L’attente

L’attente, c’est l’histoire de Guija, une femme séparée de son mari et de son fils lors de la Guerre de Corée. Du Nord, elle n’a que des souvenirs. Toute sa vie, elle attend d’avoir de leurs nouvelles. Keum Suk Gendry-Kim raconte cette séparation et ces longues années dans un album poignant aux éditions Futuropolis.

Programme gouvernemental pour retrouver sa famille

A 92 ans, Guija est une retraitée qui semble heureuse dans sa vie. Pourtant la vieille femme cache une blessure profonde qui ne cicatrisera jamais : elle a été séparée de son mari et de son fils aîné lors de la guerre de Corée.

Perdus dans la foule, les deux amours de sa vie, elle ne les reverra jamais. Habitant en Corée du Sud, elle attendit toute sa vie, un signe de leur part pour lui montrer qu’ils étaient encore de ce monde.

Depuis quelques années, le gouvernement sud-coréen avec celui du Nord a mis en place un programme pour que les séparés puissent se retrouver pendant quelques heures. Et si ce moment était le sien, celui des retrouvailles ?

Guerre fratricide

Comme l’a montré Park Kun-woong dans Mémoires d’un frêne, la Guerre de Corée (1950-1953) fut un terrible drame. Bombardements américains et exactions des militaires locaux émaillèrent cette guerre fratricide.

Les morts s’accumulèrent (2 à 3 millions de femmes et d’hommes) et nombre de familles furent séparées à jamais. Au Nord, un pays fut soutenu par l’URSS – qui devint par la suite une dictature dirigée par Kim-Il Sung et ses descendants – et au Sud, un pays soutenu par les États-Unis. A partir de ce moment, les deux entités se regardèrent en chien de faïence, entre tentatives de se rapprocher et combats à mort.

Guija et les fantômes de son passé

Avant cette lutte armée, Guija et son époux vivaient au nord de la Corée. Avec leurs deux enfants, ils tentaient tant bien que mal à (sur)vivre.

Mais les mouvements internes de soldats n’étaient pas pour rassurer la population. Soudainement, la famille de Guija dû partir, sans rien, sans emporter ni vêtements ni effets personnels. Le chemin de l’exil fut semé d’embûches jusqu’au moment fatidique où la jeune femme perdit de vue son mari et son aîné. Un déchirement, une tristesse de vie…

L’attente : magnifique récit familial

Keum Suk Gendry-Kim se dévoile dans L’attente ou plutôt sa mère Guija. Alors que les survivants de la terrible Guerre de Corée sont de moins en moins nombreux et face à l’urgence de la mémoire, l’autrice d’Alexandra Kim la sibérienne compile les souvenirs de sa maman, pour en garder une trace.

Elle prend le temps d’écouter et débute la réalisation de cet album fort et poignant d’une femme traumatisée par cette séparation injuste.

Dans L’attente, son double de papier se nomme Jina, autrice pour la jeunesse. Un parallèle avec la vraie vie de Keum, elle, dessinatrice de bande dessinée.

Victime anonyme et inconsolable

Keum Suk Gendry-Kim, née en 1971, a décidé de parler de choses qui fâchent, celles taboues de cette guerre fratricide, celle dont personne ne veut parler pour ne pas gâcher une hypothétique reformation du pays.

Ainsi après Le chant de mon père, Les mauvaises herbes ou L’arbre nu, l’autrice ayant suivi des cours de peinture à l’université de Sejong et ceux de l’École supérieure des arts décoratifs de Strasbourg poursuit ce travail de mémoire.

En contant la vie de sa mère, Keum Suk Gendry-Kim met en lumière ses millions d’anonymes, victimes de la cruauté des dirigeants coréens, ceux qui s’entêtèrent dans une lutte armée.

Si la réconciliation et la fusion des deux Corée semblent tellement lointaines (les idéologies sont tellement opposées), ces programmes sont la seule lueur d’espoir dans ce drame humain.

Article posté le samedi 19 juin 2021 par Damien Canteau

L'attente de Keum Suk Gendry-Kim (Futuropolis)
  • L’attente
  • Autrice : Keum Suk Gendry-Kim
  • Traducteurs : Keum Suk Gendry-Kim et Loïc Gendry
  • Editeur : Futuropolis
  • Prix : 26 €
  • Parution : 05 mai 2021
  • ISBN : 9782754830492

Résumé de l’éditeur : Soixante-dix ans se sont écoulés depuis le déclenchement de la guerre de Corée. Depuis 1953, la Corée est divisée en deux pays distincts, la Corée du Sud et la République populaire démocratique. Des familles entières ont été séparées. La mère de la narratrice n’a jamais revu son premier mari et son fils. Aujourd’hui encore, des démarches sont entreprises pour retrouver des proches disparus. Saisie par un sentiment d’urgence alors que la génération qui a connu la guerre s’éteint et la nouvelle oublie le passé, Keum Suk Gendry-Kim a interrogé sa mère pour qu’elle lui raconte ces blessures traumatisantes de la guerre et de la séparation. Séoul, de nos jours. Guja a 92 ans. Sa vie de retraitée est bousculée le jour où, parlant avec une amie, elle découvre le programme gouvernemental permettant à des familles coréennes séparées par la guerre en 1950 de se retrouver. Lui revient alors son passé, sa jeunesse, son premier mariage, ses deux premiers enfants. Et surtout, cet exode qui va la séparer de son mari et de son premier fils alors qu’elle reste seule avec son nourrisson. Jamais plus elle ne les reverra. Au crépuscule de sa vie, elle raconte à sa fille Jina, dessinatrice pour la jeunesse, cette vie brisée, ces moments de désespoir, sa vie d’après. Après Les Mauvaises Herbes, Keum Suk Gendry-Kim s’attaque à un autre pan dramatique de l’histoire de la Corée.

 

À propos de l'auteur de cet article

Damien Canteau

Damien Canteau est passionné par la bande dessinée depuis une vingtaine d’années. Après avoir organisé des festivals, fondé des fanzines, écrit de nombreux articles, il est toujours à la recherche de petites merveilles qu’il prend plaisir à vous faire découvrir. Il est aussi membre de l'ACBD (Association des Critiques et journalistes de Bande Dessinée). Il est le rédacteur en chef du site Comixtrip.

En savoir