Une femme de Shôwa

Alors que le Festival BD d’Angoulême va mettre à l’honneur le merveilleux travail de Kazuo Kamimura, les éditions Kana poursuivent leur travail de mémoire autour de son œuvre avec la publication de Une femme de Shôwa. Shôko, jeune Japonaise décide de se venger des personnes qui ont fait du mal aux gens qui l’ont aidé après la mort de sa mère.

SHOKO : ORPHELINE DE GUERRE

Japon, 1943, 18e année de Shôwa. Shôko vit avec ses parents mais son existence n’est pas linéaire. Kyoko, sa mère est un ancienne geisha qui fut mariée très jeune à Sôsuke, jeune critique qui a publié des articles dans de grandes revues.

Un soir, la Haute Police Spéciale vient chercher le père de Shôko. Depuis un certain temps, l’homme est très critique envers le gouvernement qui se débat dans la longue guerre. Il faut souligner qu’il avait rejoint une organisation qui tentait de renverser le cabinet gouvernemental.

Emmenée au poste de police pour avouer l’endroit où son mari se cache, Kyoko va être battue, violée et mutilée. De retour à la maison, c’est la petite fille qui doit s’occuper de sa mère, son père étant définitivement parti.

VIVRE SOUS LES BOMBES

A partir de 1944, les bombes américaines s’intensifient. Shôko et sa mère doivent fuir. Mais trop faible, la femme décède, laissant seule sa fille. A la fin de la guerre, elle doit se débrouiller et voler pour survivre comme un très grand nombre d’orphelins.

Une pomme volée à la main, elle se réfugie chez des prostituées qui sont aux prises avec des violeurs. Grâce à ce stratagème – elle est poursuivi par des policiers et des habitants – la petite fille sauve les deux jeunes femmes. Maggy et Lise, reconnaissantes, décident de la recueillir chez elles.

Mais elles sont pourchassées par Osei Yozakura, la mère-maquerelle, qui vient chercher son dû. Cachées dans le faux plafond, c’est Shôko qui doit encaisser les coups de la grosse femme détestable.

LE RETOUR DU PÈRE

Avant que la souteneuse ne le retrouve, le trio décide de fuir pendant la nuit. Mais, Yozakura est déjà là et c’est le début des humiliations et des coups. Encore une fois, c’est Shôko qui s’occupe de Lise et Maggy. Pour gagner de l’argent et les faire soigner par un médecin, la petite fille accepte tout de la part de soldats américains.

Quelques années plus tard, alors adolescente, elle retrouve son père par hasard. Elle découvre qu’il est devenu un maillon fort d’un parti d’extrême-droite nationaliste qui souhaite par tous les moyens mettre les Américains dehors.

Après une énième bagarre, elle devient pensionnaire d’une maison de redressement…

UNE FEMME DE SHOWA : FORT GEGIKA

Après Le club des divorcés (Kana, en Sélection Officielle du Festival d’Angoulême 2017) qui brossait le portrait des Japonaises dans les années 60-70, Une femme de Shôwa dépeint celles des années 50.

Le récit de Ikki Kajiwara est formidable ! Cet extraordinaire gekiga (manga pour les adultes abordant des sujets graves, sociaux ou historiques) met en lumière une foule de sujets importants dans les années d’après-guerre au Japon. Il est à souligner que le manga s’ouvre sur un dossier de 7 pages signé Shinako Matsumoto (auteure notamment de Kazuo Kamimura : anatomie de la beauté féminine) qui aborde les thématiques, d’une manière claire et précise.

Ainsi, le lecteur découvre que Une femme de Shôwa fut publié entre juillet 1977 et janvier 1978 dans 13 numéros de la revue éphémère Apache. Edité une première fois en un seul volume en 1978, l’histoire fut rééditée en 2011 par fukkan.com.

UNE FEMME DE SHOWA : BEAU PORTRAIT DE JAPONAISES DES ANNÉES 50

Tout d’abord, Ikki Kajiwara met en scène une histoire forte, violente et bouleversante dans le Japon post Seconde guerre mondiale. Après des bombardements nombreux, la Bombe Nucléaire, les Américains s’installent dans l’Archipel pour maintenir l’ordre.

100 000 personnes perdent la vie dans les bombardements, 120 000 enfants sont orphelins dont 30 000 sont vagabonds. Ce sera le cas de la petite Shôko, qui vole et se débat pour survivre. A la tête d’une petite armée, Shôko le Chat Sauvage fait règne la terreur dans son quartier. Ce sera aussi le cas dans l’école de redressement dans laquelle elle sera transférée.

Cette fresque historique de grande valeur est surtout très réaliste. La vie dans la rue, la prostitution, les violences faites aux femmes, la vie dans les centres de rééducations mais aussi le contexte politique notamment la montée des extrémismes par la personne du père de Shôko.

MERVEILLEUX DESSIN DE KAZUO KAMIMURA

Comme pour Le club des divorcés, le dessin de Kazuo Kamimura est merveilleux dans Une femme de Shôwa. D’une rare élégance, il peut se transformer puissamment dans les scènes de violence (les humiliations et mutilations sont fortes). Le mangaka utilise des techniques différentes (feutres, encres, aquarelles) pour réaliser de sublimes planches.

Article posté le samedi 21 janvier 2017 par Damien Canteau

Une femme de Shôwa de Ikki Kajiwara et Kazuo Kamimura (kana) décrypté par Comixtrip le site Bd de référence
  • Une femme de Shôwa
  • Scénariste : Ikki Kajiwara
  • Dessinateur : Kazuo Kamimura
  • Éditeur : Kana, collection Sensei
  • Prix : 16.95€
  • Parution : 18 janvier 2017

Résumé de l’éditeur : Dans l’immédiate après-guerre, la petite Shôko est livrée à elle même après le décès tragique de sa mère. Réduite au vol, elle va tout mettre en oeuvre pour survivre dans ce Japon qui se reconstruit. La jeune fille est animée par la vengeance. Elle punira tous ceux qui font du mal aux personnes qui l’ont aidée…

À propos de l'auteur de cet article

Damien Canteau

Damien Canteau est passionné par la bande dessinée depuis une vingtaine d’années. Après avoir organisé des festivals, fondé des fanzines, écrit de nombreux articles, il est toujours à la recherche de petites merveilles qu’il prend plaisir à vous faire découvrir. Il est aussi membre de l'ACBD (Association des Critiques et journalistes de Bande Dessinée). Il est le rédacteur en chef du site Comixtrip.

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