Inventer une suite à 1984 de George Orwell, il fallait oser. Avec son Journal de 1985, Xavier Coste l’a fait, a bien fait et l’a très bien fait. Imaginer ce qui pourrait se dérouler après cet incontournable de la littérature de science-fiction du 20e siècle était une gageure.
Un album au format carré (comme pour 1984) librement inspiré de l’œuvre de l’écrivain et journaliste britannique que Xavier Coste a co-scénarisé et co-écrit avec Philip Börgn. Une édition Sarbacane.
La fin d’une ère
Fin (de)1984, Big Brother annonce à sa population une grande nouvelle. Le parti a remporté sa plus grande victoire, ses ennemis sont terrassés. Une victoire totale pour la population qui doit, sans relâche, continuer à œuvrer pour la grandeur de l’État et de son chef.
Mais voilà que nous apprenons, dès les premières pages de ce Journal de 1985, qu’un attentat a eu lieu le 8 décembre 1984. Le système politique a donc changé et l’An 1 d’un nouveau régime a été proclamé le 24 janvier 1985.
Ce n’est pas pour autant que la paix et la tranquillité règnent dorénavant sur l’Océania. Bien au contraire, les combats contre l’Eurasia et l’Estasia ont repris de plus belle. Londres vit sous les bombardements continus des ennemis fascistes alors que la neige recouvre la ville.
De bien étranges graffitis
Alors que la population est appelée à participer chaque jour à la minute de la haine, d’étranges inscriptions commencent à faire leur apparition sur les murs de la capitale. Marquées à la peinture rouge, elles représentent le visage d’un homme ainsi que la lettre W.
Mais un jour, alors que l’individu masqué qui les effectue est surpris accomplissant ce signe de résistance, il fait tomber un livre en s’enfuyant. Si cet homme a réussi à échapper à cette patrouille, il laisse donc derrière lui, pour la première fois, un indice. Celui-ci pourrait conduire les autorités vers une forme d’opposition au régime en place.
Le livre trouvé s’intitule Le Livre de Winston. Il comporte sur la couverture le même dessin de visage et la lettre W que ceux inscrits sur les murs. Mais qui a décidé de se servir de la figure de Winston pour marquer son opposition au régime ? Une traque est organisée par O’Brien bien décidé à découvrir ce nouvel ennemi.
Un journal caché
Si l’image de Winston Smith fait son apparition au début de Journal de 1985, ce n’est pas lui qui sera le principal protagoniste de cette « suite ». Et c’est donc à travers, un journal caché, celui de Lloyd, que nous découvrons le héros de cette histoire.
Lloyd Holmes habite Londres, en Océania. Il est un gardien du temple. Ou plus exactement, le parti lui a attribué un travail qui consiste à assurer la surveillance de nuit du Palais de la Victoire dédié au culte de Big Brother.
Mais en dehors de cette existence bien millimétrée, Lloyd cache une autre vie. Disposant d’un pass, il est autorisé à circuler partout dans la ville. Il peut donc se rendre dans une partie éloignée du centre de Londres où il a étrangement souvent à faire. Même si cela provoque chez lui à chaque fois une peur immense.
Une organisation secrète
Parce que Lloyd fait partie d’un mouvement illégal de résistance, l’Organisation. Avec son laissez-passer et la possibilité de circuler à sa guise, il peut ravitailler son réseau. En effet, les membres qui en font partie vivent eux terrés dans un abri, dont ils ne sortent jamais en raison des risques qu’ils encourent. Malgré la peur quotidienne de se faire arrêter, son rôle est primordial. Même s’il risque sa vie.
Mais un jour, par un étrange hasard, une rencontre inattendue et familière bouleverse sa vie. Sa double existence et sa couverture patiemment construite pourraient se fissurer, s’il était découvert. Et ainsi mettre fin à ce mouvement de résistance. Comment alors agir face à cette terrible menace ?
Un projet osé
Après une pause avec L’Homme à la tête de lion et le milieu des freaks, Xavier Coste réintègre l’univers orwellien, qu’il affectionne tant. Mais comment faire quand on sait que le roman 1984, écrit en 1948 et publié en 1949, a déjà sa propre fin ? L’auteur d’Egon Schiele, Vivre et mourir a trouvé la solution. Pourquoi ne s’inspirerait-il pas librement de l’œuvre de George Orwell pour écrire sa « suite » en respectant, bien évidemment, le cadre de cette dystopie.
C’est donc accompagné de Philip Börgn qu’il a écrit et scénarisé Journal de 1985. Les auteurs se sont donc inscrits dans la continuité et dans l’atmosphère du récit d’Orwell. Pour cela, rien de mieux que de garder l’ambiance en lui adjoignant un nouveau protagoniste. Winston a disparu, mais Lloyd prend sa place et surtout endosse son courage pour se battre à son tour contre la dictature.
La noirceur du roman est toujours aussi présente, il ne pouvait en être autrement. L’auteur nous plonge dans un univers froid et dénué d’humanité. Là où les bâtiments monumentaux, tout comme l’ombre de Big Brother, ont pris le dessus sur les hommes.
Un dessin froid
Si 1984 avait fait la part belle aux trois couleurs primaires, jaune, bleu et rouge, Journal de 1985 fait apparaître d’autres couleurs comme l’ocre, le violet, le saumon. Mais également un étonnant mordoré qui anime une grande partie du récit.
La froideur recouvre également le dessin. Et c’est par l’intermédiaire de taches blanches représentant une neige omniprésente que Xavier Coste pose comme couverture assourdissante sur cet univers étouffé par la peur et la violence. Comme si ce froid engourdissait l’esprit et la volonté de ces hommes et femmes tombés sous la coupe de Big Brother. Un leader à la fois omniprésent par l’image, mais totalement invisible aux yeux de son peuple.
À nouveau avec cet album, comment ne pas s’interroger face à ce monde où l’humain est pris en otage. Il ne dispose ainsi plus de la force pour se battre. Ou plus exactement, il est anéanti par une telle terreur tellement sombre et omniprésente, qu’elle l’empêche de lutter pour recouvrer la liberté.
Avec Journal de 1985, publié chez Sarbacane, Xavier Coste nous montre, une fois de plus, l’immense talent qu’il est capable de déployer pour donner vie à des récits aussi sombres que celui-ci.
Mais n’oublions pas la part poétique qui réside en lui quand il réalise des albums tels que Rimbaud, l’indésirable ou L’Enfant et la rivière.
- Journal de 1985
- Auteur : Xavier Coste
- Co-Scénariste : Philip Börgn
- Librement inspiré de l’œuvre de George Orwell
- Éditeur : Sarbacane
- Prix : 29,00 €
- Parution : 04 septembre 2024
- Pagination : 272 pages
- ISBN : 9791040806370
Résumé de l’éditeur : Un individu cagoulé tague un visage géant sur le mur d’un immeuble de Londres. Repéré par une caméra, la milice essaie de l’appréhender. L’homme fuit. Dans la précipitation, un livre tombe de sa poche : Le livre de Winston. Le livre est rapporté au camarade O’Brien. Pour remonter jusqu’à celui qui est à l’origine du livre, son ordre claque : « Préparez-moi une liste de noms. Je veux que l’on identifie tous ceux qui ont été en contact avec Winston durant sa captivité. Le coupable est forcément parmi eux ». Une longue série d’arrestations et d’interrogatoires plus tard, où chacun d’eux a « avoué », il ne reste plus qu’une personne sur la liste : O’Brien lui-même. « Mais si ce n’est personne de la liste, alors qui est à l’origine du livre ? », se demande le camarade Secrétaire Général O’Brien alors qu’il est arrêté. Dans la foule haineuse qui assiste à son exécution, un homme jeune se hâte. Il s’appelle Lloyd, il doit rejoindre avant le couvre-feu ses camardes, membres d’une organisation secrète de résistance …
À propos de l'auteur de cet article
Claire Karius
Passionnée d'Histoire, j'affectionne tout particulièrement les albums qui abordent cette thématique. Mais pas seulement ! Je partage ma passion de la bande dessinée dans l'émission Bulles Zégomm sur Radio Tou'Caen et sur ma page Instagram @fillefan2bd.
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