Reckless

Parfois, le passé ressurgit dans notre vie sans qu’on s’y attende. Pour Ethan Reckless, il prend la forme d’une jeune femme à la chevelure de feu et au doux nom de Rainy. Reckless, le nouveau polar d’Ed Brubaker et Sean Phillips paru aux éditions Delcourt nous entraine dans l’Amérique des années 80, entre secrets et vengeance.

RECKLESS : LOVE AND HATE.

Dans la vie, il y a un numéro de téléphone pour tout… Celui d’Ethan Reckless est de ceux qu’on ne compose pas par hasard.

« On laisse un message sur le répondeur à propos du genre d’emmerdes qu’on a. Celles pour lesquelles on ne peut pas appeler les flics… Pour plein de raisons. Et si l’histoire est assez bonne, y a ce gars qui débarque pour résoudre le problème. »

Dans sa jeunesse, Ethan avait été un étudiant radicalisé, mais tout ne s’était pas passé comme prévu. Tous ses idéaux s’étaient envolés avec une bombe qui avait explosé trop près de lui. Et la large balafre qui lui sillonnait le visage était là pour le lui rappeler.

Ainsi, il avait tiré un trait sur sa vie d’avant et enfoui profondément ses secrets.

Désormais, il était celui qu’on appelait quand un problème semblait impossible à résoudre.

Le fait est qu’il pouvait tout retrouver : de la voiture perdue lors d’un pari, au mari parti avec les économies du couple, en passant par l’associé escroc, tout finissait par refaire surface. À condition d’avoir de quoi payer.

Ainsi, entre deux contrats, Reckless pouvait se payer le luxe de partager son temps entre le surf et le visionnage de La Nuit du chasseur, qu’il projetait dans le cinéma désaffecté dans lequel il vivait.

RIEN N’EST ÉTERNEL.

Mais un jour, au bout du fil, se fit entendre une voix venue d’une époque qu’Ethan croyait révolue.

Tel un fantôme venu d’un ancien temps, Rainy Livingston lui demandait de lui venir en aide et de jouer des poings pour elle.

« Quelqu’un me doit deux cent mille dollars et ne veut pas me les payer. »

L’affaire semblait simple, peut-être trop… Car même dans les métiers les plus atypiques, il y a des règles. Et Reckless sentait bien qu’il était sur le point d’en enfreindre une.

« Rainy et moi étions amoureux. Ce genre d’amour passionné, à tomber en morceaux, qu’on ressent seulement jeune, lorsque le monde semble plein de possibilités. »

Et sans qu’il s’en rende compte, Ethan Reckless venait de se saisir d’un dossier qu’il s’était pourtant juré de ne jamais rouvrir.

LE STYLE BRUBAKER.

Un polar noir, violent et désabusé. Ed Brubaker est passé maître dans ce genre d’histoires. Et Reckless ne fait pas exception à la règle. Les personnages y sont charismatiques, tiraillés entre un passé qui les hante et un futur qu’ils craignent d’écrire.

Assis sur un baril de poudre qu’il a lui-même rempli, le héros attend fatalement qu’une allumette vienne tout embraser.

Les scènes d’action trépidantes, pensées de manière cinématographiques, nous entrainent dans un tourbillon visuel. Et à ce titre, l’association Brubaker/Phillips fait à nouveau des étincelles.

RECKLESS : UNE FICTION PULP.

Comme toujours, les dessins donnent vie à l’intrigue et aux personnages. La construction minutieuse des planches permet d’admirer le talent de Sean Phillips. La variation des plans donne un dynamisme saisissant. Tantôt effrénée, tantôt langoureuse, on suit l’action aux premières loges.

Soulignons par ailleurs l’importance de la colorisation réalisée par Jacob Phillips. Aussi rugueuse que précise, elle contribue grandement à l’élaboration des différentes ambiances de l’histoire.

Et en prime, la caractérisation des personnages permet d’apprécier un clin d’œil savoureux à plus d’un titre.

THE SUNDANCE RECKLESS.

En effet, les traits du personnage principal rappellent Robert Redford, tel qu’il apparaissait dans des films comme Les Trois Jours du Condor ou encore… Brubaker.

Véritable tête brulée, Ethan Reckless court au-devant du danger, guidé par la colère qui, plus que jamais, est mauvaise conseillère.

Mais sous la plume d’Ed Brubaker, cette caractéristique s’avère être bien plus qu’un simple levier dramatique.

CHRONIQUE D’UN ÉCHEC ANNONCÉ.

Ainsi, une fois de plus, l’auteur de Pulp fait la preuve de son talent narratif.

Dans Reckless, le héros si bien nommé prend tous les risques pour arriver à ses fins, guidé par son caractère impulsif. Mais à y regarder de plus près, cette histoire que le lecteur découvre, c’est Reckless lui-même qui nous la raconte. Jonglant avec les analepses et les prolepses, c’est lui qui décide de l’ordre dans lequel on découvrira les faits.

Et par l’usage de cartouches savamment disséminés, Ed Brubaker donne la possibilité au personnage éponyme de commenter ses propres actions. Ainsi, il juge voire regrette ce qu’il a pu faire au moment même où on le découvre en images.

Ce procédé extrêmement bien maîtrisé permet de mettre en place un jeu fascinant sur la focalisation. Et alors qu’on pourrait craindre que cela mette à mal le suspense, en réalité, il s’en trouve renforcé. En effet, Reckless avoue ses erreurs et ses échecs avant même que nous, lecteur, n’ayons pu les constater. Et pourtant, il fonce tête baissée… La fatalité, thème cher au scénariste, prend toute sa dimension.

 

Avec Reckless, le duo Brubaker/Phillips (Fondu au noir) touche un nouvelle fois au but. Grâce à ce polar noir dont ils ont le secret, les auteurs entrainent le lecteur dans une aventure faite de rebondissements et de faux-semblants. Ce premier tome conte une aventure complète. Cependant, conçue comme une vieille série pulp, l’histoire d’Ethan Reckless se poursuivra pour finalement former un triptyque très attendu.

Article posté le lundi 01 novembre 2021 par Victor Benelbaz

Reckless d'Ed Brubaker et Sean Phillips (Delcourt)
  • Reckless
  • Scénariste : Ed Brubaker
  • Dessinateur : Sean Phillips
  • Coloriste : Jacob Phillips
  • Traducteur : Alexis Nikolavitch
  • Editeur : Delcourt
  • Collection : Contrebande
  • Prix : 16.5 €
  • Parution : 06 octobre 2021
  • ISBN : 9782413042495

Résumé de l’éditeur : Ethan Reckless est un ancien étudiant radical. Son job? Régler les problèmes. Toutes sortes de problèmes, quels qu’ils soient… à condition d’y mettre le prix. Les activités d’Ethan Reckless lui ont fait rouler sa bosse, comme on dit. Et il ne craint pas grand-chose… Si ce n’est que son passé le rattrape. Et cela semble bien être le cas…

À propos de l'auteur de cet article

Victor Benelbaz

Tombé dans la marmite de la bande dessinée depuis tout petit, Victor est un vrai amateur éclairé. Comics ou récits jeunesse sont les deux genres préférés de ce professeur de français.

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