Silence sur le quai

Dans Silence sur le quai, le photographe Alain Bujak et le dessinateur Elliot Royer donnent à voir l’histoire de la ligne de chemin de fer Béziers-Neussargues. Entre nostalgie du voyage et combat contre la désertification des zones rurales.

Souvenirs de voyages

Avec Silence sur le quai, qui paraît cet automne chez Futuropolis, Alain Bujak et Elliot Royer évoquent l’histoire de la ligne de chemin de fer Béziers-Neussargues à travers le combat des élus, cheminots et usagers pour son maintien. Ces deux amoureux du train retranscrivent l’un par la photo et le récit, l’autre par le dessin, tout ce qui a fait et peut-être fait encore tout le sel du voyage. On commence d’abord la lecture de ce bel album par une séquence nostalgie.

Le narrateur convoque ici ses souvenirs d’enfant, dans les années 70. Le voyage en train rimait alors pour lui avec le début des vacances d’été, « ces voyages pleins d’odeurs, de grincements, de fenêtres coulissées ».

La vitesse à tout prix

Cet album en forme d’enquête restitue les choses dans leur contexte, jalonnant l’histoire du train en quelques dates. C’est l’année 1975 avec l’arrivée des trains corail, l’expérience de l’aérotrain bientôt supplantée par le TGV puis l’abandon progressif de petites lignes dont la SNCF semble vouloir se débarrasser au cours de ces dernières décennies.

C’est ainsi qu’on découvre le cas de cette ligne Béziers-Neussargues, qui traverse une bonne partie du Massif central, le long de paysages magnifiques parsemés de tunnels et de viaducs, desservant parfois de toutes petites gares, essentielles, voire vitales pour des populations isolées. Faudra-t-il la sacrifier sur l’autel de la vitesse et de la rentabilité ?

Un combat légitime

En 1995, la SNCF annonce la fermeture de la ligne, située selon elle au cœur d’une « Zone non rentable », partie intégrante d’un projet prévoyant d’y fermer entre 12.000 et 15.000 km de lignes. Dans la foulée, un comité de défense et de promotion de la ligne SNCF Béziers-Neussargues-Clermont-Ferrand-Paris voit le jour.

Cheminots, élus locaux, vignerons, usagers multiplient les actions et font le siège des ministères pour sauver la ligne. Leur combat ne restera pas vain. La ligne sera sauvée, réhabilitée. Elle sert à nouveau de lien entre tous ces territoires, parmi les moins peuplés de France. « Les rails sont parallèles mais ils permettent aux gens de se croiser », résume fièrement l’un des personnages impliqués dans le sauvetage de cette ligne.

Les mobilités en question

Entre reportage et autobiographie, Alain Bujak scénarise de manière originale un thème sociétal toujours d’actualité. A l’heure où la prise de conscience écologique semble infuser dans les esprits, comment concilier les questions de mobilité et de développement des territoires ? Le photographe scénariste avait déjà abordé ces enjeux environnementaux dans L’eau vive, un album publié avec Damien Roudeau et récompensé en 2021.

De son côté, Elliot Royer, qui signe ici sa première bande dessinée, a su capter dans un dessin à la fois réaliste et épuré la beauté des paysages traversés, au terme de quatre années de travail, dessinant souvent in situ, partie prenante de ce combat positif.

Un mini-album photo clôt ce Silence sur le quai. Enfin, lucides, les auteurs eux ne referment pas tout à fait le livre. Conscient que peut-être d’autres combats restent à mener dans les temps futurs, le narrateur se demande : « J’aimerais une notice claire, comprendre où l’on va…savoir si sillonner la France en train comme je le faisais gamin relève aujourd’hui de l’utopie ».

Article posté le mardi 05 novembre 2024 par Jean-Michel Gouin

Silence sur le quai d'Alain Bujak et Eliott Royer (éditions Futuropolis)
  • Silence sur le quai
  • Scénariste : Alain Bujak
  • Dessinateur : Elliot Royer
  • Editeur : Futuropolis
  • Prix : 19 €
  • Parution : 9 octobre 2024
  • Nombre de pages : 112
  • ISBN : 9782754833295

Résumé de l’éditeur : La ligne Béziers Neussargues, est unique. Elle est sans doute la seule à offrir à ses voyageurs une telle diversité de paysages, en partant de l’arrière-pays méditerranéen, en traversant le causse du Larzac, pour arriver en moyenne montagne. À travers les fenêtres de ce train, c’est aussi les inégalités d’aménagements du territoire qui défilent. La concentration d’énergie et de moyens consacrés au développement des métropoles, a été proportionnelle au sentiment d’abandon des territoires ruraux éloignés des centres économiques.
La menace de fermeture de ces petites lignes met en évidence les contradictions et les volontés d’un état jacobin, qui s’empare d’une pensée environnementale, en annonçant sa volonté de voir diminuer la circulation automobile et le transport routier. Dans le même temps, il se désengage du service ferroviaire. Le changement climatique, et le virus sont passés par là ! Les citadins veulent quitter les grandes villes, où flambe l’immobilier. Ils sont nombreux à vouloir trouver un peu d’air, un havre de paix à la campagne. C’est toute une « tribu » écolo-citadine qui rêve de villages à la fois authentiques et connectés. Une vision idéalisée, mais qui relance les questionnements sur le devenir de ces territoires. Ils retrouvent de l’attractivité, un regain d’intérêt. La nécessité de desservir ces villes et ces villages se confirme.
À la rencontre des élus, des cheminots et des usagers, les auteurs racontent ce combat pour le maintien de la ligne à l’heure des défis actuels pour économiser l’énergie, l’espace, respecter la nature et l’environnement. L’inégalité du développement des territoires est au cœur du propos, une inégalité et des choix qui deviennent d’autant plus regrettables que les enjeux sociétaux, et les aspirations des citoyens tendent vers une meilleure répartition des populations et de l’activité.

À propos de l'auteur de cet article

Jean-Michel Gouin

Passionné par l'écrit, notamment l'histoire, la littérature policière et la bande dessinée, Jean-Michel Gouin a été journaliste radio et presse écrite pendant une trentaine d'années à Poitiers.

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