Dans la Louisiane des années 1930, Red et Otis, deux copains inséparables voient leur vie bousculée avec l’arrivée de Shelley, une jeune fille à la santé fragile et la disparition d’un homme noir dans le bayou. Après Fréhel, Johann G. Louis imagine Swamp, un été dans le bayou, un album entre joie et tristesse, peur et horreur. Une très belle bande dessinée sur la fin de l’insouciance et de l’enfance.
Danser pour vivre
Louisiane, dans les années 1930. Au bord du bayou, au Blue Cafe, les habitants noirs de la ville se réunissent pour chanter et danser. Bien habillés, ils swinguent.
Mais en quelques minutes, la salle du bar se vide. Alertés par un guetteur, les danseuses et danseurs déguerpissent. Ils ont peur ! Peur d’être poursuivis et lynchés par les hommes blancs de la petite ville.
Otis et Red, amis pour la vie
A la fenêtre, Otis ne manque rien ni de la fête ni de la fuite. Le petit garçon noir lui aussi court pour ne pas être attrapé. Il s’endort, chez lui, la peur au ventre.
Le lendemain, Otis rejoint Red, son ami après l’école. L’amitié n’a pas de frontière. Les deux copains sont noir et blanc. Ensemble, ils font les 400 coups, comme deux enfants qui aiment s’amuser.
Une arrivée qui ne passe pas inaperçue
Le bus de la Nouvelle-Orléans passe alors devant eux. Otis et Red courent pour scruter les nouveaux arrivants.
Descendent alors une belle femme et sa fille. Bien habillées, on le sent, elles sont riches. Mrs Duville et Shelley viennent passer l’été dans le très beau manoir qu’on leur a prêté.
Shelley, une nouvelle amie
Dans la communauté noire de la ville, la rumeur bruisse. Un des leurs a disparu. Comme de nombreux malheureusement. La peur grandit…
Si Red et Otis ne savent pas vraiment ce qui se passe, ils décident d’aller explorer le manoir et voir les nouvelles arrivantes.
Le lendemain, les deux copains croisent Shelley. Ils l’invitent à les suivre et font même de la caisse à savon. Mieux, ils entrent dans le manoir et sont accueillis chaleureusement…
Swamp, quand l’amitié est plus fort que la peur
Johann G. Louis avait éveillé ma curiosité en publiant La petite dernière, une belle adaptation du roman de la grande autrice Susie Morgenstern. Il est de retour au catalogue des éditions Dargaud avec Swamp, un été dans le bayou. Et l’on peut dire que ce nouvel album est le plus abouti de sa carrière professionnelle.
Dans ce récit très fort, il met en scène l’amitié de trois jeunes enfants dans un climat de ségrégation raciale aux États-Unis. Tout d’abord, Otis et Red, à la couleur de peau différente. Ils vont pourtant au-delà des préjugés et des recommandations. Ils sont amis, et c’est pour la vie. Le du s’amusent et ne vont pas trop à l’école. Leur amitié ressemble à celle de Tom et Huck dans Tom Sawyer de Mark Twain. Une amitié forte, drôle et enjouée.
Des personnages très attachants
Otis et Red sont rejoints par Shelley. Cette jeune fille de bonne famille arrive de la Nouvelle-Orléans. De santé très fragile, elle devient rapidement leur amie. Il faut souligner que Mrs Duville accueille les garnements avec chaleur et bienveillance. La couleur de la peau n’entre jamais dans le propos de la femme. Mieux, la grande dame traite avec dignité et égalité Aunt Hattie, la tante d’Otis. Cette dernière entre au service des Duville.
Venues de la grande ville, pour Mrs Duville, il n’y a pas de différence entre les blancs et les noirs. Un contraste fort entre la Nouvelle-Orléans et la petite bourgade.
Si elles semblent riches et cultivées, les Duville sont fauchés. C’est pour cela que les deux femmes logent dans le manoir le temps d’un été.
Swamp, un récit initiatique qui se fracasse sur la réalité de la vie
Swamp, c’est une belle aventure où la joie entre Shelley, Red et Otis – un hommage à Otis Reding – est palpable. Ce bonheur se fracasse sur les dures réalités de la vie. La précarité se mêle au racisme et la haine des noirs. Les hommes blancs n’hésitent pas à rabaisser les noir.es, les pourchasser, les séquestrer et les tuer. Telle la puissante chanson Strange Fruit interprétée par Nina Simone, on ressent cette atmosphère de terreur.
Si la violence n’est jamais frontale mais plutôt suggérée, on a peur pour Otis, sa famille et ses amis. Johann G. Louis évoque cela juste avec un cagoule du Ku Klux Klan ou un cercueil porté par des hommes éplorés. Red et Otis voient l’insouciance de leur enfance fuir avec ces quelques scènes fortes. Ils grandissent entre joie et pleurs.
Superbes aquarelles
Après avoir suivi des cours à l’Ecole des beaux-arts d’Angers pendant cinq ans, Johann G. Louis travaille dans les univers du cinéma et de la publicité comme décorateur. Dans Swamp, on sent cette filiation dans les compositions et les décors.
Les aquarelles de l’auteur m’impressionnent. Ses planches sont superbes. Les décors naturels des champs ou du bayou sont saisissants. Les personnages sont affublés de très grands yeux ronds. Très expressifs, ils s’ouvrent au monde qui les entourent.
Si le dessin très rond semble idéal pour le jeune lectorat, le récit de Swamp ne leur est pas vraiment destiné. On attendra la fin du collège pour conseiller cette histoire puissante et intelligente.
- Swamp – Un été dans le bayou
- Auteur : Johann G. Louis
- Editeur : Dargaud
- Prix : 19 €
- Parution : 28 avril 2023
- ISBN : 9782205207996
Résumé de l’éditeur : Louisiane, fin des années 1930. Dans la touffeur du bayou, où il ne se passe jamais rien, deux amis, tous deux âgés de dix ans, Red et Otis, assistent au meurtre d’un noir. Ils se lient aussi d’amitié avec une petite fille pleine de secrets, Shelley. Ces trois enfants que tout sépare (un blanc, un noir, une fille) vivent un été inoubliable et fondateur. Un grand récit romanesque qui fleure bon la littérature américaine (Mark Twain, Harper Lee, Truman Capote) signé Johann G. Louis (« La petite dernière »).
À propos de l'auteur de cet article
Damien Canteau
Damien Canteau est passionné par la bande dessinée depuis une trentaine d’années. Après avoir organisé des festivals, fondé des fanzines, écrit de nombreux articles, il est toujours à la recherche de petites merveilles qu’il prend plaisir à vous faire découvrir. Il est aussi membre de l'ACBD (Association des Critiques et journalistes de Bande Dessinée) et co-responsable du prix Jeunesse de cette structure. Il est le rédacteur en chef du site Comixtrip. Damien modère des rencontres avec des autrices et auteurs BD et donne des cours dans le Master BD et participe au projet Prism-BD.
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