Les racines de la colère. Après L’illusion nationale en 2017, Vincent Jarousseau publie aux Arènes un roman-photo réalisé dans le Nord de la France avec les petites classes moyennes et les oubliés des grands centres de décision. Les racines de la colère rendent un hommage sensible à « La France qui n’est pas en marche ».
BIENVENUE DANS LA FRANCE DE DENAIN
A Denain, petite ville du Nord de 20.000 habitants, on sait peut-être plus qu’ailleurs ce que crise veut dire. La ville et sa région était un véritable pôle minier et sidérurgique il y a quarante ans. Le géant Usinor y faisait alors produire 10 % de l’acier français. Jusqu’à 10.000 personnes y travaillaient. A l’aube des années 80, les premiers plans de licenciements frappent la sidérurgie française. Cette désindustrialisation massive sonne le glas des bassins du Nord, entraînant dans ses fourneaux désormais éteints des milliers de chômeurs.
Aujourd’hui, l’ancienne ville industrielle affiche un taux de chômage de 35 % et un taux de pauvreté qui flirte avec les 45 %. A la dernière élection présidentielle, Marine Le Pen récolta 57, 4 % des voix contre 42, 5 % pour Emmanuel Macron, l’un de ses plus mauvais scores…
Forts de ces quelques données, et de bien d’autres, le photojournaliste Vincent Jarousseau a enquêté pendant deux ans dans cette ville sinistrée pour tenter de comprendre comment vivait cette France oubliée, cette France qui depuis plusieurs mois voit la vie en jaune…
GUILLAUME, TANGUY, ALINE ET LES AUTRES
Comme précédemment avec L’illusion nationale, publiée en 2017 aux Arènes avec l’historienne Valérie Igounet, racontant par le roman-photo les électeurs du Front national, Vincent Jarousseau a planté son objectif dans l’environnement et le quotidien de celles et ceux qu’il entendait montrer : les précaires, les chômeurs longue durée, les relégués aux périphéries pour lesquels se déplacer chaque jour, faute de véhicule en bon état est un vrai problème ou à l’inverse les travailleurs du bâtiment devant parcourir des centaines de kilomètres pour décrocher un chantier, sacrifiant ainsi une vie de famille déjà fragilisée par le manque de revenus.
On suivra ainsi Guillaume, 44 ans, qui survit grâce aux aides sociales et « un billet » de temps en temps quand il déménage des meubles. Avec Aline sa femme, il ne bouge pratiquement pas de chez lui sauf pour aller faire les courses. On suit aussi Tanguy, un jeune de 20 ans, l’un des quatre enfants du couple, qui a décroché un CDD comme transporteur de brioches la nuit, 42 heures par semaine et qui parcourt chaque jour entre 300 et 400 km.
C’est l’aîné de la famille, il « se sent des responsabilités « . Il dit qu’il a voté à la présidentielle et aux législatives, « à chaque fois pour Marine. J’aime pas Macron », lance le jeune homme en charriant des cartons de brioches dans son camion. « Vraiment pas. Il est pas pour nous ».
LE ROMAN « VRAI » DES CLASSES POPULAIRES
Dans cette galerie de personnages, jeunes ou moins jeunes, hommes ou femmes, Vincent Jarousseau, en photojournaliste expérimenté, montre sans démontrer, « à hauteur d’homme ». Il a mis dans ses bulles les mots de ceux qu’il a photographiés. Gros plans, à table, au volant, dans la rue, l’objectif a capté de ces moments de vérité qui valent sans doute mieux que de longs discours. De cette plongée dans la France des classes populaires, il remonte avec ces tranches de vie parfois émouvantes, souvent tristes. A la fin de ce livre-document, l’auteur s’adresse directement ,via une lettre, au Président de la république.
Il y explique pourquoi à ses yeux, les racines de la colère sont là depuis longtemps, comme nourries par les lois du marché… « En passant du temps avec Aline, Guillaume et leurs enfants, écrit-il, j’ai pu mesurer combien le quotidien pouvait être fragile avec quelques centaines d’euros chaque mois pour faire vivre une famille; comment le système D devenait la norme pour faire face aux besoins les plus élémentaires… »
Depuis ce livre, ou quasiment en même temps qu’il paraissait, le mouvement des Gilets jaunes s’est invité sur le devant de la scène médiatique. Ceux qu’on pensait et qu’on disait « invisibles » ont occupé les ronds-points et battu le pavé. C’est aussi à eux que ce photo reportage rend hommage. Sans jugement à l’emporte-pièce, sans pathos, sans dire ce qu’il fallait en penser. Juste en montrant, avec la force des images…
Le travail photographique de Vincent Jarousseau est précédé d’une courte bande dessinée d’Eddy Vaccaro, qui retrace la vie d’avant, celle du Denain des années 70-80 et des luttes sociales.
- Les racines de la colère
- Auteurs : Vincent Jarousseau (photos) et Eddy Vaccaro (Dessinss)
- Editeur : Les Arènes
- Parution : 13 mars 2019
- Prix : 22€
- ISBN : 978-2-7112-0126-6
Résumé de l’éditeur : Au printemps 2016, Emmanuel Macron, alors ministre de François Hollande, lance son mouvement En Marche ! Le choix de ce nom est lourd de sens. C’est une injonction : il faut bouger pour s’en sortir. Quelques semaines avant l’élection d’Emmanuel Macron à la présidence de la République, le photographe Vincent Jarousseau s’est installé à Denain, petite ville de 20 000 habitants dans le nord de la France, afin de suivre le quotidien de familles issues de milieux populaires pour qui la mobilité n’est pas toujours une solution. Pendant deux ans, il a donné la parole à des personnes le plus souvent invisibilisées dans les représentations médiatiques, et tenté de montrer les fractures qui menacent notre modèle démocratique. Il nous livre un documentaire en forme de roman-photo, où tout est vrai. Chaque propos a été enregistré et retranscrit à la virgule près. Les Racines de la colère racontent le quotidien d’une France qui n’est pas « en marche ».
À propos de l'auteur de cet article
Jean-Michel Gouin
Passionné par l'écrit, notamment l'histoire, la littérature policière et la bande dessinée, Jean-Michel Gouin a été journaliste radio et presse écrite pendant une trentaine d'années à Poitiers.
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