Rien ne va plus dans la vie de Mark : il se remet mal de son divorce, la santé de sa mère est déclinante et son patron ne le paie pas. James Sturm raconte son parcours fait de grosses embûches dans Hors-saison, un récit autobiographique engagé chez Delcourt. Âpre et touchant !
Mark, père divorcé
Il y a peu, Mark et Lisa ont divorcé. En pleine campagne électorale, son ex-femme soutient Bernie Sanders, au point d’avoir délaissé son couple. D’ailleurs, son ex-mari ne supporte plus de voir ne serait-ce qu’un autocollant du candidat démocrate.
Sans le sou, Mark a été obligé de vendre son camion pour payer son déménagement. Depuis, il multiplie les petits chantiers dans le bâtiment. Si son patron, Mick, profite bien de la vie e part en vacances dans des lieux paradisiaques, il ne paie jamais son employé. Ce qui met Mark dans des situations très inconfortables.
Mark, père en galère
Depuis que Bernie Sanders a été écarté de la route des présidentielles, Lisa a basculé dans la campagne pour Hillary Clinton. Là, encore, cela lui prend du temps d’être bénévole pour la candidate démocrate.
De son côté, Mark doit jongler entre son travail et ses enfants, Suzie et Jérémy. Les deux aiment à se chamailler comme chien et chat, ce qui met la petite fille souvent dans de grosses colères. De la même façon que Lisa autorise Suzie à regarder les débats de l’élection, même si elle est trop petite pour tout comprendre.
On ne peut pas dire que Mark et Lisa soient en mauvais terme. Ils essaient d’être cohérents et de bien s’entendre, au moins pour les enfants.
Mark, un homme hors-saison ?
Hors-saison est un magnifique album ! James Sturm a puissé dans ses souvenirs pour raconter cette histoire. Quelques points sont différents de sa propre vie, en premier lieu le travail de son personnage principal. Lui est un auteur de bande dessinée, Mark travaille sur des chantiers.
Le récit est souvent âpre; l’auteur américain ne faisant pas de cadeau à son héros de papier. S’il peut agacer par certains points (ses colères, ses relations tendues avec Suzie, sa fille), les lecteurs ne peuvent néanmoins pas le détester. C’est toute la force du récit de James Sturm, son personnage principal n’est jamais manichéen. Ce subtil équilibre, il tente de le trouver dans ses enfants ou dans la relation avec Lisa, son ex-femme.
S’il semble hors-saison, c’est parce qu’il ne sait pas vraiment comment bien aborder les difficultés qu’il rencontre. Qui d’ailleurs à les solutions miracles ? Personne ! C’est pour cela que Mark touche les lecteurs, ils se retrouvent en lui. Il est profondément humain, avec son caractère fort, ses qualités et ses défauts, ses forces et ses faiblesses.
Mélancolie profonde
Hors-saison possède un charme aimantant le lecteur. James Sturm met en place une atmosphère mélancolique, un spleen que Baudelaire n’aurait pas renié. Parce que oui, Mark se met la rate au court-bouillon (spleen en anglais désigne la rate). Il tente de faire bonne figure et fait tout pour préserver sa vie personnelle malgré les obstacles multiples sur sa route. Son divorce et la santé fragile de sa mère l’atteignent au plus haut point. Au fil des pages, on le voit sombrer, couler comme une pierre. Pourtant dans l’album, il existe des lueurs d’espoirs, tout n’est pas perdu dans l’existence du héros, comme notamment lorsqu’il emmène ses enfants au bord de la mer.
Hors-saison est aussi un récit politique. Proche des idées démocrates, et plus particulièrement celles de Bernie Sanders, encore plus à gauches que celles d’Hillary Clinton, James Sturm aborde ainsi des problèmes des Américains de la classe moyenne; l’Amérique des petites villes et de la précarité. Des habitants obligés de multiplier les petits jobs non pour vivre mais pour survivre. Ainsi, cet album est très actuel, notamment pour de nouveau comprendre la campagne des présidentielles qui arrive en fin d’année. Bernie est écarté, reste Joe Biden, ex vice-président d’Obama, pour affronter Donald Trump; comme un revanche entre les deux camps.
Un très bel album à l’italienne
Hors-saison est aussi un très bel objet. James Sturm propose un album en format à l’italienne (21.3 x 16.3) dans lequel il compose des planches avec uniquement deux vignettes. Ce procédé narratif de découpage lui permet d’illustrer des cases plus grandes et donc d’une grande lisibilité.
L’auteur américain a beaucoup travaillé pour des maisons d’édition indépendantes comme Fantagraphics ou Drawn & Quarterly. Il a notamment remporté deux Eisner Awards, l’un pour Unstable Molecules (avec Guy Davis au dessin, chez Marvel) et l’autre pour Black Star. Il a cofondé le Center for Cartoon Studies, une institution supérieur dans le Vermont où l’on enseigne la bande dessinée.
Pour Hors-saison, James Sturm a imaginé une histoire avec des personnages anthropomorphes à tête de chien. Ce procédé lui permet ainsi de prendre aussi de la distance vis-à-vis de son propre parcours.
Hors-saison : une très belle et très forte histoire de famille, entre mélancolie, spleen et espoir.
- Hors-saison
- Auteur : James Sturm
- Éditeur : Delcourt, collection Outsider
- Prix : 24.95 €
- Parution : 27 mai 2020
- ISBN : 9782413022510
Résumé de l’éditeur : C’est une période d’élections où Bernie Sanders, Hillary Clinton, Donald Trump sont autant de noms susceptibles de changer l’Amérique. À une échelle plus humaine la vie de Mark est aussi traversée par d’énormes changements. Il tente de surmonter l’épreuve de son divorce, la santé précaire de sa mère et l’inconstance de son boss. Au fil d’une élection qui présage du pire, ce père de famille fait ce qu’il peut pour préserver sa vie personnelle.
À propos de l'auteur de cet article
Damien Canteau
Damien Canteau est passionné par la bande dessinée depuis une vingtaine d’années. Après avoir organisé des festivals, fondé des fanzines, écrit de nombreux articles, il est toujours à la recherche de petites merveilles qu’il prend plaisir à vous faire découvrir. Il est aussi membre de l'ACBD (Association des Critiques et journalistes de Bande Dessinée). Il est le rédacteur en chef du site Comixtrip.
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