Le concept des vies antérieures, de la réincarnation est un cliché connu en Europe, mais finalement peu maîtrisé. Le taïwanais Chang-Sheng a choisi de jouer avec ces concepts pour en apporter une nouvelle vision. Le résultat, c’est l’adaptation d’un roman policier local de Ah-tui Push, le surprenant T-manga Nine Lives Man, publié en France en ce début de mois par Paquet.
Nine Lives Man : polar et réincarnation
Mong Chiu-Ke est un type normal. En ce 20 décembre 2054, un vieux clochard le prévient. L’enfer va se déclencher sur la ville et lui seul peut empêcher ça. Cet enfer, c’est un acte terroriste qui va faire exploser de nombreux building. Et si, Mong Chiu-ke ne peut vraiment pas l’empêcher, peut-être que l’une de ses huit autres vies le peut. Animal, robot, humain, jeune, vieux… Mong Chiu-ke est tout ça. Parfois en même temps, parfois à d’autres époques. Mais la clé de la réussite est assurément dans ces neuf vies à coordonner.
Pas d’inquiétude, vous allez comprendre !
Si vous êtes un peu perdu, ne craignez rien, c’est tout à fait normal. Chang-Sheng rédige son histoire comme une mécanique de précision dont il faudra passer toutes les étapes pour en comprendre toute la logique.
Mais le concept de Nine Lives Man n’est finalement pas si compliqué. Au lieu d’avoir plusieurs vies qui se suivraient chronologiquement, ce qui est l’idée commune, l’auteur du roman propose qu’elles puissent être concomitantes. Voir que les vies futures se déroulent avant les vies passées. C’est une formidable idée pour déstabiliser le lecteur et l’obliger à se concentrer sur le fil du récit. N’ayez crainte, grâce à des marqueurs temporels bien présents, le mangaka s’assure que le déroulé des chapitres soit très clair. Chacun est consacré à une vie particulière. Et les actes réalisés à chaque phase permettent de renforcer l’enquête globale, ce qui est parfaitement clair. Le lecteur doit juste accepter de ne pas avoir totalement le contrôle sur une intrigue linéaire classique.
Nines Lives Man ou la question de la conscience
Il y a une audace aussi, dans le roman originel, à placer dans ces neufs vies un robot et un ours. Parce qu’en faisant ainsi, l’auteur pose ET la question de l’intelligence artificielle, ET celle de la sensibilité animale. Deux questionnements philosophiques très actuels qui nous ramènent une fois de plus à la religion bouddhiste. Car pour rappel (ou information, si vous l’ignorez), la pierre et les végétaux sont parties prenantes du cycle des réincarnations. Il y a donc une cohérence complète à intégrer ces deux types d’êtres comme incarnations du héros, quand bien même cela nous relance, nous autres occidentaux, sur notre perception du vivant.
A noter qu’au-delà de ces partis pris intéressants, le romancier a opté dans Nine Lives Man pour une conclusion surprenante, mais qui démontre à quel point les deux artistes (le romancier et le mangaka) contrôlent leur récit réellement, de bout en bout.
Penser à apporter de la lisibilité
Quelques mots sur le dessin pour finir. C’est un trait réaliste, simple et sobre. Chang-Sheng ne cherche pas à faire des tonnes d’effets. C’est efficace et parfaitement adapté au scénario car le dessin exprime bien cette idée de contrôle qui sous tend déjà la structure narrative. Par ailleurs, la lisibilité du trait permet d’éclaircir un propos volontairement complexe. Proposer un dessin sombre aurait rendu plus difficile la lecture, ce qui aurait sans doute contribué à perdre le lecteur. On est donc ici sur une belle adéquation entre le style graphique et l’histoire racontée.
Bonne pioche, donc, pour l’éditeur suisse Paquet. Nine Lives Man mérite que les lecteurs s’y intéressent. Prévu initialement pour le printemps 2022, on apprécie que ce titre ait finalement pu trouver le chemin des librairies françaises. Et petit bonus, c’est un one-shot, pas besoin de se lancer dans une dizaine d’achats !
- Nine Lives Man
- Auteur : Chang-Sheng, d’après l’œuvre d’Ah-Tui Push
- Traduction : Roxane Gardeil
- Éditeur Taïwan : Tong li Comics
- Editeur français : Paquet
- Date de publication France : 12 Août 2024
- Nombre de pages : 394
- Prix : 27€
- ISBN : 9782889322206
Résumé de l’éditeur : Où que porte son regard, Mong Chiu-Ke voit partout la marque du chiffre 9 – vision qui le renvoie à une série de réincarnations. Il assistera, impuissant, à la destruction de sa ville, se fera tuer d’une balle dans la tête et se réveillera… dans le corps d’un autre Mong Chiu-Ke, dans une autre époque, dans un autre lieu, mais avce la pleine conscience – et mémoire ! – de sa vie passée. Dès lors, un seul objectif : remonter le temps pour éviter la destruction de la ville !