Alors qu’elle est entrée au Panthéon avec Antoine son mari le 1er juillet dernier, Simone Veil fait l’objet d’une très belle biographie – Simone Veil l’immortelle – mettant en lumière deux moments importants de sa vie : la loi pour l’interruption volontaire de grossesse en 1974 et son internement avec sa sœur et sa mère dans le camp de concentration de Auschwitz-Birkenau en 1944. Parcours d’une immortelle sous la plume de Pascal Bresson et sous les crayons de Hervé Duphot.
Un parcours
Nommée au poste de ministre de la santé par Jacques Chirac alors Premier ministre de Valéry Giscard d’Estaing en 1974, Simone Veil fait ses premiers pas en politique à ce moment-là. Ancienne déportée du camp d’Auschwitz-Birkenau, elle avait obtenu auparavant une licence de droit et un diplôme de l’Institut d’études politiques à son retour de ses années d’enfer en Pologne. Pendant la Guerre d’Algérie, le ministre de la Justice Edmond Michelet lui confia la mission de transférer des prisonnières algériennes menacées de mauvais traitements mais aussi d’hommes menacés de peine de mort. En 1970, elle devint la première femme à occuper le poste de Secrétaire générale du Conseil supérieur de la magistrature.
Simone Veil : entrer dans l’Histoire
Après de nombreuses heures de travail intensif et de nuits blanches, le 26 novembre 1974, Simone Veil se rend à l’Assemblée nationale pour défendre le texte de loi le plus important de sa carrière : l’interruption volontaire de grossesse, qui dépénalise l’avortement. Accompagnée par Jean-Paul son fidèle assistant, elle arrive devant le Palais Bourbon, accueillie par une foule hostile de pro-vie. Les insultes pleuvent mais elle fait face : « Si je dois faire mon entrée dans l’Histoire, autant qu’elle soit fracassante ! »
La majorité est divisée, la Gauche la soutient, l’Eglise veut rester silencieuse et Jacques Chirac est frileux. Cela est donc un vrai combat qu’elle mènera devant des députés, certains opposants ayant des mots indicibles et violents. Après une dernière cigarette dans la Salle des 5 colonnes, elle fait son entrée dans l’hémicycle comme on entre en Histoire…
« Monsieur le président, mesdames, messieurs,
Si j’interviens aujourd’hui à cette tribune, ministre de la Santé, femme et non parlementaire, pour proposer aux élus de la nation une profonde modification de la législation sur l’avortement, croyez bien que c’est avec un profond sentiment d’humilité devant la difficulté du problème, comme devant l’ampleur des résonances qu’il suscite au plus intime de chacun des Français et des Françaises, et en pleine conscience de la gravité des responsabilités que nous allons assumer ensemble.
Mais c’est aussi avec la plus grande conviction que je défendrai un projet longuement réfléchi et délibéré par l’ensemble du gouvernement, un projet qui, selon les termes mêmes du président de la République, a pour objet de ‘mettre fin à une situation de désordre et d’injustice et d’apporter une solution mesurée et humaine à un des problèmes les plus difficiles de notre temps. »
Comme elle le confira à 80 ans dans ses mémoires – Une vie, éditions Stock – Simone Viel restera a jamais marqué par sa déportation dans le camp de Auschwitz-Birkenau. Pascal Bresson a donc choisi de mettre en parallèle ce moment douloureux avec sa plus grande bataille politique que fut la loi sur l’IVG. Il aurait fallu plusieurs volumes si le scénariste avait voulu raconté toute la vie de cette grande figure du féminisme français, mais il s’est concentré sur ces deux événements. Ainsi l’auteur de Plus fort que la haine (avec Réné Follet) fait des allers-retours entre ses deux périodes et le lecteur n’en n’est pas pour autant déboussolé.
A l’image de Si c’est un homme de Primo Levi – raconté en BD dans Une étoile tranquille de Pietro Scarnera – elle décrit avec une grande précision ces moments durs de captivité, où elle laissera derrière elle sa mère, son père et son frère. Dans l’album, il y a quelques passages parfois difficiles pour le lecteur parce que l’horreur est là présente toutes les minutes : les morts qui jonchent le sol, les fumées des chambres à gaz à l’odeur indescriptible, le tatouage indélébile pour déshumaniser, la faim, le froid, les violences mais aussi des moments d’espoir : Stenia, cette kapo qui lui sauva la vie ou Marceline Loridan-Ivens, amie de détention, qui le restera jusqu’à la fin de sa vie.
Un album coloré
Si les deux moments choisis dans la vie de Simone Veil ne sont pas les plus joyeux de sa vie, Hervé Duphot a décidé de les rendre plus « doux » par des couleurs marquées : du bleu pour les débats à l’Assemblée, du jaune l’adolescence et avant arrestation et du gris pour Auschwitz.
Le dessinateur dont le premier album fut publié en 2009 (Le tour d’écrou) a déjà travaillé sur la période de la Seconde guerre mondiale à travers Les combattants (avec Laurent Rullier, Delcourt) ou Le combat des Justes (collectif, Delcourt). Pour la biographie de Simone Veil, il réalise des planches saisissantes dans les camps de Drancy, Auschwitz et Bergen-Belsen. L’auteur originaire de Créteil a parfaitement réussi à camper la première Présidente du Parlement européen, ce qui n’est jamais simple lorsque l’on s’attaque à une biographie.
Simone Veil l’immortelle : une superbe biographie à mettre entre toutes les mains pour découvrir la vie passionnante de cette grande femme politique, pour comprendre les coulisses de la loi sur l’IVG et connaître la vie dans les camps de concentration. Une belle manière pour entamer un dialogue entre parents et enfants, entre enfants et professeurs. Un témoignage fort à conserver précieusement; il ne reste plus en effet, beaucoup de survivants de la Shoah. Une femme admirable !
- Simone Veil, l’immortelle
- Scénariste : Pascal Bresson
- Dessinateur : Hervé Duphot
- Editeur : Marabulles
- Parution : 27 juin 2018
- Prix : 17.95€
- ISBN : 9782501117821
Résumé de l’éditeur : Cet album est un vibrant hommage à Simone Veil, figure féministe populaire et discrète. Le récit s’attache aux temps forts de sa vie, de la loi pour l’IVG défendue à l’assemblée nationale, à son enfance à Nice avant d’être déportée avec sa famille. Simone Jacob est née en 1927 à Nice. À 17 ans elle est déportée à Auschwitz, avec toute sa famille. Ses soeurs et elle reviendront du camp de concentration. Cette période l’a marquée à jamais. En 1946, elle épouse Antoine Veil. Magistrat, elle devient en 1974, ministre de la Santé de Valéry Giscard d’Estaing, chargée de défendre la loi sur l’IVG. En 1993, elle occupe à nouveau la fonction de ministre des Affaires sociales et de la Santé dans le gouvernement d’Édouard Balladur. Simone Veil a également été députée européenne et membre du Conseil constitutionnel. Elle était présidente d’honneur de la Fondation pour la mémoire de la Shoah. Cette femme de conviction s’est très peu confiée. Le grand public ne connaissait que sommairement son parcours de déportée. Elle a attendu d’avoir 80 ans pour écrire ses mémoires (Une Vie, Ed. Stock). Elle raconte que c’est une kapo, sans doute une prostituée Polonaise, qui lui a sauvé la vie en lui disant : «Tu es trop belle pour mourir ici…». Chez nous comme dans tant de familles juives françaises, la mort a frappé tôt et fort.
À propos de l'auteur de cet article
Damien Canteau
Damien Canteau est passionné par la bande dessinée depuis une trentaine d’années. Après avoir organisé des festivals, fondé des fanzines, écrit de nombreux articles, il est toujours à la recherche de petites merveilles qu’il prend plaisir à vous faire découvrir. Il est aussi membre de l'ACBD (Association des Critiques et journalistes de Bande Dessinée) et co-responsable du prix Jeunesse de cette structure. Il est le rédacteur en chef du site Comixtrip. Damien modère des rencontres avec des autrices et auteurs BD et donne des cours dans le Master BD et participe au projet Prism-BD.
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