Le pays des cerisiers

Comment (sur)vivre après la bombe atomique larguée sur Hiroshima ? Fumiyo Kouno tente d’y répondre à travers deux superbes histoires dans Le pays des cerisiers. Cette formidable œuvre de fiction tout en sensibilité de l’autrice japonaise très engagée est bouleversante.

Tomber amoureux après la bombe

Dans La ville de Yûnagi, première histoire de ce manga ; Minami Hirano, jeune couturière japonaise, tombe amoureuse d’Uchikoshi. Leur relation aurait pu être sans nuages, mais voilà, ils vivent à quelques kilomètres d’Hiroshima en 1955.

Dix ans après le largage de la bombe nucléaire par les Américains, les conséquences physiques et psychologiques sont très prégnantes : chaque famille est endeuillée et chaque famille a dans son entourage des personnes touchées par les cancers. La maladie n’échappe pas au bonheur naissant des deux amoureux.

Trente ans plus tard

La seconde histoire, en deux parties, Le pays des cerisiers, se déroule trente ans après. Nanami est une jeune fille qui elle aussi vit près d’Hiroshima. Au fil des pages, le lecteur découvre le lien de parenté de Nanami et Minami.

A la fin du manga, Nanami a vieilli et se souvient des sombres années marquées par la bombe sur sa famille.

Le pays des cerisiers : du charme du dessin

Le lecteur est tout de suite charmé par le dessin de Fumiyo Kouno. Cette sublime partie graphique tranche fortement avec l’atmosphère lourde liée à la bombe. Il y a un côté joyeux et printanier qui se fracasse sur la dure réalité de la vie.

On est séduit par le charme qui émane des planches de la mangaka. L’autrice de Les Fleuristes du coin de la rue réalise des décors et des personnages très marqués. Les têtes et les pieds sont imposants. Pourtant, ces excès et ce trait un peu naïf ne gâchent en rien la lecture parce que le dessin est d’une véritable puissance évocatrice.

Cette dualité, ainsi que des petites teintes d’humour, permettent de prendre du recul face à l’horreur de la bombe et ses conséquences aussi bien psychologiques que physiques.

Le poids du passé sur le présent

C’est en 2003 que Fumiyo Kouno accepte la proposition de son éditeur comme elle l’explique dans la première postface : aborder la bombe atomique larguée sur Hiroshima. La mangaka née en 1968 dans la ville martyre connaît donc bien les lieux, sans avoir eu à subir les conséquences de la catastrophe.

Pourtant, elle ne voulait pas parler du jour de la catastrophe mais plutôt des conséquences sur les habitant.es. Fumiyo Kouno situe sa première histoire, dix ans après. Elle peut ainsi parler du poids terrible du passé sur plusieurs générations d’hirodens.

Les morts se comptent par milliers le jours du largage mais aussi après. Les maladies se développent faisant des victimes sur le long terme. Sans compter sur les discriminations des personnages irradiées. Il était mal vu de côtoyer ou se marier avec des personnes touchées par la bombe. Appelés hibakusha, ces victimes sont marquées dans leur chaire et dans leur esprit comme ont pu le décrire Olivier Cinna et Thilde Barboni dans leur album éponyme.

Le pays des cerisiers : s’aimer malgré tout

Les hibakusha sont souvent des frères, des sœurs, des maris, des femmes, des oncles, des tantes, des parents et des enfants. Leurs familles les voient ainsi partir au fil du temps. C’est ce temps long que Fumiyo Kouno veut décrire. Mais également la maladie et la peine. Les familles se retrouvent ainsi brisées par petite touche, lorsque l’un des membres du clan disparait.

Fumiyo Kouno aborde aussi la place de la femme dans Le pays des cerisiers. Ce statut est encore celui de femme au foyer, s’occupant de la maison, des enfants et donc des malades.

Le pays des cerisiers, un manga sans pathos

L’autrice du merveilleux Dans un recoin de ce monde n’est jamais dans le pathos. Rien ne tire de larmes et c’est une grande force. C’est tendre, c’est poignant et c’est délicat mais jamais pathétique. Mieux, le manga est lumineux !

Publié une première fois en français en 2013, pour les 20 ans du manga, les éditions Kana proposent ainsi une réédition agrémentée d’une nouvelle postface de Fumiyo Kouno. Grand Prix du Japan Media Arts Festival 2004 et prix de la nouveauté du prix culturel Osamu Tezuka 2005, Le pays des cerisiers une œuvre sensible et intelligente.

Article posté le mardi 15 août 2023 par Damien Canteau

Le pays des cerisiers de Fumiyo Kouno (Yunagi no sakura no kuni / Kana/ Coamix)
  • Le pays des cerisiers (édition 2023)
  • Autrice : Fumiyo Kouno
  • Traducteur : Thibaud Desbief
  • Editeur : Kana
  • Prix : 10,50 €
  • Sortie : 25 août 2023
  • ISBN : 9782505121442

Résumé de l’éditeur : Hiroshima, 1955. Comment vivre normalement, comme une jeune fille, en ayant été témoin de tant d’horreur ? C’est sur cette interrogation que l’on ouvre «le Pays des Cerisiers», récit poignant et lyrique sur la nécessité de se reconstruire et de s’apercevoir que la vie vaut quand même la peine d’être vécue… Les 3 chapitres qui composaient l’ouvrage d’origine restent inchangés.

À propos de l'auteur de cet article

Damien Canteau

Damien Canteau est passionné par la bande dessinée depuis une vingtaine d’années. Après avoir organisé des festivals, fondé des fanzines, écrit de nombreux articles, il est toujours à la recherche de petites merveilles qu’il prend plaisir à vous faire découvrir. Il est aussi membre de l'ACBD (Association des Critiques et journalistes de Bande Dessinée). Il est le rédacteur en chef du site Comixtrip.

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