La suprématie des underbaboons

L’un des piliers de la bande dessinée française, Emmanuel Moynot, revient sur le devant de la scène avec un album-choc, La suprématie des Underbaboons. Une fable noire autour des dérives de la société américaine.

La suprématie des Underbaboons d'Emmanuel Moynot (éditions Glénat)

Violent comme un singe

Ne serions-nous qu’une tribu de babouins mal embouchés uniquement mus par une volonté de puissance ? Quels ressorts, quelles pulsions conduisent certains hommes à se vautrer dans la violence et à vouloir à tout prix dominer leurs semblables ?

En soulevant de manière originale ces questions dans son dernier opus publié chez Glénat , La suprématie des underbaboons, le dessinateur bordelais Emmanuel Moynot frappe un grand coup.

Pour construire son histoire, il s’appuie sur des études scientifiques menées à la fin du siècle dernier par un couple d’éthologues, Robert et Lisa-Share Sapolsky auprès de plusieurs groupes de babouins dans une réserve naturelle au Kenya.

Leur conclusion est sans appel : quand dans ces mêmes groupes les mâles dominants ont été décimés à la suite d’une épidémie, les agressions et le stress ont fortement diminué en leur sein, la communauté retrouvant ainsi l’harmonie et le respect de l’autre…

La suprématie des Underbaboons d'Emmanuel Moynot (éditions Glénat)

Violent comme un homme

Mais que le lecteur ne s’y trompe pas. Ce conte cruel ne se limite pas à une simple étude zoologique. Moynot transpose ces observations scientifiques à la société américains et propose plusieurs histoires dans lesquelles celle-ci ne sort pas grandie. Ainsi, d’Aspen (Colorado) à Hartford (Connecticut) en passant par le Texas ou le Mississipi, des crimes affreux sont commis.

Ici, des hommes de pouvoir sont assassinés, là un suprémaciste blanc défouraille dans une université fréquentée par des noirs avant de se réfugier dans un camp paramilitaire. Le tout se déroule sous les yeux d’une agente du FBI, Colleen Thompson, la chargée de l’enquête qui n’a pas froid aux yeux.

La suprématie des Underbaboons d'Emmanuel Moynot (éditions Glénat)

Un puzzle habile

En à peine un peu plus de 100 pages, l’auteur nous ballade d’Ouest en Est d’un pays en proie à toutes les violences, politiques ou religieuses, au nom de valeurs frelatées qui signent le déclin d’une société américaine en perte de repères.

La structure narrative choisie par Emmanuel Moynot est habile. Il alterne ses courtes histoires criminelles avec les résultats des différentes expériences réalisées par le couple d’éthologues. Les chapitres sont courts, très rythmés, laissant au lecteur la sensation d’être pris dans un engrenage. C’est celui de la violence aveugle qui prend le pas sur le vivre ensemble.

La suprématie des Underbaboons d'Emmanuel Moynot (éditions Glénat)

Une fable efficace

Quarante ans après ses débuts dans l’univers de la bande dessinée, Emmanuel Moynot montre avec cette fable noire et cynique qu’il n’a rien perdu de son énergie graphique et narrative. Son trait efficace, presque froid, est renforcé par le choix de la bichromie ( le bistre et le bleu dominent ). Il sert en quelque sorte de révélateur à la bêtise d’une galerie de fêlés qu’on aimerait bien ne jamais croiser.

Au fait, le terme underbaboon n’existe pas dans les dictionnaires. Il serait dérivé de l’anglais underdog, un terme utilisé pour désigner des individus de second rang, qui se trouvent dans une situation socioéconomique difficile ou qui subissent une forme de mépris ou de soumission.

Article posté le mercredi 04 décembre 2024 par Jean-Michel Gouin

La suprématie des Underbaboons d'Emmanuel Moynot (éditions Glénat)
  • La suprématie des underbaboons
  • Scénario et dessin : Emmanuel Moynot
  • Editeur : Glénat
  • Prix : 21, 50 €
  • Parution : 25 septembre 2024
  • Nombre de pages : 104
  • ISBN : 9782344059807

Résumé de l’éditeur : Entre 1978 et 1990, Robert Sapolsky et Lisa Share-Sapolsky ont étudié plusieurs troupes de babouins au cœur d’une réserve natu­relle au Kenya. Leurs observations sont sans appel : quand les mâles alpha qui font régner la terreur sont décimés à la suite d’une contamination, les agressions et le stress baissent au sein des troupes, qui retrouvent l’harmonie du vivre-ensemble et s’épouillent en paix… Qu’en est-il dans nos Sociétés occidentales ?

États-Unis, de nos jours. Aux quatre coins du pays, on dénombre des crimes sordides. Ces exactions, a priori isolées, intriguent le FBI, qui commence à faire le lien entre les différentes affaires. Car à chaque fois, ce sont des hommes de pouvoir qui sont visés, et leurs femmes systématiquement épargnées. C’est d’abord un célèbre avocat, mêlé à divers scandales sexuels et financiers, qui est assassiné sous les yeux de sa maîtresse… Colleen Thompson, la jeune agente du FBI en charge de l’enquête, dresse le profil d’un tueur caméléon, ou plutôt celui d’une tueuse ! Quelles sont ses véritables motivations ? S’agit-il d’une affaire politique ou d’une violente déclaration de guerre au patriarcat ? Alors que l’enquête s’enlise, la main vengeresse de cette femme insaisissable frappe de nouveau. Mais cette fois, c’est bien une femme qui est visée : une candidate républicaine au programme conservateur… Au même moment dans le Missouri, un suprémaciste blanc ouvre le feu et fait plusieurs victimes innocentes entre les murs de Lincoln University ! Cet homme pourrait-il être la prochaine victime ? En attendant, il trouve refuge dans une communauté religieuse paramilitaire. C’est dans ce coin reculé de l’Oklahoma que tout va se jouer… Si le FBI a pu identifier les lieux et s’apprête à intervenir, la tueuse ne doit pas être loin non plus…La tension monte à la lecture du nouveau roman graphique d’Emmanuel Moynot (Fauve Polar SNCF en 2020 pour No Direction) qui brouille les pistes jusqu’à la fin ! Dans ce polar sombre où l’on retrouve les influences de James Ellroy et Jean-Patrick Manchette, l’auteur se livre à un parallélisme saisissant qui donne à réfléchir. À travers un éclairage ethnologique déconcertant, il analyse les dérives des comportements humains et les compare à celles d’une tribu de babouins. Une fable noire, cynique et critique des États-Unis pour une double lecture au graphisme glaçant.

À propos de l'auteur de cet article

Jean-Michel Gouin

Passionné par l'écrit, notamment l'histoire, la littérature policière et la bande dessinée, Jean-Michel Gouin a été journaliste radio et presse écrite pendant une trentaine d'années à Poitiers.

En savoir