Kill my mother

L’américain Jules Feiffer signe avec Kill my mother un vibrant hommage au film noir et au roman policier de l’entre deux guerres. Un pastiche réussi qui à travers le destin de trois femmes fatales questionne la société de son temps.

CHERCHEZ LA FEMME

Il y a d’abord Annie, une ado un peu rebelle. Sa mère, Elsie, qui tente de retrouver le meurtrier de son mari en se mettant au service de Neil Hammond, un détective privé pas très fin mais alcoolique. Il y a encore une grande femme blonde dont on ignore le nom et qui frappe un jour à la porte de ce privé et qui prétend être à la recherche d’un autre femme, Patricia Hugues. Nous sommes dans la ville de Bay City, Amérique, dans les années 1930. Voilà le singulier décor planté par l’américain Jules Feiffer dans un roman graphique à la fois déroutant et foisonnant, Kill my mother…

BOURRE-PIFS ET BAS-FONDS

De Bay city à Hollywood, il n’y a qu’un pas que l’on va bientôt franchir pour les besoins d’une enquête longue au cœur d’une intrigue familiale violente et complexe. Les histoires de ces trois femmes sont menées de front par l’auteur qui joue ici avec les codes d’un certain roman noir où se meuvent gangsters à chapeaux qui n’hésitent pas à défourailler quand il le faut ou jouer des poings. Puis des années 30 , on est transporté dix ans plus tard, après bien des rebondissements, dans une Amérique en guerre où les héros de ce mélo sont  bientôt appelés à monter sur une scène improvisée dans la jungle du pacifique Sud pour stimuler le moral des troupes…

LE DESSIN QUI FAIT L’HISTOIRE

On l’aura compris, il s’agit ici d’un pastiche qui entend rendre hommage à une certaine idée du cinéma et du roman. Jules Feiffer, aujourd’hui presque nonagénaire, ne s’en cache pas. Il a mis en exergue de cet album – a priori le premier volume d’une trilogie – quelques grands noms du cinéma et de la littérature : John Huston, Billy Wilder, Howard hawks, Hammett, Chandler…

Feiffer a déjà tout fait : BD et dessins de presse à foison mais aussi pièces de théâtre, scenarii, court-métrage, avec à la clé un prix Pulitzer en 1986 pour ses dessins de presse. Ici il semble bien s’amuser et nous dire attention ce que vous lisez n’est pas la vérité mais laissez-vous embarquer avec moi dans mes histoires, vous ne le regretterez pas. Ici, plus peut-être que ces intrigues à tiroirs, c’est le trait aérien qui porte l’ensemble et donne à toutes ces aventures une certaine unité. Un trait épuré qui semble parfois trembler fait danser les personnages sous le crayon et le pinceau. Le noir et blanc a été juste réhaussé de gris, de brun  de bleu et de vert.

On a vu en Feiffer un « Sempé américain « , en plus cynique… En plus noir. Pourquoi pas. Toujours est-il que cet auteur encore un peu méconnu en France du grand public gagne avec ce Kill my mother une nouvelle dimension.

Article posté le jeudi 17 janvier 2019 par Jean-Michel Gouin

  • Kill my mother
  • Auteur : Jules Feiffer
  • Editeur : Actes Sud Bd
  • Parution : mai 2018
  • Prix : 25€
  • ISBN : 978-2-330-09504-8

Résumé de l’éditeur. Le grand Jules Feiffer signe ici son premier roman graphique, et rend hommage aux privés du cinéma noir et aux bandes dessinées de son enfance. À travers le destin de trois femmes fatales aux rêves enchainés, Feiffer revisite la grande dépression, les figures de l’Amérique de l’entre deux guerres dans une mise en scène éblouissante.

À propos de l'auteur de cet article

Jean-Michel Gouin

Passionné par l'écrit, notamment l'histoire, la littérature policière et la bande dessinée, Jean-Michel Gouin est journaliste à Poitiers.

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