Le rakugo à la vie à la mort

Ex-taulard, Yotarô veut devenir le disciple de Yakumo, un maître du rakugo. Hymne aux conteurs et à la tradition de l’oralité, Le rakugo à la vie à la mort est un merveilleux manga d’Haruko Kumota édité par Le lézard noir.

Pour l’amour du Rakugo

Époque Shôwa, dans les années 1960, au Japon. C’est le grand jour pour Yotarô : il sort de prison. Pour d’obscures raisons liées à son passé de yakuza, il a croupi derrière les barreaux de nombreuses années.

Là, dans ce lieu de privation de liberté, il a été touché par la grâce : il a assisté à la représentation de « Shinigami » (Dieu de la mort), une histoire contée par le rakugoka, Yakumo.

En attendant de recouvrer sa liberté, Yotarô a juré qu’il deviendrait le disciple du grand conteur et que le reste de sa vie, il la passerait dans les yosé, lieux de théâtre parlé.

Yotarô débarque chez le maître Yakumo

Au culot, Yotarô débarque chez Yakumo, ne le connaissant ni d’Adam ni d’Eve. Le jeune homme est déterminé.

« Maître Yakumo a pour règle de ne jamais prendre de disciple. »

Malgré cette phrase comme un couperet énoncée par le domestique du maître, Yakumo arrive et contredit son homme de main. Il accepte de prendre Yotarô comme discipline. Cela surprend tout le monde, y compris Konastu.

Le dur apprentissage du rakugo

En effet, le conteur ne vit pas seul. Il a recueilli Konatsu, la fille de Sukeroku Yurakutei, son ancien ami et rival. Après son décès accidentel, Yakumo a décidé de prendre soin de la fillette alors orpheline.

Depuis, la jeune femme voue une haine tenace à son protecteur. Elle veut connaître les circonstances de sa mort. Konatsu vit aussi dans le passé de son père qu’elle idolâtre. Pas simple pour Yotarô de se faire une place entre un conteur si prestigieux et Konatsu qui le rabaisse sans cesse. L’ex-prisonnier découvre alors la dureté du rakugo; plus simple à dire qu’à interpréter…

Le rakugo : spectacle multi-séculaire

Le rakugo à la vie à la mort plonge les lecteurs français dans le milieu méconnu du théâtre parlé. Ces spectacles apparurent au début de l’ère Edo (1603-1868). Habillé en kimono traditionnel, le rakugoka s’assoie sur un coussin sur une scène face à son public dans des théâtres construits pour accueillir ce style de prestation (les yosé). Il conte alors des histoires humoristiques plus ou moins longues. Pour chacune d’entre elles, la chute est souvent inattendue, parfois fondée sur un calembour ou un retour au début du récit.

Le conteur peut aussi interpréter les différents protagonistes de l’histoire. Chaque rakugoka a son style bien a lui. Il déclame un récit comme aucun autre conteur.

Le rakugo à la vie à la mort : secrets, humour et apprentissage

Le récit imaginé par Haruko Kumota est prenant. Le lecteur ne le lâche pas. Les plus de 300 pages de ce premier opus filent. Il faut souligner que le mangaka ne livre pas une histoire seulement de rakugo – sinon ce serait trop fade – mais y glisse des éléments qui pimentent son récit.

Ainsi Le rakugo à la vie à la mort possède une galerie de personnages forts. Leur portrait est façonné par des personnalités qui se fracassent les unes les autres. Yotarô est volontaire, parfois très naïf, exubérant mais acharné. Son ex-passé de taulard l’a aguerri et rien ne lui fait peur, surtout pas son envie de connaître le rakugo. Yakumo est un grand maître-conteur. Son côté pince-sans-rire est une belle trouvaille. Il cultive l’ambiguïté concernant son disciple mais aussi ses relations avec Sukeroku, son ami décédé. Et il y a Konatsu, directe et sans filtre, elle s’oppose violemment à son protecteur. Elle cherche la vérité sur la mort de son père. Nostalgique, elle aimerait connaître mieux son défunt géniteur.

Les passes d’arme entre les trois personnages sont savoureuses, faisant de Le rakugo à la vie à la mort, un manga très drôle. Malgré les tensions, ce manga est aussi un très joli conte d’apprentissage où la transmission est primordiale pour grandir et s’élever dans la société.

Une ambiance désuète

Ce que les lecteurs apprécient aussi ce sont les secrets de Yotarô, Yakumo et Konatsu. Ces non-dits apportent aussi des tensions et une véritable envie de lire la suite de la série (cinq double-tomes en français).

En choisissant l’univers du rakugo, Haruko Kumota sait qu’il va plonger son lectorat dans un monde quasi éteint. Même si cet art traditionnel connait un regain d’intérêt notamment avec les publications au Japon de cette série et Le disciple de Doraku ou des artistes étrangers qui s’en emparent, cette discipline n’est plus autant populaire qu’auparavant au pays du soleil levant.

Le charme de ce premier opus tient aussi dans cette ambiance un peu désuète du récit. Très codifié, le rakugo permet de mettre en image des scènes très belles sous les pinceaux de l’auteur japonais.

Nous sommes conquis par le début de Le rakugo à la vie à la mort, une saga historique entre tradition, théâtre, apprentissage et humour.

  • A noter que la série a remporté le Prix du meilleur manga au Japan Media Arts Festival en 2013 et l’année suivante le prestigieux Prix culturel Osamu Tezuka (nouveau talent) et qu’elle a été déclinée en série télévisée en 2018. Tout cela est un gage de très grande qualité.
Article posté le mercredi 18 août 2021 par Damien Canteau

Le rakugo à la vie à la mort 1 d'Haruko Kumota (Le lézard noir)
  • Le rakuko, à la vie, à la mort, volume 1
  • Auteur : Haruko Kumota
  • Traducteur : Cyril Coppini
  • Editeur : Le lézard noir
  • Prix : 18€
  • Parution : 19 août 2021
  • ISBN : 9782353482207

Résumé de l’éditeur : Dans le Japon des années 1960, Kyoji est libéré de prison pour bonne conduite. Sans famille ni attache, il est déterminé à devenir le disciple de Yakumo, un grand maître du théâtre Rakugo, depuis qu’il a assisté à son impressionnante prestation au bagne. Étrangement le sensei choisit de prendre le jeune homme sous son aile, alors qu’il n’avait jusque-là accepté aucun apprenti, et lui donne même un nom de scène : « Yotaro ». Une nouvelle vie s’ouvre dès lors pour Yotaro qui tentera de faire perdurer cet art l’ayant tant aidé durant ses heures les plus sombres, avec le soutien du domestique Matsuda et de la jeune Konatsu, fille d’un célèbre Rakugo-ka, décédé de façon tragique, qui fut autrefois l’ami et le rival de Yakumo…

À propos de l'auteur de cet article

Damien Canteau

Damien Canteau est passionné par la bande dessinée depuis une trentaine d’années. Après avoir organisé des festivals, fondé des fanzines, écrit de nombreux articles, il est toujours à la recherche de petites merveilles qu’il prend plaisir à vous faire découvrir. Il est aussi membre de l'ACBD (Association des Critiques et journalistes de Bande Dessinée) et co-responsable du prix Jeunesse de cette structure. Il est le rédacteur en chef du site Comixtrip. Damien modère des rencontres avec des autrices et auteurs BD et donne des cours dans le Master BD et participe au projet Prism-BD.

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