Grendel, Kentucky

Depuis deux générations, la production de cannabis prospère dans la petite ville de Grendel, dans le Kentucky. Mais vendre son âme au diable n’a jamais été un marché équitable. Et tôt ou tard, on finit par en payer le prix. C’est ce que rappellent Jeff McComsey et Tommy Lee Edwards dans Grendel, Kentucky, une audacieuse réécriture d’un mythe ancestral.

GRENDEL, KENTUCKY : LE ROYAUME EST EN DANGER.

Depuis que Randall « Pap » Wallace a pris les affaires en main, la production et le commerce de cannabis sont miraculeusement devenus florissants. Désormais, la bourgade de Grendel, dans le Kentucky est devenue son royaume. Puis, lorsqu’il est devenu trop vieux pour diriger, c’est son fils, Clyde qui a repris le flambeau. Tout fonctionnait à merveille et on voyait mal ce qui aurait pu troubler l’ordre établi.

Mais un matin d’automne 1971, un homme armé jusqu’aux dents, comme s’il allait affronter tous les démons de l’Enfer, pénètre dans une mine désaffectée.

Trois jours plus tard, dans une forêt voisine, on retrouve son corps, ou plutôt ce qu’il en reste… Et malgré les atrocités commises qui rendent l’identification difficile, les autorités sont formelles : il s’agit de Clyde.

Alors, il revient à Denny, son fils, de prendre la succession.

Enfin, le soir des funérailles, ressurgit Marnie, que Clyde considérait comme sa fille. Et celle qui est désormais la capitaine des Harlots, un club de motardes, est d’accord avec le nouveau roi des lieux : cette mort n’a rien d’accidentel.

« – Tu crois à l’histoire de Pap ? À propos de la mort de Clyde ?

– Est-ce que je crois qu’un ours a tué mon père ? Carrément pas. »

GRENDEL, KENTUCKY : UN THRILLER À LA SAUCE GRINDHOUSE.

Au scénario, Jeff McComsey présente une Amérique profonde, qui a payé le prix fort du travail dans les mines. En effet, l’extraction intensive du charbon a détruit les êtres et l’environnement pendant des générations. Mais comble du cynisme, la fin de cette industrie a plongé les populations dans une pauvreté extrême. L’usage intensif de produits toxiques ayant rendu les terres stériles, il ne restait plus rien pour vivre aux habitants des régions minières.

Et pourtant, ils ont survécu, parfois en développant des activités illégales, ou encore en vivant dans des communautés où la violence faisait loi. Ainsi, alcool, armes, drogue, gang de motards hors-la-loi sont autant de solutions envisagées pour s’en sortir.

UNE VIOLENCE HORRIFIQUE.

Après avoir réalisé les dessins de Jupiter’s Legacy : Requiem (la suite de Jupiter’s Legacy), Tommy Lee Edwards se tourne donc vers une ambiance radicalement différente. Grand adepte du genre, si on en croit son compte Instagram, il parvient parfaitement à retranscrire la noirceur et la violence de cet univers. Ainsi, son trait réaliste accompagne la narration avec efficacité. Et de la même manière, le caractère rugueux et presque torturé qu’il donne aux différentes scènes contribue à nous faire plonger petit à petit dans ce que le Kentucky connaît de pire. À ce titre, tout en étant capable de représenter la violence la plus extrême, l’artiste sait aussi jouer avec la lumière et les ombres pour suggérer. Ainsi, il maintient le lecteur en alerte car on pressent que le pire est toujours à venir.

Tous ces procédés sont employés avec une grande cohérence, et bien vite on se retrouve réellement aux côtés des protagonistes.

Bien entendu, cela pourrait suffire à satisfaire bon nombre de lecteurs. Mais malheureusement pour les habitants de Grendel, ce n’est pas tout.

LA RÉÉCRITURE D’UNE MYTHE.

Et sans aucun doute, c’est cette originalité qui constitue une des forces du récit.

En effet, derrière la chronique sociale violente et désabusée, se terre une fascinante réécriture de la légende de Beowulf. Les époques et les hommes ne sont plus les mêmes, mais le mal, lui reste inchangé.

Ainsi, le roi Hrothgar prend les traits de Randall Wallace et Beowulf devient audacieusement Marnie. Mais la transposition moderne s’arrête là, car le monstre, lui, est bien un démon. Cette créature chimérique venue tout droit des Enfers hante les lieux et terrorise réellement les êtres qu’elle n’a pas dépecés.

De cette manière, le récit plonge petit à petit dans le fantastique et dans l’horreur pour devenir une incroyable épopée contemporaine.

 

En publiant Grendel, Kentucky, les éditions Delcourt proposent une œuvre d’une efficacité rare. A l’image des productions d’AWA Studios, l’aventure nous mène dans des lieux inattendus. Ainsi, en transportant le mythe de Beowulf dans le Kentucky des années 70, Jeff McComsey et Tommy Lee Edwards livrent une œuvre violente à la profondeur insoupçonnée.

Article posté le jeudi 07 avril 2022 par Victor Benelbaz

Grendel, Kentucky de Jeff McComsey et Tommy Lee Edwards (Delcourt)
  • Grendel, Kentucky
  • Scénariste : Jeff McComsey
  • Dessinateur : Tommy Lee Edwards
  • Coloriste : Tommy Lee Edwards, Giovanna Niro
  • Traducteur : Benjamin Rivière
  • Editeur : Delcourt
  • Collection : Contrebande
  • Prix : 14.95 €
  • Parution : 06 février 2022
  • ISBN : 9782413043362

Résumé de l’éditeur : Depuis deux générations, la petite ville rurale de Grendel, située dans le Kentucky, a honoré le marché faustien qui la lie au terrible monstre qui vit dans sa mine : Un sacrifice humain chaque saison en échange d’une prospérité agraire, en ce qui concerne leurs exploitations de weed.

À propos de l'auteur de cet article

Victor Benelbaz

Tombé dans la marmite de la bande dessinée depuis tout petit, Victor est un vrai amateur éclairé. Comics ou récits jeunesse sont les deux genres préférés de ce professeur de français.

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