C’est une puissante dystopie que nous proposent Jason Aaron et Alexandre Tefenkgi dans cette nouvelle série Once Upon A Time At The End Of The World, une dystopie rafraîchissante serais-je tenté de dire, car truffée d’humour et pleine de peps.
Un humour qui porte essentiellement sur le décalage entre les deux personnages centraux de ce récit, sur leur rencontre très improbable qui manque à tout instant de se fracasser sur le mur en béton armé que constitue la différence de perception qu’ils ont du monde où ils se trouvent.
Aux antipodes du jardin d’Eden
L’histoire prend place sur une Terre ravagée, en proie au chaos le plus total.
Une terre submergée par les eaux, souillée par tout ce que vous pouvez imaginer de polluants chimiques et industriels. La Terre, notre Terre, est désormais une véritable décharge à ciel ouvert, parfaitement inhospitalière, dépeuplée en quasi-totalité de toute humanité et où une nouvelle faune mutante et féroce a fait son apparition. Une jungle sans luxuriance et en très crade si vous préférez.
Une rencontre impossible
Sur cet océan de détritus, Ezmerelda, dit Mezzi, navigue sur une embarcation de fortune dont le naufrage imminent l’oblige à faire escale sur la partie encore émergée d’un gratte-ciel d’une ville noyée sous les eaux. Mezzi est une warrior, une survivaliste. Armée de couteaux tranchants et autres objets contondants, elle trimbale avec elle un package léger et arbore des équipements de protection pour se prévenir de pas mal de dangers.
Lorsqu’elle pause le pieds dans ce building, elle ne se doute pas de l’accueil qu’elle va y recevoir. D’abord prise pour le 4 heures d’un mange-boue, une créature belliqueuse à grandes dents et gigantesques tentacules visqueuses, elle sera sauvée in extrémis par l’occupant des lieux. Le candide mais génial Macéo.
Ce dernier est un jeune homme optimiste, joyeux, naïf aussi un peu, qui, et on le comprendra très vite, vit seul dans cette tour monumentale depuis de nombreuse années. Orphelin très tôt, il a grandi là dans cet immeuble en se construisant un monde délirant, son monde à lui. Et il parvint à se mettre à l’abri du besoin et à l’écart du danger grâce à mille trouvailles de son invention toutes plus géniales les unes que les autres.
Nous avons donc d’un côté un géo-trouve-tout enfermé depuis des années dans sa bulle protectrice. Qui va soudainement être très intéressé par cette nouvelle expérience qui s’offre à lui, à savoir sociabiliser avec un autre humain. Et d’un autre côté se tient une guerrière à couteaux tirés, solitaire et désireuse de le rester, entrainée à lutter pour survivre dans ce qui reste du monde extérieur, autrement appelé « la friche».
Le match n’est pas gagné.
Une cavale à deux temps
Alors que Mezzi va vouloir très vite reprendre sa route pour atteindre un but qui nous restera secret pas mal de temps, Macéo va d’emblée vouloir sympathiser. Il veut faire ami-ami avec cette humaine et la suivre partout où elle se rendra. Là où l’affaire se complique très vite c’est que non seulement Mezzi a un objectif à atteindre, mais elle semble aussi vouloir échapper à ses anciens camarades, Les Rangers de la Friche.
Ces derniers, une troupe de scouts endoctrinée à l’extrême par Maw, la matriarche- gourou, veulent à n’importe quel prix remettre la main sur Mezzi et le précieux bien qu’elle a subtilisé lorsqu’elle s’est fait la belle. Il est donc impensable pour elle de s’embarrasser du poids mort que représente Macéo. Il est armé de toute son innocence n’a aucune expérience de survit dans la friche. De surcroit il s’est mis en tête de coller aux basques de sa nouvelle amie, chargé d’un barda monumentale. Un bric-à-brac impensable qui va très sérieusement ralentir la cadence, mais dans lequel Macéo va pouvoir puiser pour bricoler d’ingénieux dispositifs qui par moment assureront leur progression.
Comment ces deux-là vont réussir à faire route ensemble, et pour se rendre où ? C’est là toute la force de ce scénario génial et improbable.
Once Upon a Time at the End of the World : Un scénario à plusieurs temporalités
La construction narrative est quant à elle linéaire pour ce qui est du temps de la rencontre et de la fuite de Mezzi et Macéo. On imagine donc qu’il s’agisse là du temps présent alors ponctué de flash-backs qui nous en apprennent davantage sur les occupations passées de Macéo. Enfant, seul dans sa tour, lorsqu’ils ne nous révèle pas le passé de Mezzi, lorsque jadis elle était une Rangers de la Friche comme les autres.
Mais Jason Aaron (Southern Bastards) et Alexandre Tefenkgi (The Good Asian, Eisner Award de la meilleure mini-série) nous donnent à découvrir également des flash-fowards plusieurs décennies après.
Là on y découvre un Macéo, sémillant vieillard dans une situation fort peu enviable. Une situation extrêmement critique avec un Macéo « upgradé » qui vend très chère sa peau. Une scène scindée en trois temps, très prometteuse pour la suite de ce récit qui oscille avec justesse entre le trash humoristique et la comédie survivaliste désespérée.
Once Upon a Time at the End of the World – Il était une fois à la fin du monde est assurément un étrange mélange des genres à la saveur délicieusement singulière.
- Once Upon a Time at the End of the World, tome 1 – L’amour aux temps de la friche
- Scénariste : Jason Aaron
- Dessinateur : Alexandre Tefenkgi
- Traducteur : Julien Di Giacomo
- Éditeur : Urban Comics
- Collection : Urban Indies
- Prix : 19 €
- Pagination : 176 pages
- Parution : 26 avril 2024
- ISBN : 9791026827108
Résumé de l’éditeur : Voilà des jours que Mezzy navigue sur sa barque de fortune, traversant des continents de plastique fondu, évitant des abysses infernaux et des geysers de feu noir. Elle n’a pas croisé âme qui vive depuis des lunes, et ses vivres sont à présent épuisés. Elle n’a maintenant d’autre choix que d’errer dans une jungle urbaine hostile où elle espère trouver de quoi se nourrir. Mais une rencontre inattendue va tout changer. Le jeune Maceo, avec lequel elle n’a rien en commun, entre soudain dans sa vie. Vaut-il mieux parcourir une planète ravagée seule, ou accompagnée ?
À propos de l'auteur de cet article
David Lemoine
Lecteur de BD depuis sa plus tendre enfance, David a fini par délaisser assez vite les classiques franco-belges, pour doucement voir ses affinités se tourner vers des genres plus noirs, plus grinçants, sarcastiques, trashs, violents, absurdes et parfois même décadents. Il grandissait en somme…. Fan de la première heure de Ranxerox et Squeeze the Mouse, il vénère aujourd’hui l’oeuvre d’auteurs Anglo-Saxon tel que Bendis, Brubaker/Phillips, Ben Templesmith, Terry Moore, Jonathan Hisckman, Ellis/Robertson, sans bouder son plaisir à la lecture des européens talentueux, francophone ou non, que sont Tardi, Ralf Konîg, Michel Pirus, Gess, les frères Hernandez, ou même Fred Bernard. La liste de ses amours dans le 9e art est loin d’être exhaustive, vous vous en doutez, et cela fait plus de 20 ans maintenant qu’il s’efforce de vous convaincre de les embrasser à travers ses chroniques radio qu’il vous livre chaque semaine dans l’émission XBulles sur les ondes de Radio Pulsar (http://www.radio-pulsar.org/emissions/thema/x-bulles/ / https://www.facebook.com/xbulles)”
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