Après Clapas, son précédent album sorti en novembre 2021 chez Sarbacane, Isao Moutte revient chez ce même éditeur avec sa nouvelle bande dessinée Les évaporés. Changement de pays, changement de continent, puisque c’est au Japon qu’il nous convie pour nous parler des johatsu, ces personnes qui disparaissent brusquement sans laisser de trace. Un phénomène de plus en plus courant et couru dans l’archipel.
Un homme ordinaire
À 60 ans, Kaze Watanabe est l’archétype même de l’employé modèle japonais qui a consacré sa vie, et surtout son énergie, à son travail de courtier, à son entreprise et à son employeur, au point de ne jamais prendre de vacances. Et par là même de faire passer sa famille au second plan.
Alors quand celui-ci disparaît du jour au lendemain, en laissant uniquement son passeport, ses clés et quelques mots sur un papier, c’est l’incompréhension la plus totale pour son épouse.
« Je ne mettrai plus les chaussons. »
Ne sachant que faire, celle-ci décide donc de prévenir Yukiko, leur fille partie à Lyon depuis cinq ans pour étudier. Cette dernière travaille également dans un restaurant pour aider ses parents à financer sa scolarité à l’étranger.
Un retour au pays en urgence
Afin de ne pas laisser sa mère plus longtemps seule dans son désarroi, Yukiko décide donc de prendre le premier avion afin rentrer au Japon. La jeune femme va dorénavant faire tout son possible pour savoir pourquoi son père a décidé de fuir et où celui-ci peut à présent se cacher.
Sa quête va tout d’abord la mener dans la capitale japonaise. En effet, quel meilleur endroit qu’une métropole comme Tokyo pour s’évaporer et devenir invisible parmi les invisibles.
Dès le départ, le lecteur sait que Kaze a décidé de partir. Ainsi on le découvre organisant son départ afin de ne pas laisser de traces derrière lui. À la recherche d’indices, Yukiko va interroger les collègues de travail de son père pour savoir si les raisons de sa fuite ne sont pas liées à la nature même de sa profession de courtier au sein d’une entreprise qui semble assez trouble.
Des organisations assez douteuses
Alors qu’il se cache, Kaze va devoir travailler pour pouvoir survivre. C’est dans le quartier pauvre de San’ya situé à Tokyo, où il s’est réfugié, qu’il va rencontrer un adolescent qui a fui après la disparition de sa famille suite à la catastrophe de la centrale nucléaire de Fukushima. L’un comme l’autre sont recherchés et vont ainsi faire équipe pour échapper aux personnages peu recommandables qui veulent les retrouver.
C’est ainsi qu’on découvre que de nombreuses personnes gagnent leur vie en travaillant à proximité des lieux abandonnés de Fukushima. Des laissés pour compte qui effectuent des basses besognes que personne d’autre ne veut faire. Il va sans dire que derrière cette « industrie » se cachent d’autres personnes assez troubles elles-aussi
La disparition, une pratique de plus en plus répandue
Au Japon, disparaître est une pratique qui s’est intensifiée. Auparavant, en cas de problèmes, le suicide était l’alternative afin que la honte, quelle qu’en soit l’origine, ne rejaillisse pas sur la famille.
Les johatsu recommencent alors une nouvelle vie, bien souvent sans recherches de la part de la police, les familles n’osant pas exposer aux yeux de tous ces “évaporations”.
Une industrie s’est d’ailleurs créée autour de ces disparitions volontaires. C’est que qu’on découvre dès les premières pages de cet album réalisé par Isao Moutte ( La trève, chérie et Castagne) et intitulé judicieusement Les évaporés. Ce récit nous permet de comprendre pourquoi ce père de famille a décidé de fuir, tout simplement afin de ne pas mettre en danger sa famille.
Une adaptation en noir et blanc
Les évaporés est l’adaptation d’un roman signé Thomas B. Reverdy sorti en 2013 chez Flammarion. Et c’est en noir et blanc, avec un trait fin et précis que l’auteur a décidé d’illustrer la quête de cette jeune femme, décidée à marcher dans les pas de son père. Ils la conduiront dans depuis les bas-fonds de Tokyo jusqu’aux alentours, maintenant presque déserts, de la centrale nucléaire de Fukushima.
Un univers à mille lieues de ceux qu’elle est habituée à fréquenter mais qu’il l’amènera à réfléchir sur les choix faits par son père et sa légitimité à essayer de le retrouver alors que celui-ci n’a jamais demandé d’aide.
Une histoire profonde et touchante qui amène à se poser beaucoup de questions sur ce phénomène des disparitions volontaires et sur l’obligation, ou pas, d’aller à la recherche des personnes disparues.
- Les évaporés
- Auteur : Isao Moutte
- Editeur : Sarbacane
- Prix : 20€
- Parution : 13 septembre 2023
- ISBN : 9782377319787
Résumé de l’éditeur : Au Japon, lorsque quelqu’un disparaît, on dit simplement qu’il s’est évaporé, personne ne le recherche, ni la police parce qu’il n’y a pas de crime, ni la famille parce qu’elle est déshonorée. Partir sans donner d’explication, c’est précisément ce que Kaze a fait cette nuit-là, après avoir été licencié du jour au lendemain. Sa fille, Yukiko, qui vit à Paris depuis de nombreuses années, revient au Japon pour tenter de retrouver sa trace et de découvrir les raisons de sa disparition. Elle mènera l’enquête dans un Japon parallèle, celui du quartier des travailleurs pauvres de San’ya à Tokyo et des camps de réfugiés de la catastrophe nucléaire de Fukushima, autour de Sendai. Mais faut-il rechercher celui qui a voulu disparaître ?
À propos de l'auteur de cet article
Claire Karius
Passionnée d'Histoire, j'affectionne tout particulièrement les albums qui abordent cette thématique. Mais pas seulement ! Je partage ma passion de la bande dessinée dans l'émission Bulles Zégomm sur Radio Tou'Caen et sur ma page Instagram @fillefan2bd.
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