La dernière nuit de Mussolini. Jean-Charles Chapuzet et Christophe Girard retracent dans un roman graphique digne d’un polar historique les dernières heures du dictateur Benito Mussolini et de sa maîtresse Clara Petacci.
L’heure de la fuite
Nord de l’Italie. En cette nuit d’avril 1945, les abords du lac de Côme sont déserts. Ou presque. Une pluie fine hachure le ciel de Lombardie. C’est ici qu’un certain Benito Mussolini et sa maîtresse Clara Petacci ont trouvé refuge, au terme d’une cavale de quelques jours. Et c’est cet épisode tragi-comique que retracent minutieusement le journaliste-historien Jean-Charles Chapuzet et le dessinateur Christophe Girard dans La dernière nuit de Mussolini, un roman graphique richement documenté publié en ce début d’année chez Glénat.
Assoiffé de pouvoir
Traqué par la résistance italienne et les forces alliées, l’inventeur du fascisme va finir tragiquement sa vie à 62 ans, pendu par les pieds avec sa maîtresse sur une place milanaise puis livré à la vindicte populaire, défiguré sous les coups… Avant bien sûr d’évoquer ce moment, les auteurs, s’appuyant sur les travaux récents de plusieurs historiens, s’attachent à retracer les épisodes clés de la vie de « ce gamin du peuple », de « l’enfant de Predappio » à la jeunesse mouvementée, ne rechignant jamais à faire le coup de poing et amoureux volage.
Car avant de devenir, à l’instar d’un Hitler ou d’un Staline, une figure du mal, Mussolini avait commencé son ascension politique à gauche.
Ainsi en 1901, alors instituteur, il professe que « la religion et le capital sont le choléra! ». En 1913, il est à la tête du quotidien du parti socialiste italien « Avanti ». Puis, exclu de ce même parti , il fonde son propre journal « Il popolo d’italia », combattant désormais les idées pour lesquelles il s’était engagé. « Le bolchevisme est désormais l’ennemi, déclare-t-il en 1919. « Il faut restaurer la grandeur de l’empire romain » ajoute-t-il deux ans plus tard. Car, croit-il encore, « grâce à la fusion des idées du socialisme révolutionnaire et du nationalisme, nous ferons le salut de l’Italie ».
En 1922, c’est la marche sur Rome. Mussolini et ses chemises noires s’emparent du pouvoir. L’homme, plus que jamais assoiffé de grandeur, devient premier ministre, ministre de l’intérieur et des affaires étrangères…
« Je suis l’Italie. Je suis le fascisme! »
Attribuée à Mussolini, cette phrase résume à elle seule ce qu’a pu être l’homme, ivre de sa propre puissance, enfermé jusqu’à la fin dans des certitudes qui auront mené son pays à la ruine et à la guerre, aux côtés d’une Allemagne alors elle aussi toute-puissante. Mais en 1943, la trajectoire du dictateur transalpin sera stoppée. De plus en plus isolé, malade, Mussolini va connaître la déchéance. Les souvenirs remontent à la surface…
Ce sont ces va-et-vient de la mémoire que les auteurs proposent à travers une belle variété de composition, dans des planches déconstruites ou un ordonnancement plus linéaire selon les moments historiques évoqués. Des couleurs chaudes ou froides ( les gris et les rouges dominent ) sont utilisées selon le degré de violence atteint, montrant des corps qui exultent au cours de scènes érotiques parfois brutales dont le dictateur était coutumier.
Un passé qui ne passe pas?
La célèbre phrase-titre du livre des historiens Henry Rousso et Eric Conan, « Vichy, un passé qui ne passe pas » s’appliquera peut-être ici aussi à ce roman « historico-graphique ». Car aujourd’hui, notent encore les auteurs en fin d’album, l’Italie (et avec elle une partie de l’Europe) ne semble pas en avoir tout à fait fini avec ses vieux démons.
Des supporteurs fascistes de foot hurlant dans les stades, une présidente du conseil, Giorgia Meloni, « héritière controversée de la doctrine fasciste », semblent nous dire que l’héritage de Mussolini n’a pas été soldé…
Hors de tout jugement mais avec le souci des faits, cette « dernière nuit de Mussolini » fait donc ici œuvre utile dans la connaissance de cette période troublée de l’histoire.

- La dernière nuit de Mussolini
- Scénariste : Jean-Charles Chapuzet
- Dessinateur : Christophe Girard
- Éditeur : Glénat
- Prix : 21, 50 €
- Parution : 8 janvier 2025
- Nombre de pages : 128
- ISBN : 9782344056158
Résumé de l’éditeur. La photographie du Duce et de sa maîtresse Clara Petacci pendus par les pieds sur la place Loreto de Milan a fait le tour du monde. Et la résonance de ce cliché a souvent occulté dans la mémoire collective la dernière cavale de Mussolini sur les bords du lac de Côme… Mussolini n’est pas mort à Milan. Fuyant la résistance italienne comme les forces alliées, Mussolini et Clara Petacci tentent de rejoindre la Suisse en compagnie de quelques fidèles du régime. Cette fuite désespérée, proche du grotesque, prendra fin une soirée d’avril 1945, sous une pluie fine, en Lombardie : Mussolini démasqué est finalement arrêté, déguisé, planqué et fusillé le lendemain matin sur les berges de ce lac d’une beauté rare. Cette dernière sortie pathético-romanesque, d’une violence inouïe, est à l’image de la trajectoire de celui qui inventa le fascisme. En quelques jours tout remonte à la surface.
Après Le Matin de Sarajevo et L’Affaire Zola, Jean-Charles Chapuzet et Christophe Girard nous entraînent dans une cavale de trois jours pour revivre les dernières heures du dictateur et mieux comprendre son rapport au pouvoir, comme son rapport aux femmes. Avec ce roman graphique digne d’un polar historique, les auteurs nous livrent les moments-clés de la vie de cette figure à la fois grotesque et terrible, peu exploitée en bande dessinée. Entre grandeur et décadence, amour et clandestinité, on traverse les heures sombres du XXe siècle et on entre dans l’intimité d’un couple au destin tragique. Une œuvre riche et documentée.
À propos de l'auteur de cet article
Jean-Michel Gouin
Passionné par l'écrit, notamment l'histoire, la littérature policière et la bande dessinée, Jean-Michel Gouin a été journaliste radio et presse écrite pendant une trentaine d'années à Poitiers.
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