Panama Al Brown

Champion du monde de boxe, dandy parisien, amant de Jean Cocteau, danseur et musicien de jazz, Panama Al Brown était un être hors-norme. Alex W. Inker et Jacques Goldstein racontent cette vie dissolue dans une magnifique biographie chez Sarbacane.

« IMPRESSIONNE-MOI ! »

Paris, 1955. Le rédacteur en chef du journal où travaille Jacques est en colère : son journaliste d’ami n’a rien pondu de bon depuis un certain temps. Malgré les petits jeunes qui poussent derrière la porte pour lui prendre sa place, il est encore protégé par son patron. Il faut souligner qu’ils ont connu ensemble la guerre, la captivité et la faim. Ça forge une solide amitié ! Il lui intime l’ordre de le surprendre par un futur papier. « Impressionne-moi ! » tonne-t-il dans le bureau.

Jacques est envoyé à l’Académie Française pour l’entrée de Jean Cocteau. Comme d’habitude, le journaliste est en retard, ne comprend pas tellement ce qu’il fait là et n’arrive pas à prendre en note la moitié du discours du grand écrivain.

Il sort alors de l’hémicycle et tombe sur Georges Peeters du journal L’Equipe qui lui parle d’un ancien ami Alfonso Al Brown. Venu écouter le discours de Cocteau pour voir s’il allait parler de son champion d’ami, il n’en fut rien. Pas trop étonnant, puisque le poète est maintenant en couple avec l’acteur Jean Marais. Avant lui, il fut l’amant de Al Brown, un génie de la boxe.

PANAMA, NEW-YORK, PARIS

Le voilà son sujet : Panama Al Brown, « l’ange déchu de Cocteau » ! Jacques embarque alors sur un paquebot direction le Panama sur le traces du boxeur.

Après un long voyage, il arrive dans le pays du fameux Canal, le pays natal de Alfonso, puisqu’il s’appelait encore ainsi à cette époque. Là-bas, il rencontre une de ses sœurs, une coiffeuse qui lui raconte l’adolescence du futur champion. Gamin des rues mais pas voyou, il fut vite repéré par les dockers du port pour son agilité à donner des coups de poings.

«La boxe avait choisi Alfonso»

Bougeant comme un danseur, il monta rapidement sur le ring et terrassa un à un tous ses adversaires. Il n’aimait pas trop s’entrainer. Lui ce qu’il préférait c’était la danse et sortir avec de beaux garçons. Il devient alors facilement champion du Panama.

Jacques poursuit alors sa route à New-York dans le quartier de HarlemAlfonso termina sa vie dans un dénuement total. Puis le journaliste revient à Paris pour enquêter sur les nuits folles nuits de la nouvelle coqueluche des rings, repéré ensuite par Jean Cocteau

DE ALFONSO A PANAMA AL BROWN

En choisissant Jacques, un journaliste, Alex W. Inker et Jacques Goldstein permettent aux lecteurs de découvrir la vie de Panama Al Brown, une vie faite de hauts et de bas. Entre la boxe qui lui rapportait énormément d’argent mais qu’il dilapidait directement, sa main fragile, sa dépendance à l’alcool et sa maladie, le champion brûla son existence comme une allumette.

Prodige du noble art, Alfonso n’aimait pas du tout la boxe, préférant la danse, la musique, le jazz, les soirées mondaines et les cafés de Pigalle. La fête, les amis et l’alcool, c’était sa vie ; une vie de dandy qui aimait s’exhiber. Il se produira même dans La revue nègre de Joséphine Baker.

Lors des folles nuits parisiennes des années 30, Panama Al Brown redevenait tout simplement Alfonso, un garçon qui aimait la vie. Protégé par Cocteau, il finira pourtant dans la misère, malade et affaiblit, errant seul dans les rues de Harlem.

Les auteurs de l’album nous transportent dans ce tourbillon de vie, de soirées et de boxe. A travers 168 pages, ils rendent hommage à cet homme flamboyant, délaissé par tout le monde, haït des spectateurs parce que noir et homosexuel. Très belle biographie non-linéaire et non-chronologique, Panama Al Brown happe le lecteur qui se laisse transporter entre Paris, le Panama et New-York. Il faut souligner que leur héros eut une vie romanesque, riche et d’une grande densité, très courte puisqu’il naquit en 1902 et il décéda en 1951.

LA FORCE DU DESSIN

Après Apache (Prix Polar BD SNCF 2017), Alex W. Inker reprend du service dans une histoire se déroulant aussi en grande partie dans les années 30. Cela convient parfaitement à son dessin aux feutres en noir et blanc d’une grande force graphique. Ses envolées lors des scènes de combats de boxe ou lorsque Alfonso chante et danse sont magnifiques.

Diplômé de Saint-Luc, titulaire d’un Master 2 de cinéma, professeur à l’université de Lille 3 (il enseigne les liens entre BD et cinéma), Alex W. Inker nous impressionne encore plus que dans son précédent ouvrage. Il restitue parfaitement les ambiances des soirées parisiennes des années 30, s’inscrivant dans les pas des biographies de Frantz Duchazeau (Le rêve de Météor Slim, Les jumeaux de Conoco Station ou BlackFace Banjo).

« Panama Al Brown est une figure oubliée du Paris des années 30 qui a subi les pires attaques parce qu’il était noir et homosexuel, ces combats sont encore d’actualité, il est bon d’en parler. Il est rapidement tombé dans l’oubli et j’ai donc créé sa biographie à partir des éléments que j’ai pu trouver mais il y a des éléments restés dans l’ombre comme sa relation amoureuse avec Jean Cocteau » confie d’ailleurs le dessinateur français.

Pour en savoir plus sur Panama Al Brown, Jacques Goldstein propose un mini-dossier accolé à la fin de l’album (photographies, dessin de Cocteau et biographie).

« Al était un poème à l’encre noire, un éloge de la force spirituelle qui l’emporta sur la force tout court. » Jean Cocteau

Article posté le samedi 11 novembre 2017 par Damien Canteau

Panama Al Brown de Jacques Goldstein et Alex W. Inker (Sarbacane) décrypté par Comixtrip
  • Panama Al Brown
  • Scénaristes : Jacques Goldstein et Alex W. Inker
  • Dessinateur : Alex W. Inker
  • Éditeur : Sarbacane
  • Prix : 24€
  • Parution : 06 septembre 2017
  • IBAN : 9782848659855

Résumé de l’éditeur : L’incroyable histoire de Panama Al Brown, Champion du Monde de boxe, dandy jazz et intime de Cocteau ! Prenez un gamin des rues de Colòn, Prenez un dandy jazz de Harlem, Prenez le roi des nuits parisiennes, Prenez la muse d’un poète, Prenez un boxeur prodige, champion du monde, Vous obtiendrez le cocktail le plus énigmatique des années 30, Panama Al Brown, Un cocktail noir comme l’encre, Aux saveurs trop amères pour un monde où noir et blanc se diluent mal…

À propos de l'auteur de cet article

Damien Canteau

Damien Canteau est passionné par la bande dessinée depuis une vingtaine d’années. Après avoir organisé des festivals, fondé des fanzines, écrit de nombreux articles, il est toujours à la recherche de petites merveilles qu’il prend plaisir à vous faire découvrir. Il est aussi membre de l'ACBD (Association des Critiques et journalistes de Bande Dessinée). Il est le rédacteur en chef du site Comixtrip.

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