Le dessinateur Corrado Roi et le scénariste Marco Cannavò revisitent le mythe de Frankenstein dans une somptueuse adaptation du roman culte de Mary Shelley.
Aux origines du mal
On n’en a jamais fini avec les grands mythes. Comme Dracula, Fantomas ou encore le Golem, Frankenstein est bien de ceux-là. Personnage de fiction créé par l’autrice britannique Mary Shelley, « Frankenstein ou le Prométhée moderne » est un roman épistolaire publié en traduit pour la première fois en français en 1821.
Ce roman, devenu culte au fil des années, met en scène un jeune savant suisse, Victor Frankenstein, qui va parvenir à recréer un être vivant, assemblé avec des parties de chairs mortes. Bientôt horrifié par l’aspect monstrueux de l’être auquel il a donné la vie, Frankenstein finit par abandonner sa créature. Mais celle-ci, douée d’intelligence, va vouloir se venger…
Adaptée à de multiples reprises, tant au cinéma que dans la littérature de genre (fantastique, science-fiction) et bien sûr la bande dessinée, cette histoire est aujourd’hui reprise par un duo talentueux, les italiens Marco Cannavo et Corrado Roi, déjà remarqué en avec la belle adaptation d’un Dracula publié en 2024 chez Glénat.
« Je suis ton père »
Ce one shot de 96 pages, librement inspiré du roman, au-delà de sa dimension fantastique, installe de nombreux thèmes qui résonnent dans les esprits du 21e siècle. Ainsi pose-t-il la question du rapport de l’homme à la nature, du savant à la science.
Il pose aussi le postulat suivant : peut-on, par orgueil et sous prétexte de vouloir égaler un Dieu tout-puissant, outrepasser les limites du progrès ? Le jeune Victor Frankenstein n’a pas de telles interrogations. Sa créature encore moins.
Devant un parterre de scientifiques incrédule, elle lance : « Avant je n’étais que chair morte ! Des morceaux de corps de trois cadavres que le professeur Frankenstein a assemblés et ressuscités, grâce à l’électricité galvanique et à l’alchimie de Paracelse« .
Qui tue l’autre ?
Cette énième variation sur le mythe de Frankenstein, sous titrée Au nom du père, aborde aussi la question de la filiation. Pour devenir libre, le monstre doit se débarrasser de son créateur et se venger de son exclusion du monde des vivants. Son « père », dépassé par un fils monstrueux auquel il a greffé un cerveau d’assassin cherchera à l’oublier et à s’en débarrasser, avec ou sans l’aide de la police. Mais le monstre, insensible aux balles des pistolets sait bien « qu’on ne peut pas tuer un homme né mort! ».
Dès lors, c’est à un face-à-face tragique qui va entraîner les sombres héros de cette histoire dans une spirale sanglante. On les suit chacun dans leurs pulsions secrètes. Les auteurs nous proposent ainsi un double point de vue. Et le monstre ici n’est pas qu’une simple machine à tuer. Il exprime tourments, émotions et reproches. Le savant pourtant ne lui avait-il pas promis « d’éliminer les souvenirs de sa tête », car « le cerveau archive mais ne détruit pas! ».
Noir et gothique
A l’instar d’un Georges Bess qui adapta lui aussi son Frankenstein, Corrado Roi propose un dessin somptueux, très « gothique ». Il joue à merveille des lavis en noir et blanc pour restituer une atmosphère glaçante et inquiétante. On s’attendrait presque, comme dans un vieux film d’épouvante signé par la Hammer, à voir sortir des cases ce monstre né de l’imagination fertile d’une femme alors à peine âgée de vingt ans.
Un très bel appareil critique signé Marco Grasso clôt cet album qui devrait ravir les amateurs du genre. En attendant une nouvelle adaptation cinématographique annoncée pour 2025 , derrière la caméra de Guillermo Del Toro pour le compte de la plateforme Netflix.

- Frankenstein ( Au nom du père )
- Scénariste : Marco Cannavò
- Dessin et couleurs : Corrado Roi
- Editeur : Glénat
- Prix : 22, 50 €
- Parution : 5 mars 2025
- Nombre de pages : 112
- ISBN : 9782344068168
Résumé de l’éditeur : Retour aux origines du mal avec ce one shot librement inspiré de l’œuvre de Mary Shelley qui nous ensorcèle avec le dessin au lavis noir & blanc d’une grande beauté de l’italien Corrado Roi. À ses côtés, Marco Cannavò développe une relecture originale et audacieuse du roman.
Deuxième volet de la série « Les classiques de l’horreur », où les plus grandes œuvres de la littérature gothique trouvent un souffle nouveau. Après Dracula, c’est au tour de Frankenstein ou le Prométhée moderne, le chef-d’œuvre de Mary Shelley datant du XIXe siècle. La relation entre le scientifique Victor Frankenstein et le soi-disant « monstre » est devenue un mythe archétypal de la relation trouble entre le créateur et sa créature. À travers son œuvre, l’écrivain traite de sujets tels que la confrontation de l’homme avec Dieu et interroge les limites rationnelles du progrès scientifique – un sujet très actuel.
À propos de l'auteur de cet article
Jean-Michel Gouin
Passionné par l'écrit, notamment l'histoire, la littérature policière et la bande dessinée, Jean-Michel Gouin a été journaliste radio et presse écrite pendant une trentaine d'années à Poitiers.
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