Pour avoir trahi le fils de Dieu et provoqué sa mort, Judas est à jamais honni de tous. Mais en réalité, qui sait ce qui s’est exactement produit ? Pas de son vivant, bien entendu, mais après sa mort. Jeff Loveness et Jakub Rebelka nous racontent cette histoire dans un formidable écrin dont les éditions 404 ont le secret.
Judas : « Mieux eût valu pour cet homme-là de ne pas naître. »
Trente deniers…
Tel fut le prix de la trahison pour Judas Iscariote.
L’histoire est connue de tous. Et nul n’ignore que c’est pour avoir livré Jésus de Nazareth que l’apôtre se pendit.
Les évangiles n’en disent pas davantage. Et curieusement, pas un mot sur cette voix sombre qui murmurait à ses oreilles. Pas un mot non plus sur les questions qui ont torturé le coupable idéal.
« Savais-tu que ce serait moi ? »
« Est-ce pour cela que tu m’as choisi ? »
Celui pour qui l’enfer tout entier fut créé.
Plus étonnant encore, nul ne semble s’intéresser à ce qui s’est passé après la mort de Judas, à son séjour aux enfers et aux interrogations qui alors germèrent dans son esprit.
« Si tu étais capable de faire toutes ces choses… Si tu avais ce pouvoir… Si c’était si facile pour toi… Pourquoi la vie était ainsi faite ? »
« Pourquoi le monde est-il si empreint de douleur ? »
« Pourquoi le monde meurt-il de faim ? »
Mais comme souvent, bien plus que les questions, ce sont les réponses qu’il faut craindre.
« J’ai cru que tu pourrais changer le monde. Mais tu as choisi de ne rien faire. Tu as choisi d’être ça. »
Dans ces conditions, qui est le traître, qui est le trahi ?
L’évangile de Judas.
Manifestement iconoclastes, les propos tenus dans Judas interpellent. Pour autant, ils ne sont pas aussi révolutionnaires qu’il y paraît. En effet, en réalité, ils prolongent la thèse présentée dans l’Évangile de Judas, un écrit du IIe siècle après Jésus Christ.
Dans ce texte considéré bien entendu comme apocryphe, et surtout très incomplet, on apprend que ce serait Jésus qui aurait demandé à son disciple préféré de le livrer. Ainsi, par la mort, le fils de Dieu se retrouverait débarrassé de son enveloppe matérielle et retournerait vers le divin. Dès lors, Judas n’est plus un traitre. Au contraire, il est l’ami fidèle qui permet à Jésus de se réaliser. Et c’est dans cette veine que Jeff Loveness a choisi d’inscrire son récit.
La dernière tentation de Jeff Loveness .
Pour autant, en consacrant une œuvre entière à un des personnages les plus détestés de l’histoire, le scénariste surprend. Néanmoins, il convient de préciser immédiatement qu’à aucun moment, il ne souhaite blasphémer ni même choquer. Car s’il est vrai que les rôles sont rebattus dans son interprétation du mythe, cela ne présuppose pas obligatoirement une inversion des rôles. Et en réalité, ce que souhaite Jeff Loveness, c’est tout simplement porter l’attention sur l’autre, celui qui a trop rapidement été considéré comme le méchant de l’histoire. Et disons-le sans détour, le résultat est passionnant.
Porté par une narration laconique et maîtrisée, on est comme envoûté par cette aventure qui mêle astucieusement références au texte apocryphe du IIe siècle et inventions particulièrement bien senties. Mais quiconque a porté les yeux sur ne serait-ce qu’une planche de Judas sait qu’il existe une autre raison à cet engouement : les dessins.
Le miracle Rebelka.
Le fait est que tout émerveille dans le dessin de Jakub Rebelka (Le dernier jour de H.P. Lovecraft). En cohérence parfaite avec le sujet abordé, il adopte un style d’une pureté absolue qui emprunte beaucoup à la peinture gothique.
Sombre et exaltée, son approche artistique vise avant tout à créer des atmosphères. Ainsi, on remarque un réel travail sur l’usage de palettes de couleurs bien précises. Le contraste est alors saisissant entre l’ocre du monde des vivants, le cyan des enfers et le rouge sang des limbes. Et à chaque fois, le seul point commun reste Judas, le ténébreux, l’inconsolé, reconnaissable à son auréole noire. Le trait fin et précis de Jakub Rebelka parvient à retranscrire à merveille toutes les situations, tous les lieux et toutes les passions. Et dans le même esprit que celui de Jeff Loveness, l’artiste se permet des innovations qui évoquent parfois un préraphaélisme merveilleusement torturé et tortueux comme une couronne de ronce.
Un formidable livre-objet.
Enfin, comment ne pas souligner l’exceptionnel travail d’édition réalisée par 404 ? En plus des qualités du scénario et des dessins, on apprécie réellement le souci porté à la création de l’objet qu’on a entre les mains. Les finitions mates de sa couverture, son dos wibalin, l’usage d’un Pantone 8642C et le grammage exceptionnel de 170g viennent parfaire une expérience de lecture inoubliable.
- Judas
- Scénariste : Jeff Loveness
- Dessinateur : Jakub Rebelka
- Editeur : 404 Comics
- Prix : 22 €
- Sortie : 24 octobre 2024
- Pagination : 136 pages
- ISBN : 9791032408292
Résumé de l’éditeur : Voici le voyage de Judas Iscariot à travers la vie et la mort, cherchant un sens et une place dans » La plus grande histoire jamais racontée « , puisque toutes les histoires ont fondamentalement besoin d’un vilain. Judas Iscariot est l’une des figures les plus tragiques de la Bible – un acolyte, un traître, un antagoniste. Mais sans Judas, l’histoire de Jésus ne fonctionnerait pas. Avant sa naissance, il était déjà esclave de l’histoire et dans une religion fondée sur la rédemption et le pardon, un homme devait se sacrifier pour sauver l’humanité… mais cet homme ne se nommait pas Jésus. Voici son histoire, depuis son suicide jusqu’au tréfonds des enfers. Écrit par Jeff Loveness (Apparition dans le ciel de Berlin-Est, Nova…), nominé aux Emmy Awards et WGA, et illustré par Jakub Rebelka (Le Dernier Jour de Howard Phillips Lovecraft), Judas est une odyssée visuellement saisissante qui suit Judas Iscariot à travers les profondeurs de l’enfer dans une histoire puisée entre les lignes de la Bible et des supposées hérésies dont l’Évangile de Judas fait partie.
À propos de l'auteur de cet article
Victor Benelbaz
Tombé dans la marmite de la bande dessinée depuis tout petit, Victor est un vrai amateur éclairé. Comics ou récits jeunesse sont les deux genres préférés de ce professeur de français.
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