Plongée dans la nuit

Il est courant dans une vie d’adolescente de se sentir seule au monde. Dans « Plongée dans la nuit » le dessin chargé de poésie de Goumoto transforme une simple rencontre entre jeunes filles solitaires en bouillonnement de l’imaginaire. 

Solitude volontaire

Tsukiko a toujours vécu seule et sans amie. Parce qu’elle a grandi en changeant sans cesse de pays, elle s’est immunisée contre le sentiment de solitude. Mais de retour au Japon, au bord d’une piscine, elle croise Aya. “En une fraction de seconde, j’ai été submergée”. Elle voit Aya sortir de l’eau, éclaboussée le ciel de gouttelette et replongée aussitôt. En un instant, son univers sombre et froid est envahi par des poissons et des récifs multicolores.

A l’opposé, Aya est souvent avec des gens. Mais jamais avec ce qu’on peut appeler « des amis ». Elle a la fâcheuse manie de dire tout ce qu’elle pense, sans ce filtre entre la pensée et la parole qui empêche de vexer les autres. Si bien que peu de monde apprécie sa compagnie. Curieusement, tandis qu’elle est d’un naturel bavard et dynamique, le lieu où elle se sent le mieux, c’est immergée dans l’eau d’une piscine. Là où le silence est roi et les émotions en apesanteur.

Chacune à leur façon, la taciturne Tsukiko et la trop honnête Aya s’éloignent du monde réglementé qui les entoure. Leur premier échange, sous un parapluie, signe le début d’une danse adolescente, faite de non-dit, de poisson dans l’eau et de regard de porcelaine.

Poésie graphique

A l’instant où Tsukiko plonge, le lecteur plonge avec elle. Les poissons s’invitent à même la rue autour d’elle, remplace la tête d’Aya lorsque celle-ci est triste, une carpe passe comme une pensée fugace.

Et Tsukiko n’est pas la seule à voir son monde envahi par celui d’une autre. Car, en réalité c’est Aya qui est « Plongée dans la nuit« . Le nom de Tsukiko s’écrit comme ceci en japonais : 月子. Ce sont les signes pour les mots Lune et EnfantAinsi, elle s’appelle « Enfant de la lune ». Sa peau diaphane et son regard doucement glaciale rappelle l’envoûtante Mina Harker. La femme que Dracula a choisi comme victime. Née du roman de Bram Stocker en 1897, elle traverse les adaptations jusqu’au film de Dario Argento en 2012. Cette fois, c’est l’ondine Aya qui tombe sous le charme de la presque vampire.

Goumoto fait déborder l’imaginaire dans le réel. Les mondes intérieurs des adolescentes inondent les cases. Comme si leurs sentiments s’évadaient de leur esprit pour envahir l’espace et les pages. Trait par trait, la poésie graphique de l’autrice nous informe sur l’état d’esprit de nos personnages.

Affinité en construction

Ces deux jeunes filles, qui n’ont jamais apprit le sens du mot « amitié », apprennent peu à peu à s’apprivoiser. Mais les murs qui nous protègent du monde extérieur ont la peau dure. Pour briser celui que Tsukiko s’est bâtit, Aya a une longue route à faire dans les profondeurs de la nuit.

« Plongée dans la nuit » est un yuri, un manga consacré aux romances entre jeunes filles. Dans ce cas, le chemin emprunté par les adolescentes dans ce tome 1, promet à l’avenir de zigzaguer dans les montagnes ; plutôt que sur les dalles plates d’un rebord de piscine.

Un plongeon 3 étoiles

A mon sens, « Plongée dans la nuit », publié chez Taifu Comics se tient au juste milieu entre tranche de vie, romance sucrée et complexité des relations réelles. La matérialisation de leur univers intérieurs apporte de la subtilité et de la douceur à l’histoire.

Cela rappelle le roman jeunesse de Katherine Paterson : Le Royaume de la rivière, adapté au cinéma par Gábor Csupó, en 2007, sous le nom Le Secret de Terabithia. La poésie de Lesli, personnage aussi vive qu’Aya, fait apparaître à l’écran des bulles et des poissons flottants dans la classe.

J’ai apprécié m’immerger dans l’univers au bord de la fantaisie de Goumoto. Elle allie délicatement les affres de l’adolescence et la poésie de deux mondes très personnels.

Article posté le lundi 22 juin 2020 par Marie Lonni

Plongée dans la nuit - Goumoto
  • Plongée dans la nuit
  • Autrice : Goumoto
  • Éditeur : Taifu Comics
  • Prix : 7,99€
  • Parution : 29 mai 2020
  • ISBN : 9782375061978

Résumé de l’éditeur : Tsukiko Yano vient d’être transférée dans un nouveau lycée. Aussi superbe que taciturne, elle n’a que peu d’interactions sociales avec les autres et ne se lie à personne, jusqu’à ce jour où, en rentrant, elle passe devant la piscine de l’école. Elle y rencontre Aya Utsumi, une élève de sa classe à qui elle n’avait jamais fait attention, occupée à nager avec grâce dans le bassin. Fascinée, Tsukiko se rapproche sans le vouloir de cette fille libre et dénuée de tact et apprend à la connaître petit à petit. Elle, dont le monde intérieur n’était que nuit, découvre un nouvel univers fait d’eau et peuplé d’innombrables créatures marines…

À propos de l'auteur de cet article

Marie Lonni

"C'est fou ce qu'on peut raconter avec un dessin". Voilà comment les arts graphiques ont englouti Marie. Depuis, elle revient de temps en temps nous parler de ses lectures, surtout quand ils viennent du pays du soleil levant. En espérant vous faire découvrir des petites pépites à savourer ou à dévorer tout cru !

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