Que faire quand on hérite de documents appartenant à ses parents ? Ce fut le cas pour Natalie Nie quand son père lui a confié un carton de souvenirs quelque temps avant son décès. Marquée par ses découvertes, la scénariste a décidé, aidée par Chongrui Nie, son mari dessinateur, d’en faire un album.
“Sale” guerre en Indochine, édité chez Mosquito, retrace, comme l’indique le sous-titre, les “Souvenirs d’un journaliste AFP” en Indochine. Mais surtout ceux d’un père et d’une famille.

Des recherches comprendre
Quand Natalie Nie récupère un carton légué par son père, elle ouvre, par la même, un album de photos et de souvenirs. Ils concernent un pan de sa vie de journaliste alors qu’il se trouvait en Indochine, pour couvrir la guerre du même nom. Ou plutôt qu’ils se trouvaient, puisque c’est là-bas que la famille s’est construite.
Près de 20 ans plus tard, alors que François du Sorbier aurait eu 100 ans, la scénariste s’est rendue dans les locaux de l’AFP (Agence France Presse). Elle voulait recueillir des informations puisque ses photos n’étaient ni datées, ni localisées.

“Sale”, pourquoi ces guillemets ?
Alors qu’elle ouvre l’album photos de son père, Natalie Chongui y lit une annotation écrite de la main de sa mère. Quelques bons moments dans ce “sale” et si cher pays. Que pouvait donc bien signifier un tel propos ? Que s’était-il bien passé dans ce pays pour que les belles photos de famille ne soient pas représentatives de cette étonnante impression ?
C’est donc à la fois pour parler de l’histoire de sa famille, mais aussi décrire ce qui s’est déroulé pendant cette période de décolonisation, que Natalie Nie a été aidée par son mari. Chongrui Nie, dessinateur de Juge Bao, a ainsi pu mettre son dessin, mais surtout son soutien au service de ce retour aux sources qui débute en 1949. Alors que l’Indochine connaît sa troisième année de guerre.

La Guerre d’Indochine
Après l’occupation japonaise pendant la Seconde Guerre mondiale, Ho Chi Minh devient le Président de la République démocratique du Vietnam qu’il instaure en 1945. Il regroupe ainsi le Tonkin, la Cochinchine et l’Annam. L’Union française décide alors d’établir un gouvernement autonome de la Cochinchine pour s’opposer à cette création. Ho Chi Minh fait preuve de violences à l’égard des colons français, la marine française bombarde Haïphong. C’est le début de ce qu’on appellera la Guerre d’Indochine (1946-1954), opposant la France et le Viêt Minh.
À travers l’objectif de François Du Sorbier, le lecteur va ainsi pouvoir suivre cette « sale » guerre aux côtés du journaliste accrédité par les forces armées françaises. On a l’impression que parfois le journaliste laisse sa place à l’homme, celui qui ressent les horreurs de cette guerre. Celui qui a besoin de se ressourcer régulièrement auprès de sa famille pour continuer à exercer son métier de reporter de guerre. Bien qu’officiellement il ne s’agisse pas d’une guerre, mais d' »opérations de maintien de l’ordre ».

Une famille à construire
L’histoire familiale de Natalie Nie débute en 1949, quand François Du Sorbier décide de partir à Saïgon pour le compte de l’AFP après avoir travaillé à Londres pour The Economist. Armé de son appareil Rolleiflex, de son accréditation de l’armée et de sa carte de presse, il va suivre les faits de l’armée française dans sa lutte contre le Viet-Minh.
Sur place, lors d’une sortie, le journaliste est contaminé par une maladie tropicale. Hospitalisé pendant deux mois, il sera soigné par une infirmière anesthésiste. Charlotte Raveau devient sa femme. Aussi indépendants l’un que l’autre, ils continueront chacun leur mission en Indochine. Lui celle d’informer et elle celle de soigner les combattants et les habitants.

Un scénario chapitré en années
À travers sept chapitres (entre 1949 et 1955) et un épilogue, va se créer sous nos yeux une famille, celle de Jean du Sorbier et de sa femme Charlotte. Naîtront sur place Bouzi, fille aînée, puis Natalie. La famille sera aidée par une nounou vietnamienne prénommée Thiba, membre à part entière du clan.
Les événements historiques, tels que la chute de Diên Biên Phu en 1954, permettent de réaliser combien la vie de cette famille est rythmée par ce terrible conflit auquel les parents participent indirectement en raison de leurs attributions professionnelles. À tout moment, la violence est présente, que ce soit lors des expéditions du père. Mais également lorsque la mère et la fille aînée échappent à un attentat dans une rue de Saïgon.
C’est ainsi que se côtoient ce qu’il y a de plus beau dans une famille, mais également ce que Charlotte Raveau nommait cette “sale”guerre qui habitait leur quotidien.

Un dessin en noir et blanc
Pour illustrer le scénario de Natalie, le dessinateur Chongrui Nie, d’origine chinoise, a choisi d’utiliser une technique alliant traits noirs et blancs sur fonds noirs et blancs. Il fait ainsi ressortir les personnages et leur donne ainsi un étonnant réalisme.
Parfois, la technique employée semble similaire à celle des cartes à gratter, qui sous leur couche de noir dévoilent un visuel. Nous révélant ainsi un passé familial oublié. Puis retrouvé.
Ainsi, s’ouvre sous nos yeux l’album photo de la famille Du Sorbier, nous faisant entrer, avec beaucoup de décence, dans leur intimité.

Un très bel hommage
Avec “Sale” guerre en Indochine, Natalie Chongrui rend un poignant hommage à son père, à travers ses souvenirs de journaliste. Mais elle rend également hommage à tous ceux qui ont partagé la vie de la famille dans ce Sud-Est asiatique marqué par les affres de la décolonisation. Ainsi, par le truchement de son histoire familiale, elle explique de fort belle manière, l’Histoire d’un pays en devenir.
Un travail scénaristique et graphique fort, émouvant et passionnant.
- « Sale » guerre en Indochine, Souvenirs d’un journaliste de l’AFP
- Scénariste : Natalie Nie
- Dessinateur : Chongrui Nie
- Éditeur : Mosquito
- Parution : 03 octobre 2025
- Pagination : 128 pages
- Prix : 25€
- ISBN : 9782493343550
Résumé de l’album : François du Sorbier fut journaliste durant la guerre d’Indochine, Natalie Nie, sa fille, retrace son parcours à partir des archives familiales mises en image par son époux Chongrui Nie auteur de nombreuses BD dont Le Juge Bao et Au loin, une montagne.
À propos de l'auteur de cet article
Claire Karius
Passionnée d'Histoire, j'affectionne tout particulièrement les albums qui abordent cette thématique. Mais pas seulement ! Je partage ma passion de la bande dessinée dans l'émission Bulles Zégomm sur Radio Tou'Caen et sur ma page Instagram @fillefan2bd.
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