La maison des impies

Ed Brubaker et Sean Phillips représentent le duo le plus célèbre du polar comic-book. En cette fin d’année, les éditions Delcourt nous proposent un nouvel opus des deux artistes après Là où gisait le corps : La maison des impies, tourné vers l’horreur cette fois-ci. Mais ce polar horrifique cache bien plus qu’il n’y semble et pourrait bien être l’une des meilleures prestations du binôme…

La maison des impies : La petite sueur froide de fin d’année !

Natalie Burns a été une enfant star. Du moins célèbre. Durant son enfance, elle a été victime d’une secte sataniste, qui a abusé et violenté tout un groupe d’enfants, surnommés les « six de Satan » depuis lors. Adulte, elle est interpellée par un agent du FBI. Deux membres du groupe viennent de mourir dans des circonstances étranges laissant penser que les satanistes sont de retour.

Attention, surprise !

Vous avez apprécié le résumé de l’histoire ? Parfait, mais ne vous y attachez pas. Ce comic-book n’est pas ce qu’il prétend être. Ed Brubaker semble prendre un malin plaisir à vendre une histoire d’horreur assez classique, pour mieux détourner son propos en cours de route. Et donc non, La maison des impies n’est pas une énième histoire de secte violente et barbare. C’est une étude sociologique sur l’expression du satanisme dans la culture religieuse américaine des années 80. Mais ça reste du polar, ne vous en faites pas. Là-dessus, Brubaker et Phillips sont fidèles à ce que l’on attend d’eux.

La maison des impies page 22 Delcourt

Le point culture de l’article

Un bref rappel sur la religion aux États-Unis. Le pays est fondamentalement chrétien, héritage des vagues migratoires européennes venues d’Europe. Mais ce n’est pas un pays catholique. Les USA sont un pays d’origine protestante. L’acronyme WASP, White Anglo-Saxon People, désignant le cœur historique de la Nation. Attention, ce ne sont pas des protestants luthériens, comme en Europe. Ce sont des protestants évangélistes, un courant qui s’est largement développé sur les terres américaines. Et la religion en général tient une place extrêmement importante dans ce pays. Résultat, les croyances les plus sombres peuvent parfaitement s’y épanouir.

La maison des impies pose la question de Satan

Il y a deux sujets, dans ce livre, le premier étant le rapport des croyants américains à la figure de Satan. Si en France, l’image du Diable relève plus de la superstition, pour les évangélistes, le sujet est central. L’ennemi héréditaire, le Mal dans son essence pure, est aussi réel que ne l’est Dieu, force du bien. Et non, nous ne sommes pas en train de parler de Fantasy…

Ed Brubaker vient donc observer comment cette figure du diable a pu imprégner la société américaine. A la fois en tant que peur et en tant que fantasme. Satan pouvant être partout, il convenait pour certaines et certains croyants de s’en méfier en permanence et de lutter contre son influence en toutes circonstances.

Et en effet, il existe une Église de Satan, depuis 1966 aux États-Unis. Autant dire que l’ennemi devenait très concret pour les croyants rigoristes évangélistes.

Satan a bon dos

Attention, ce paragraphe dévoile quelque peu les éléments d’intrigue, passez au paragraphe suivant si vous ne souhaitez pas en savoir plus sur la fulgurance du scénariste.

La maison des impies page 68 Delcourt

Le deuxième sujet porté par Brubaker, c’est donc la réalité de cette influence sataniste et la façon dont les humains peuvent l’utiliser en tant que prétexte pour leur propre folie.

Ce point est rapidement démonté dans l’histoire : les enfants ont menti. Il n’y a pas eu de culte sataniste. Il y a eu une accusation initiale, un mensonge originel, qui a poussé des adultes pétris de superstitions, désireux de croire en cette influence, à enfoncer ces idées dans l’esprit des jeunes enfants.

Le véritable sujet d’Ed Brubaker, c’est la façon dont une société humaine peut s’auto-intoxiquer jusqu’à l’aveuglement. Dont elle peut embrigader sa jeunesse jusqu’à lui faire dire des choses qui n’ont jamais existé. Parce que ce sont nos angoisses d’adultes, qui nourrissent le fait religieux, dans une construction sociale collective qui vise à diminuer ces angoisses. Pour le bien, quand une personne aborde ses derniers instants avec apaisement quand elle croit au Paradis. Pour le mauvais, quand nous cachons nos propres penchants pervers derrière un concept qui nous déresponsabilise largement.

La maison des impies, la petite claque de cette fin d’année.

Oui, Brubaker et Phillips produisent beaucoup de mini-séries ensemble. Et ici, le dessinateur tient la même place qu’il tient à chaque fois, sans faille ni performances notables. Mais les deux, ensemble, transmettent avec La maison des impies, chez Delcourt, une œuvre puissante et surprenante, qui mérite d’être lue par de très nombreux lecteurs, au-delà de l’audience habituelle du duo.

Article posté le mercredi 13 novembre 2024 par Yaneck Chareyre

La maison des impies Delcourt
  • La maison des impies
  • Scénariste : Ed Brubaker
  • Dessinateur : Sean Phillips
  • Éditeur USA : Image Comics
  • Éditeur France : Delcourt
  • Traduction : Doug Headline
  • Date de publication France : 23 Octobre 2024
  • Nombre de pages : 144
  • Prix : 18€50
  • ISBN : 9782413086857

Résumé éditeur : La Maison des Impies se situe entre le récit d’horreur et le film noir déjanté, directement lié à l’engouement pour les cultes sataniques au cours des années 1980. La peur – qui était partout à l’époque – a clairement refait surface depuis quelques temps, et ce mélange entre noirceur et horreur m’a donné envie de replonger dans ces eaux troubles afin d’essayer d’en donner une version ‘à la Brubaker-Phillips’.

À propos de l'auteur de cet article

Yaneck Chareyre

Journaliste , critique et essayiste BD depuis 2006.

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