La peur au ventre

Avec cet album La peur au ventre publié chez Eidola, nous voici replongés dans les balbutiements d’un pays qui était, en 1981, une démocratie depuis seulement quelques années, l’Espagne. Et c’est à travers les yeux de deux enfants, que nous découvrons combien il est difficile de grandir, qu’on soit un humain ou bien un pays.

Deux enfants en proie au harcèlement

Espagne 1981, Raul et Adrian sont élèves au collège Federico Garcia Lorca. Mais les deux garçons sont l’objet de moqueries de la part de certains autres collégiens. Ce qu’ils cachent d’ailleurs à leurs parents, de peur que la situation ne s’envenime.

Raul est surnommé porky et cochonnet en raison de son embonpoint. De plus, sa passion pour les bandes dessinées suscite l’envie d’un garçon, Monterro. Celui-ci le menace de s’en prendre physiquement à lui s’il ne lui donne pas les albums qu’il lui réclame.

Adrian est obligé de porter une attelle en fer pour maintenir sa jambe droite. Son harceleur, c’est Monsieur Arsenio le professeur de mathématiques. Ce dernier, un admirateur de Franco, n’arrête pas de se moquer de lui, en raison de son handicap, et surtout de le railler devant la classe entière.

Une situation politique encore instable

Mais un jour, un étrange homme barbu remet à Adrian un message anonyme écrit avec des lettres découpées dans un journal. Le collège doit changer de nom (l’actuel étant celui d’un poète homosexuel) ou bien les terroristes feront sauter l’établissement. Ces menaces sont en effet prises très au sérieux, certains parents soupçonnant l’ETA (Euskadi Ta Askatasuna) d’en être à l’origine.

Les deux garçons sont interrogés par la police, d’autant plus que la situation politique de l’Espagne en ce mois février 1981 est des plus instables. En effet, le roi Juan Carlos 1er,  installé au pouvoir par Franco après une dictature de 36 années, a mené son pays vers la démocratie.

Mais ce changement de régime politique ne convient pas à tous les Espagnols. Les soutiens à Franco pensaient que le nouveau roi continuerait dans la droite ligne politique de celui qui avait été son mentor. En effet, alors que la famille royale était en exil, Franco avait déjà fait de Juan Carlos de Bourbon son successeur, alors que celui-ci, en 1948, n’était âgé que de dix ans.

Le futur roi Juan Carlos avec le général Franco, à Madrid, en juin 1971.

Photo AFP

23 F ou l’échec d’un coup d’état

Mais la guardia civil va essayer de reprendre le contrôle de l’Espagne en perpétrant un coup d’État au sein même du Congrès des députés. Cette invasion de la chambre basse des Cortes Generales est menée par le lieutenant-colonel Tejero, accompagné de militaires en armes, à l’occasion d’une session parlementaire.

Antonio Tejero Molina ancien colonel de la Garde civile espagnole, nostalgique du régime franquiste. Il est un des principaux organisateurs de la tentative de coup d'État du 23 février 1981, connu en Espagne sous le nom de 23-F. ©AFP - EUROPA PRESS

23-F Tentative de coup d’État en Espagne

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Ce coup d’état sera filmé par la télévision. Et c’est par une intervention télévisée pendant la nuit, que le roi, en tenue militaire pour bien montrer qu’il était à la tête de l’armée, mettra fin à cette tentative de déstabilisation d’une Espagne devenue démocratique.

La peur au ventre : Un parallèle judicieux

David Muñoz et Antonio Trashorras, les scénaristes de La peur au ventre, ont parfaitement réussi à mettre en avant la petite histoire, celle de deux enfants victimes de la méchanceté et du harcèlement des autres en raison de leurs différences.

Mais ils décrivent également, à travers les yeux de ces deux collégiens, la situation d’un pays et sa difficulté à devenir, mais surtout à rester, une démocratie face à des hommes pour qui le Caudillo incarnait un idéal de gouvernance.

Ainsi grâce aux conversations des adultes, les parents de Raul et Adrian et les enseignants du collège, on comprend mieux la difficulté d’instaurer un régime démocratique et les revendications de chacun au nom de son propre idéal politique.

Un dessin sobre et réaliste

Pour être en adéquation avec l’Espagne de ce début des années 1980, Javier Rodriguez (dessin et couleurs) et Delphine Rieu (couleurs et traduction) ont choisi d’utiliser un trait et un dessin très sobre mais réaliste, convenant parfaitement au récit. On ressent parfaitement un certain dépouillement, en raison de nombreuses années passées sous le joug d’une dictature.

Les tons, à dominante marron, montrent bien que le pays est en train de se construire une nouvelle histoire et que les couleurs ne pourront faire leur apparition, qu’une fois la démocratie instaurée de manière stable.

Un album à découvrir pour sa petite et sa grande Histoire

Voici donc un album qui a réussi à établir un très intéressant parallèle entre la mise en danger d’enfants au sein de l’institution scolaire et celle d’hommes et de femmes au sein d’un État censé les protéger.
La peur au ventre est édité par Eidola, une maison d’édition, dont il ne faut surtout pas hésiter à découvrir la ligne éditoriale.

Article posté le mercredi 22 février 2023 par Claire Karius

La peur au ventre de Muñoz, Trashorras, Rodriguez et Rieu chez Eidola
  • La peur au ventre
  • Scénaristes : David Muñoz et Antonio Trashorras
  • Dessinateur : Javier Rodriguez
  • Coloristes : Javier Rodriguez et Delphine Rieu
  • Traductrice : Delphine Rieu
  • Éditeur : Eidola
  • Prix : 15,00 €
  • Parution : 27 janvier 2023
  • ISBN : 9791090093461

Résumé de l’éditeurL’adolescence avec justesse Adrian et Raul entrent au collège. On suit leurs doutes, leurs joies et leurs peurs alors qu’ils quittent l’enfance pour l’adolescence. Nous sommes en 1981, l’Espagne a encore du mal à se défaire de ses habits franquistes, les attentats meurtriers se multiplient et un corbeau menace de faire sauter le collège tandis que les relations des deux garçons avec un prof et un jeune harceleur les mènent dans la tourmente. Ces deux garçons attachants et intemporels entrent à l’école de la vie où la tendresse peut aussi jouer de jolis tours.

À propos de l'auteur de cet article

Claire Karius

Passionnée d'Histoire, j'affectionne tout particulièrement les albums qui abordent cette thématique. Mais pas seulement ! Je partage ma passion de la bande dessinée dans l'émission Bulles Zégomm sur Radio Tou'Caen et sur ma page Instagram @fillefan2bd.

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