Les Ombres

Un album qui raconte l’exil et l’émigration, mais sous un angle métaphorique. Et qui le fait tellement bien, avec tellement de sincérité et de poésie, que l’on ne peut s’empêcher d’être ému, et de saluer une grande réussite.

Qu’il était beau, cet album, et qu’il était touchant. Un grand format avec de splendides planches à l’aquarelle et au pastel, en couleurs directes. Des cases flottantes aux couleurs et aux bords flous, dans lesquelles évoluent des personnages masqués et déformés, et se cachent des fantômes camouflés dans les ombres. On y suit un homme, dont on ne saura jamais le nom, qui dans une salle d’interrogatoire dont on ne saura rien de plus, raconte son voyage d’exil à un fonctionnaire anonyme. Derrière lui, avec lui, en lui, les ombres de ses proches, de ceux qui sont restés sur le chemin, qui le hante et le culpabilise. On suit ses fuites, ses errements, ses fautes et ses mensonges, et on est bien plus touché que si l’album avait été réaliste, avec un trait classique et une historie d’actualité. A travers ces personnages masqués et ces décors non précisés, c’est l’émigration dans son universalité que Zabus et Hyppolite nous racontent, et pour une fois on se sent touchés. Pour une fois, on a pas l’impression de regarder un reportage d’actualité, quelque chose qui arrive aux autres, loin, quelque chose de bien triste mais qui ne nous concerne pas vraiment. Pour une fois on émigre, nous aussi, pas à pas, avec ce personnage si touchant.

Du théâtre aux pinceaux

« Les Ombres », c’était d’abord une pièce de théâtre, apprend t-on quand on arrive à la fin de l’histoire, dans les deux dernières pages qui racontent comment cet album s’est fait. Une pièce de théâtre devenue bande dessinée, et qui vit très bien sous cette nouvelle forme. Les pages sont belles, splendides mêmes, le trait est vif, dynamique, et en même temps tellement poétique… La narration, avec ses jeux de masques, ses allégories et ses métaphores bien trouvées, touche juste à chaque fois. Vraiment, on ne voit pas ce que l’on pourrait reprocher à cet album là.

Un scénariste et un dessinateur plus que prometteurs

Et du coup, on veut en savoir plus sur les auteurs. Qui sont-ils? Il y a l’auteur, Vincent Zabus, belge, philologue et journaliste de formation, ancien professeur de littérature passé au théâtre (directeur artistique de la compagnie des Bonimenteurs) et à  la bande dessiné (Le Monde selon François, Agathe Saugrenu, Les petites gens, Les Chroniques d’un maladroit sentimental). Il y a le dessinateur Frank Meynet, dit Hippolyte, Français, illustrateur de presse pour Le Monde ou Le Nouvel Observateur, auteur de la bande dessinée Monsieur Paul, d’une adaptation de Dracula de Bram Stoker qui lui vaudra le prix du meilleur album de l’année à la Foire du livre de Bruxelles en 2004, et d’une autre adaptation, Le Maître de Ballantrae, de Stevenson, et qui essaye en ce moment d’ouvrir une libraire BD à la Réunion (levée de fonds via Ulule en ce moment même). Et quid de l’éditeur? Phébus, maison réputée pour le beau livre, qui s’essayait là à sa première bande dessinée. Et qui pour une première, a tapé très fort.

Article posté le jeudi 03 octobre 2013 par Thierry Soulard

Les ombres
  • Les Ombres
  • Dessinateur: Hippolyte
  • Scénariste: Vicent Zabus
  • Editeur: Phébus
  • Prix: 24.00 €
  • Sortie : 3 octobre 2013
  • Page Facebook de l’album « Les Ombres »
  • Le Blog dédié au projet

Résumé de l’éditeur: Une salle d’interrogatoire à la lumière crue. Une chaise, un bureau. C’est dans ce décor dépouillé que l’exilé n° 214 voit son destin se sceller. Au terme d’un long périple, tête baissée, dos voûté, il demande l’asile. Poussé à l’aveu, il doit, pour obtenir le précieux sésame, revenir sur son passé et sur les raisons qui l’ont contraint à l’errance. Lui et sa sœur n’avaient d’autre choix que de fuir leur terre natale mise à feu et à sang par des cavaliers sanguinaires. Effrayés et sans repères, ils ont traversé les forêts, les déserts, les villes et les mers : une véritable épopée peuplée d’êtres aussi mystérieux qu’effrayants, de l’ogre capitaliste au serpent-passeur, des sirènes trompeuses à ces ombres frémissantes et omniprésentes, comme des voix venues de l’au-delà. L’odyssée de deux enfants érigés malgré eux en symboles des minorités opprimées luttant pour leur survie et leur liberté. Vincent Zabus et Hippolyte livrent avec Les Ombres une fable contemporaine et sensible, onirique et subtile sur l’exil et la condition des réfugiés. Alliant poésie et gravité, le trait d’Hippolyte suit la courbe des émotions des personnages, mêlant la puissance de l’encre à la douceur de l’aquarelle, couleurs lumineuses et ombres saisissantes.

À propos de l'auteur de cet article

Thierry Soulard

Thierry Soulard est journaliste indépendant, et passionné par les relations entre l'art et les nouvelles technologies. Il a travaillé notamment pour Ouest-France et pour La Nouvelle République du Centre-Ouest, et à vécu en Chine et en Malaisie. De temps en temps il écrit aussi des fictions (et il arrive même qu'elles soient publiés dans Lanfeust Mag, ou dans des anthologies comme "Tombé les voiles", éditions Le Grimoire).

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