, Kate s’interroge sur la violence de son univers professionnel, qu’il s’agisse des relations humaines ou de l’exploitation forcenée des ressources naturelles. A-t-elle mis les pieds dans un univers parallèle, ou cette violence n’est-elle que le reflet de notre société ?

 

À propos de l'auteur de cet article

Damien Canteau

Damien Canteau est passionné par la bande dessinée depuis une vingtaine d’années. Après avoir organisé des festivals, fondé des fanzines, écrit de nombreux articles, il est toujours à la recherche de petites merveilles qu’il prend plaisir à vous faire découvrir. Il est aussi membre de l'ACBD (Association des Critiques et journalistes de Bande Dessinée). Il est le rédacteur en chef du site Comixtrip.

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