Kebek

Kebek est un diptyque de Philippe Gauckler édité chez Daniel Maghen. Ce récit de science-fiction se déroule dans la province d’Eeyou Istchee Baie-James au Québec. A quelques kilomètres de la zone d’extraction des diamants, une secousse fait trembler la terre. Roy Koks responsable de la prospection doit inspecter les dégâts. Il découvre, là où la colline s’est effondrée, une immense et intrigante sphère noire.  

La sphère

La découverte de cette sphère sur cette terre exploitée par le groupe industriel Sekoya ne peut pas rester cachée. La population, l’Etat, la police et les médias, tout le monde doit être informé. Le premier ministre et le ministre des ressources naturelles annoncent alors la naissance du « Projet UGO » (Unidentified Geological Object) et des fonds de nombreux donateurs affluent du monde entier. Les travaux commencent une structure entoure la sphère.

Les découvertes de Natane et de Roy allias Kebek

L’exploration de la sphère révèle qu’il n’y a pas une mais deux sphères. La première entoure la seconde. Un liquide qui ressemble à de l’eau les sépare. Natane, géomètre-géologue et fille du chef de la communauté des Cris, découvre de nombreux hiéroglyphes dessinés sur les parois des grottes aux alentours. D’où peuvent-ils venir ? Sont-ils en lien avec la sphère ?

Cette histoire rapproche Natane et Kebek mais depuis la découverte de la sphère, il rêve chaque nuit d’une femme sans visage.

Les deux sphères sont ouvertes, Roy est le premier à l’explorer. Il y découvre des choses mystérieuses.

Le pouvoir de l’intrigue

Philippe Gauckler nous pousse dans nos retranchements, il manie l’intrigue avec une très grande dextérité. Plus le lecteur avance dans cette lecture, plus il a envie de comprendre les liens qui unissent cette terre, cette sphère et ces personnages. Il maintient le suspens tout au long de ce premier tome et le ponctue d’une manière magistrale. Ses dessins entièrement réalisés en couleurs directes sont splendides. L’utilisation quasi-systématique des tons bleus n’est sûrement pas due au hasard.

En savoir plus sur l’auteur de Kebek

Philippe Gauckler débute en illustrant de courtes histoires de Charles Imbert pour Métal Hurlant éditées par Les Humanoïdes Associés. Elles seront réunies en deux albums Suicide Commando en 1983 et Duel en 1984 . Il publie toujours pour Métal Hurlant la série Blue entre 1985 et 1987. Après plusieurs années où il exerce dans la publicité il revient en 2006 avec une série jeunesse en solo : Prince Lao. Avec Koralovski il rentre au Lombard avec un thriller à haute tension.

  • Philippe Gauckler a bien voulu répondre à quelques questions sur sa série. Il nous livre au passage 2 indices concernant la suite des événements.
Article posté le lundi 30 septembre 2019 par Yoann Debiais

6 questions à Philippe Gauckler

Pourquoi avoir choisi « les monts Otish » et la « Nation Crie d’Eeyou Istchee » comme cadre pour cette BD ?

A l’origine, j’avais placé le site de la mine de diamant en Yakoutie, une province russe située en pleine Sibérie, isolée de tout. J’avais localisé un cratère d’impact météoritique (où les Russes ont découvert de grandes quantités de diamants potentiellement récupérables).
Les protagonistes étaient les travailleurs de la mine, des autochtones du peuple premier chamanique Yakoute, un peu de service d’ordre, quelques médias.
Je venais de réaliser 3 épisodes de ma série « Koralovski » au Lombard, l’histoire d’un oligarque russe ayant eu des problèmes avec l’état et j’étais en attente du feu vert éditorial pour me lancer dans la réalisation du tome 4.
Je m’étais cependant rendu compte que nous avions encore une difficile perception de la Russie en occident . Le vieux logiciel « Union Soviétique » et les clichés de propagande occidentale persistaient à nous vendre la Russie comme un perpétuel ennemi. Je n’avais pourtant rencontré que des lecteurs curieux et cultivés, mais j’ai été découragé par le peu d’empressement de mon éditeur à poursuivre finalement l’aventure « Koralovski ».
Entretemps j’étais tombé sur une intéressante source de documentation concernant l’ouverture d’une mine de diamant dans la région des monts Otish au nord du Québec. Il y avait le peuple premier, les Indiens cris, eux aussi d’essence chamanique, et un éventuel cratère d’impact météoritique.
Je disposais des mêmes ingrédients pour bâtir mon récit et des mêmes rapports de force entre groupes de protagonistes.
Du coup j’ai tout transféré au Québec, et (re-)baptisé mon histoire par la même occasion.

Tuer le personnage principal de la BD dès la seconde page n’est pas monnaie courante. Pourquoi ce choix ?

Cela me permettait de suggérer au lecteur de se poser cette question: comment un type « mort » peut-il raconter la suite de l’histoire?… Mais à cet instant-là, est-il vraiment mort?… J’ai écrit « son cœur s’est arrêté… »

A plusieurs reprises le signe Infini et le cercle divisé en 4 couleurs reviennent. Est-ce que ces signes ont une importance pour la suite de l’histoire ?

J’ai découvert que le signe infini bleu sur fond blanc est le symbole des Indiens métis en Amérique du Nord.

Le cercle de 4 couleurs est le symbole des divers peuples premiers d’Amérique du Nord, chaque couleur ayant une valeur représentative (humain, animal, végétal, minéral/ Air, eau, terre, feu…), il représente une pensée circulaire, une spiritualité de compréhension du vivant.
La sphère donne la piste d’un univers circulaire, l’eau de la sphère et son fluide vital… La suite de l’histoire va nous montrer un univers qui respecte un ordre naturel cosmique, comme les peuples premiers respectaient leur environnement avant la brutale colonisation occidentale.
On ressent dans cette BD orientée science-fiction un livre qui aborde aussi  des thèmes importants dans notre société actuelle : exploitation des sols, politique, environnement et prise en compte des populations… Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet ?

Je n’adopte pas une posture moralisatrice mais il est difficile de s’approcher de l’histoire des peuples autochtones d’Amérique du Nord sans penser à un immense gâchis, à une perte irréparable de potentiel spirituel et de connaissances secrètes des mondes vivants.

Ce qui subsiste de cette civilisation plurielle nous fait deviner l’étendue de notre perte.

Jamais nous n’aurions dû scarifier la terre à la recherche de toutes sortes de substances que nous avons transformé de force. Nous sommes une civilisation prométhéenne, nous avons extorqué à la nature de nous livrer ses secrets.

Ce que je voudrais montrer, c’est qu’une civilisation ayant observé les forces de la nature aurait pu s’en servir sans contraindre, sans salir, sans polluer. Des centaines de femmes et d’hommes ont cherché et trouvé des solutions de domestication de l’énergie qui ne violent pas les lois de la nature terrestre et cosmique.

Notre modèle de civilisation est fondé sur une infinie consommation qui produit des montagnes de déchets que l’on ne peut pas réintégrer dans des circuits naturels.

Très tardivement nous avons pris conscience que ce mode de vie était suicidaire, alors on a inventé la transition énergétique, le recyclage, des concepts pour contenir l’inévitable panique devant le fait accompli, l’ irréversibilité de notre élan destructeur.

Dans le tome 2, je vais décrire comment cette découverte, cette chance qui nous est offerte de changer notre mode de vie aurait dû nous influencer…

Il y a vraisemblablement un lien entre Natane et la femme que l’on aperçoit à la dernière page de ce premier tome. Peut-on en savoir plus sans dévoiler la suite de l’histoire ?

Le lien entre ces 2 femmes, ce sera le personnage principal Roy Koks. L’autre lien, c’est que ces 2 femmes seront le symbole de la nature outragée. Elles seront à la fois complices et rivales, il y aura forcément une tragédie. Mais je ne souhaite pas envoyer de message fataliste, alors j’ai déterminé la fin que je souhaitais et j’ai composé l’histoire pour arriver à cette fin…

Pour finir, pouvez-vous nous parler de la genèse de cette BD ?

C’est une question piège, la réponse ne peut pas être brève…

A mes débuts, il y a une éternité, j’avais contacté René Barjavel pour lui montrer les premières pages que j’avais réalisées de l’adaptation de son roman « La Nuit des Temps ». J’avais été très touché par l’accueil chaleureux, l’extrême gentillesse et la générosité de cet homme.

Il m’avait encouragé à poursuivre mon projet et c’est moi qui ai freiné; je me suis rendu compte de la charge de travail, de la responsabilité de mener à bien un tel projet.

J’avais laissé dans un coin de ma tête ce moment incroyable, mélange de culot, d’inconscience et d’appétit de créer.

Comme pour renouer avec ce carrefour de vie, essayer de reprendre le chemin que je n’avais pas suivi, je me suis demandé quel regard j’avais sur cette « Nuit des Temps » que j’avais laissé échappé.

J’ai relu le roman, il s’agit d’une histoire d’amour non partagée superposée à une histoire d’amour fusionnelle: difficile d’illustrer un texte aussi émotionnel et intimiste, même si l’action se déroule avec de multiples protagonistes et dans des lieux qui pourraient être spectaculaires.

Alors j’ai ré-inventé cette histoire, un peu comme Barjavel avait réinventé «La Sphère d’Or » de Erle Cox, roman qui était paru en France en 1925 et qui l’avait forcément influencé.

Mais je n’ai pas cherché à adapter le roman, je voulais garder une distance respectueuse, je ne voulais pas être le traître d’une adaptation périlleuse. Je souhaite garder la responsabilité des événements que je montre et des conséquences de ces événements.

En tout cas, il est très étrange que cette histoire survive en moi, alors que j’ai lu et vu de nombreux livres et films de science fiction et de fantastique qui ont eu eux aussi une forte influence.

Ce doit être sans doute une sorte de pré-bilan de vie : qu’est ce que j’ai fait de ma vie, qu’est-ce que j’ai envie de faire, qu’est-ce que je regrette de ne pas avoir fait, qu’est-ce que je peux encore faire ?

Kebek de Philippe Gauckler (Daniel Maghen)
  • Kebek
  • Scénario et dessin : Philippe Gauckler
  • Éditeur : Daniel Maghen
  • Prix : 19,00 €
  • Parution :  22 Août 2019
  • ISBN : 9782356740748

Résumé de l’éditeur : Mine de diamant de « La grande Ourse ». Fin d’été. Une secousse fait trembler la terre, suivie d’un effondrement de terrain dans un secteur proche de l’exploitation. Roy Koks, le responsable de la prospection et la géologue Natane se précipitent pour examiner la nature des dégâts. Une grande partie de la colline s’est effondrée dans un glissement de terrain sans doute dû aux pluies incessantes qui se sont abattues sur la région depuis des semaines. En recherchant les causes de l’accident, les prospecteurs vont découvrir une faille qui donne accès à une cavité souterraine. Au centre de cette cavité, un gigantesque bloc de rocher parfaitement sphérique…

À propos de l'auteur de cet article

Yoann Debiais

Yoann Debiais est un amoureux de la bande dessinée depuis de nombreuses années. Le temps et les rencontres lui ont permis de s'ouvrir à des lectures plus humaines et plus profondes. Il partage sa passion sur Instagram sous le compte @livressedesbulles. N'hésitez pas à découvrir son univers fait de partages.

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