Nana a tué son mari. Un soir d’été, elle l’a étranglé avec le câble d’une prise multiple. Elle a caché le corps, se sentant libérée. Mais le lendemain, son mari est rentré comme d’habitude. Comme si rien ne s’était passé… Mon mari dort dans le congélateur est un thriller froid qui rejoue les cartes de la légitime défense.
La vraie nature de la violence
En septembre 2012, dans un village du Loiret en France, Jacqueline Sauvage abat son mari de trois coups de fusil. C’était un acte conscient, maîtrisé. Jacqueline Sauvage plaide la légitime défense. Elle devient, lors de ses procès, le symbole de la légitime défense face aux violences conjugales (elle sera graciée par François Hollande en 2016).
Mon mari dort dans le congélateur est une fiction, voire une science-fiction. Mais elle raisonne lourdement avec cette actualité. Une femme frappée, et dans le cas de Nana, violée durant plusieurs années, dans un état d’emprise, prisonnière de l’espace clos du foyer, est capable de commettre l’irréparable. Pour elle-même et son agresseur. L’acte de Jacqueline Sauvage, et Nana, est un acte de « légitime défense différée« .
« N’est pas pénalement responsable la personne qui était atteinte, au moment des faits, en raison de la répétition de violences conjugales, d’un trouble psychique ou neuropsychique, ayant altéré son discernement ou entravé le contrôle de ses actes. La personne poursuivie doit être soumise avant tout jugement au fond à une expertise médicale afin d’évaluer sa responsabilité pénale au moment des faits. »
Il s’agit de la proposition de loi faisant suite à l’affaire Jacqueline Sauvage, appliquée depuis 1990 au Canada. Elle repose sur le Syndrome de la Femme Battue.
« Ce syndrome se définit par un ensemble de signes cliniques privant la personne qui en est atteinte de la possibilité de trouver une solution raisonnable pour se sauver de la situation de terreur et de danger vital dans laquelle elle se trouve […]» – Collectif CVFE
Mais pour Nana, tout ne s’arrêtera pas avec l’assassinat de son mari. Lorsqu’elle le tue, après des années de violence, elle cache son cadavre dans le réfrigérateur de la remise, au fond du jardin. Elle se sent enfin libérée de son emprise, libérée de l’enfer dans lequel Ryô la plongeait, la maintenait captive. Ce soir d’été, elle a cru être libre à nouveau. Jusqu’au lendemain matin.
Le lendemain matin, Ryô rentre à la maison comme si de rien n’était.
Fantaisie Fiction
Durant les jours qui suivent, le quotidien sordide de Nana reprend sous le joug de Ryô. Son infidélité, ses coups, ses viols, son chantage et son emprise psychologique. Nana aurait cru rêver le fameux soir où elle l’a tué. Pourtant, elle a vérifié. Le cadavre est toujours là, caché dans la remise au fond du jardin. Il y a donc deux Ryô ? Un mort, l’autre vivant, ignorant même ce qu’elle a fait ?
Comment est-ce possible ? Que faire, à part le tuer une seconde fois ? Comment se venger de toute cette violence ?
C’est ici que la réalité plonge dans la fiction. Elle plonge d’une façon si vertigineuse que le manga nous sidère jusqu’à la fin.
Pour se venger, Nana fera manger Ryô 1 à Ryô 2. Chaque repas sera dès lors préparé séparément, avec des ustensiles différents. Nana découpe son premier mari et le fait manger au second.
– Warning, ne pas reproduire cela chez vous sous peine d’être enfermé dans un hôpital psychiatrique et/ou une prison –
Un récit, une ambiance, un doute
Mon mari dort dans le congélateur est l’adaptation du roman éponyme de Misaki Yazuki. Sous la plume de Hyaku Takara, une ambiance claustrophobique se met en place. Dès les premières pages, le sang du lecteur ne fait qu’un tour. Lorsque Nana éclate de rire, laissant libre court à son soulagement après la disparition de son mari, le lecteur sait que quelque chose ne va pas.
Nana est déjà brisée.
Les événements se répètent comme un disque rayé. Le talent combiné de Yazuki et Takara parvient – sous un trait simple mais aussi délicat et gracieux – à nous glacer le sang. Et distiller en nous un doute. Nana est-elle saine d’esprit ? Ou l’autrice se joue-t-elle de nous ? Ce que nous lisons est-il une science fiction, ou Ryô est-il le fruit imaginaire d’un esprit malade ? Rendu fou par la violence à répétition ?
Mon mari dort dans le congélateur est un récit fort. Une histoire qui pose des questions à la fois essentielles et modernes. Un récit raconté de façon digeste où la violence, si elle répugne, n’est jamais représentée gratuitement. Takara fait preuve d’imagination. Sa mise en scène nous permet de toucher au plus près les sentiments de son personnage principal. De les comprendre, mais aussi de nous questionner sur la morale, la justice, la colère, la survie. Où s’arrête la légitime défense, où commence la folie ? A moins que les deux, ici, ne fassent qu’un.
Ce n’est pas une lecture à mettre entre toutes les mains. Mais c’est un thriller très bien écrit – publié en 2 tomes aux éditions Akata – qui saura captiver les lecteurs les plus adeptes de frissons et/ou de psychanalyses …
- Mon mari dort dans le congélateur
- Autrice : Misaki Yazuki
- Dessin : Hyaku Takara
- Traductrice : Claire Olivier
- Editeur : Akata
- Prix : 8,05 €
- Parution : 25 août 2022
- ISBN : 9782382122679
Résumé de l’éditeur : Depuis son mariage avec Ryo, Nana n’a que trop subi les coups de son mari. Aussi, le jour où elle finit par tuer ce dernier, elle ne ressent pas de tristesse et décide de cacher son corps dans le congélateur de la petite réserve du jardin. La jeune femme se sent alors enfin libérée et espère pouvoir profiter de la vie… Mais quand le matin suivant, Ryo réapparait comme si rien ne s’était produit, Nana commence à douter ? Son mari est-il vraiment décédé ? Pourquoi le cadavre de ce dernier est toujours là, recroquevillé dans la glace du congélateur ? A-t-elle tué la bonne personne ? A moins que ce soit elle qui soit en train de sombrer… dans la folie ?
À propos de l'auteur de cet article
Marie Lonni
"C'est fou ce qu'on peut raconter avec un dessin". Voilà comment les arts graphiques ont englouti Marie. Depuis, elle revient de temps en temps nous parler de ses lectures, surtout quand ils viennent du pays du soleil levant. En espérant vous faire découvrir des petites pépites à savourer ou à dévorer tout cru !
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