Entretien avec Thierry Gaudin et Romain Ronzeau, créateurs de Espions de famille

Espions de famille est l’une des plus belles séries jeunesse autour de l’espionnage. Mettant en scène Alex et Leila – un petit couple sympathique – et leurs camarades, Thierry Gaudin et Romain Ronzeau leur font vivre des aventures trépidantes. Nous avons rencontrés les deux auteurs lors du dernier Festival BD d’Angoulême pour leur poser des questions sur leur série. Plongée dans l’univers aventureux et chaleureux de ce duo sympathique, à l’humour dévastateur !

Comment vous êtes-vous rencontrés ?

Thierry : C’était un concours de circonstance au départ assez heureux. J’avais eu la chance de rencontrer Benoît Marchand (responsable BD à Okapi) au moment où Emile Bravo – qui dessinait Les aventures de Jules – quittait Okapi. A l’époque, je travaillais pour la télé, j’étais scénariste. Il m’a alors demandé si j’avais une histoire action/aventure pour garçons et filles dans mes tiroirs car cela l’intéressait.

J’avais quelques idées qui me trottaient dans la tête dont une autour des relations intergénérationnelles « petits-enfants/grands-parents » et les amours impossibles au collège. C’est dans un deuxième temps que l’histoire d’espionnage est arrivée.

Benoît a été très intéressé, j’ai fait le scénario du premier tome et cela lui a plu. Il m’a alors présenté Romain. C’est un cas assez exceptionnel de scénario qui est acquis avant même d’avoir eu un dessinateur. Ils nous ont marié et ce fut un mariage heureux ! (rires)

Romain : Benoît Marchand avait repéré une histoire de 6 pages que j’avais faite pour le magazine Spirou. Il m’a alors envoyé le récit de Thierry. Tout cela était donc un heureux hasard. Nous nous sommes tout de suite très bien entendus.

Le souci que l’on a eu sur le tome 1, c’est qu’effectivement nous avions travaillé chacun séparément. J’ai reçu un scénario déjà tout fait et ensuite j’ai commencé à faire le dessin. Ce fut un peu compliqué. Nous nous sommes aperçus qu’effectivement c’était toujours mieux d’en parler d’abord pour se mettre d’accord sur ce que l’on va raconter ou sur la narration. Le premier album, c’était évident pour moi : j’aimais l’histoire, j’aimais l’univers et je l’ai fait avec beaucoup de plaisir mais nous nous sommes aperçus que c’était encore mieux sur le deuxième lorsque nous avons commencé à le préparer ensemble plus en amont.

Thierry : La synergie de notre collaboration du scénario jusqu’à la mise en page, vraiment nous travaillons ensemble, tout le temps, à 4 mains. Ça nous appartient à tous les deux complètement, entièrement. La collaboration est plus étroite.

« L’école d’espions, c’est donc aussi un discours sur la transmission, comment on transmet le passé, comment on transmet une expérience. Comment le grand-père passe le relais à son petit-fils. C’est aussi une histoire d’héritage »

Pourquoi une série avec des espions ?

Thierry : En fait, tout est vraiment partie de cette histoire de découverte du passé du grand-père d’Alex, Amédée qui est espion. Ce qui m’a intéressé, c’était de traiter l’histoire de nos grands-parents. Nous les connaissons tous sous l’angle de gens retraités, chez qui on va goûter le dimanche mais mine de rien ce sont des gens qui ont vécus le XXe siècle ; un moment où il s’est passé un tas de choses.

Là, j’ai donc imaginé un jeune homme, qui sous prétexte que son grand-père lui a pourri sa première histoire d’amour – pour se faire pardonner –  lui dévoile son passé. Une vie où il a fait de grandes choses. C’était comment tout à coup, forcer un adolescent à s’intéresser à l’histoire de son grand-père et créer un lien qui n’est pas forcément évident à cet âge là.

L’école d’espions, c’est donc aussi un discours sur la transmission, comment on transmet le passé, comment on transmet une expérience. Comment le grand-père passe le relais à son petit-fils. C’est aussi une histoire d’héritage.

« Nous avons une référence commune qui nous a marqué dans notre jeunesse c’est Bidouille et Violette de Hislaire, cette histoire d’amour impossible. »

Dans le 4 et le 5, les héros évoluent, ils grandissent, ils s’aiment et se quittent. Pourquoi avoir voulu faire grandir vos personnages ?

Thierry : Là, c’est un travail que nous avons fait avec Romain parce qu’au début c’était une histoire de trio : Alex amoureux de Leila qui admire Amédée qui veut retrouver l’affection de son petit-fils. Nous avons une référence commune qui nous a marqué dans notre jeunesse c’est Bidouille et Violette de Hislaire, cette histoire d’amour impossible.

Les histoires d’amour au collège, nous sommes très nombreux à avoir connu cela : cette jeune fille que nous avons aimé en secret, sans jamais avoir osé lui dire. Avec Espions de famille, c’était forcer la porte de ce moment où l’on est totalement immature d’un point de vue émotionnel, on arrive à franchir le cap. C’est très compliqué une relation à cet âge là, c’est pas simple, c’est un peu la honte d’avouer ses sentiments à une fille, parce qu’il y a les copains, les copines. Ça m’intéressait vraiment de jouer à fond cette carte là : qu’est-ce qu’un amour adolescent ? C’est pas parfait, c’est chaotique, c’est compliqué.

« Avec Espions de famille, c’était forcer la porte de ce moment où l’on est totalement immature d’un point de vue émotionnel, on arrive à franchir le cap »

Romain : Il y a plein d’éléments extérieurs, la pression des parents, de l’école, de la formation d’espion qu’ils vont suivre. Dans le tome 6, il y aura des références direct à Bidouille et Violette, des pressions parentales que l’on continue à explorer.

Faire évoluer les personnages, pour nous ça comptait et nous ne voulions pas nous reposer sur nos lauriers. A chaque album, on se dit : où en sont les personnages ? Où est-ce que l’on veut les emmener ? Il y a une vraie réflexion là-dessus, notamment ce qu’il y a de plus logique par rapport à eux, ne pas rester dans la formule du trio « garçon/fille/grand-père » qui vivrait des aventures. Sauf qu’à chaque fois, Amédée vieillit, il a des problèmes de santé et l’histoire d’amour entre les deux héros, il y a des hauts et des bas. Pour nous, c’est intéressant de voir jusqu’où cela peut aller et comment réagissent les personnages.

« L’idée c’est vraiment que nous construisons cela en saison et que peut être ça ne dure pas éternellement. Un moment, nous allons boucler l’histoire »

Thierry : Nous avons construit la série en saison. Il y a une histoire complète à chaque fois – comme c’est pour Okapi, la contrainte c’est d’avoir un récit complet – mais au niveau de la relation du grand-père et de son petit-fils, même de la vie d’Amédée – son histoire d’amour qu’il vit avec une vieille dame – et celle de Alex et Leila, ce n’est jamais la même chose, ça ne retombe jamais exactement à la case départ – ils sont ensemble, pas ensemble – ça évolue toujours. L’idée c’est vraiment que nous construisons cela en saison et que peut être ça ne dure pas éternellement. Un moment, nous allons boucler l’histoire.

On veut garder la flamme, il faut de nouvelles émotions. Le jour où il n’y en n’aura plus et que nous ne ferons que passer les plats – rupture, pression extérieure – forcément ce sera un peu moins bien. Nous mettons beaucoup de nous même dedans. Nous sommes vraiment proches de nos héros en terme d’émotion. Le jour où nous aurons fait le tour de ça, on les laissera partir. Il faut les respecter, nous les aurons fait vivre ce qu’ils auront à vivre.

« Amédée a fait des trucs chouette mais aussi des trucs moches ! Cela fait parti de lui mais ce n’est pas pour ça qu’il est un sale type. Il a fait des erreurs comme tout le monde. C’est très important que des jeunes puissent entendre ce discours »

Dans le tome 4, il y a aussi une opposition Espions modernes / Espions anciens. Pourquoi ?

Thierry : Il y a surtout le personnage du directeur qui est assez insultant. Nous sommes toujours dans cette idée de transmission de nos anciens à la jeunesse. Je ne vais pas sortir le vieux cliché de : un vieillard meurt en Afrique, c’est une bibliothèque qui brûle, mais nous avons vraiment le sentiment que l’on ne réfléchit qu’en terme d’utilité sociale pour une personne ! Mais mine de rien, il y a une mémoire véhiculée par nos anciens. Nous avons besoin de savoir d’où l’on vient. Pourquoi on dénigre autant ce qui vient du passé, la mémoire ? Il faut juste savoir d’où on vient.

Dans le tome 3, Amédée raconte son histoire où il y a de la lumière mais aussi des parts d’ombres. Dans le tome 1, c’est l’image d’Epinal, dans le tome 2, elle s’ébrèche et dans le 3 : voilà la vérité. Il a fait des trucs chouette mais aussi des trucs moches ! Cela fait parti de lui, mais ce n’est pas pour ça qu’il est un sale type. Il a fait des erreurs comme tout le monde. C’est très important que des jeunes puissent entendre ce discours.

« Alex, c’est plus une projection de nous-même : un garçon maladroit, pas hyper doué mais qui persévère quand même pour y arriver »

Dans la série, il y a aussi une vraie opposition de style entre Leila – belle, intelligente et forte dans les techniques combats – et Alex – agréable, un brin râleur, aux qualités physiques limitées mais fort en nouvelles technologies – mais ils sont finalement très complémentaires. Pourquoi avoir voulu jouer sur ce registre ?

Thierry : Ça c’est totalement autobiographique (rires). Généralement quand on aime quelqu’un, une jeune fille dans une classe, on se la rêve, elle est très très haut, elle est inatteignable. On se dit qu’elle ne s’intéressera jamais à moi, parce que je ne ressemble à rien, j’ai une voix roque ; donc ça ne marchera jamais.

En plus Leila – nous en avons beaucoup parlé avec Romain – elle prend de l’épaisseur, elle s’intéresse à l’aventure par la littérature, elle a ça en elle, elle a ça dans le sang. Elle a vraiment de la graine d’espionne en elle !

Romain : C’était important pour nous qu’elle soit un personnage fort. Plus la série avance, plus elle prend de l’importance dans l’histoire. Elle a plutôt la classe Leila. Alex, c’est plus une projection de nous-même : un garçon maladroit, pas hyper doué mais qui persévère quand même pour y arriver.

Thierry : Leila, elle a aussi de la pression – tu es trop forte, qu’est-ce que tu fais avec ce type ? – ce qui renforce la peur d’Alex.

Romain : Cela lui impose des choix à faire, qui vont peut être ne pas être les bons. Quelqu’un qui est parfait, qui fait un choix pour la réussite mais qui va peut être se planter et mettra en danger sa relation.

« Il y a aussi la dénonciation du tout technologique et des méthodes modernes après le 11 septembre 2001. Est-ce que l’on ne se noie pas dans l’excellence hyper-moderne ? Il manque l’humain et l’expérience passée »

Thierry : Elle devient prisonnière de ses qualités. On lui fait comprendre que : « Toi, tu es à sa place, qu’est-ce que tu fais avec eux ? Je les aime, ce sont mes amis. Oui mais non, tu choisis ton camp, tu es dans l’élite ».

Pourtant de l’autre côté, il y a l’intelligence d’Amédée et Alex qui permet d’avoir une autre vision que celle de « on fonce comme des bourrins, on est les meilleurs ». Il y a aussi la dénonciation du tout technologique et des méthodes modernes après le 11 septembre 2001. Est-ce que l’on ne se noie pas dans l’excellence hyper-moderne ? Il manque l’humain et l’expérience passée.

« C’est notre société qui crée les stéréotypes. On met les gens dans des cases très rapidement. L’idée c’est comment eux, ils résistent à ça »

Vos personnages sont plutôt stéréotypés. Pourquoi avoir fait ce choix ?

Thierry : Ils rentrent dans des cases, dans les cases dont le corps social veut mettre les gens. Dans cette école, il y a effectivement les cadors et les cowboys – comme ceux dans notre société qui se disent : on est parfaits – mais il y en a aussi qui viennent pour faire régner la justice. Dans cette école, Leila et Alex sont un peu à part mais ils doivent se fondre dans les modèles qu’on leur propose.  C’est notre société qui crée les stéréotypes. On met les gens dans des cases très rapidement. L’idée c’est comment eux, ils résistent à cela.

« J’aime cet équilibre délicat à trouver entre des choses assez légères et l’histoire un peu trépidante avec des enjeux humains »

Il y a une part importante laissée à l’humour dans Espions de famille. Est-ce important pour vous cette notion ?

Romain : Tous les deux déjà, nous rigolons bien ensemble et l’idée c’était que cela transparaisse dans la série. Ça reste aussi des histoires d’espion, il faut donc aussi des moments pour rire. Nous traitons nos personnages sérieusement. Ce n’est pas non plus une parodie de James Bond mais nous apportons aussi des seconds rôle qui sont un peu plus dans le burlesque. Nous sommes très friands de runing-gags.

Thierry : L’humour ça fait partie de la vie. Dans nos existences ça n’existe pas des moments où l’on ne rit jamais. L’humour, ça fait parti de nous.

Romain : Quand j’ai vu le premier scénario de Thierry, ce qui m’avais tout de suite plu, c’est effectivement ce mélange d’histoires un peu sérieuses d’espionnage et ce ton assez léger qui me rappelle aussi des séries classiques comme Spirou dans lesquelles j’ai baigné toute mon enfance. Thierry est un bon héritier de cet esprit de ce style de bande dessiné là, tout en apportant une dose de modernité, notamment ces histoires adolescentes plus actuelles, dans lesquelles on peut plus se retrouver. J’aime cet équilibre délicat à trouver entre des choses assez légères et l’histoire un peu trépidante avec des enjeux humains.

Thierry : Mes références sont les mêmes que Romain : Spirou. Ce qui m’a construit en tant que bande dessinée d’aventure c’est Blueberry, Bernard Prince, les scénarios de Greg et de Charlier. D’un point de vue narratif, d’un point de vue construction, c’est la somme des ennuis qui font qu’ils s’en sortent.

« Il y avait un peu ce choc de la normalité et du côté extraordinaire de l’espionnage. Ça nous intéressait d’explorer cela »

Dans le tome 5, il y a beaucoup d’éloignement, de déchirures. La rivalité entre Alex et Leila est à son zénith et il y a aussi une rivalité entre les amis du collège d’Alex et ses amis espions.

Romain : Il y avait une volonté de retour aux sources, de repartir dans un cadre de vie normale. Nous avions commencé le premier tome où on voyait la famille d’Alex, son quotidien à l’école et au collège puis dans les suivants nous les avions emmené à différents endroits – le 2, ils étaient partis en sortie scolaire, dans le 3, ils étaient plutôt chez Amédée à la campagne et à la montagne et le 4 : l’académie des espions – donc là nous nous sommes dit qu’ils fallait les ramener dans le quotidien du collège avec tout ce qu’ils ont vécu entre-temps. Forcément la vie n’est plus la même. Alex au début entre sa vie d’ado d’avant où il avait ses copains avec qui il jouait aux jeux vidéos, là il se retrouve à mener une double vie entre sa formation d’espion et jongler cela avec une vie normale. Il y avait un peu ce choc de la normalité et du côté extraordinaire de l’espionnage. Ça nous intéressait d’explorer cela.

Il y a aussi une petite référence à Mister et Miss Smith : le côté affrontement. Le lecteur découvre même que Leila a été recrutée par le contre pouvoir. Nous trouvions cela drôle et cela apportait aussi un danger émotionnel de comment arriver à vivre ce destin, à inventer son destin de super-héros au milieu de ce cadre de la famille et du collège.

Thierry : Je me rappelle de la série Théodore Poussin. Le lecteur suit toutes ses aventures et à un moment, il revient et est interviewé par un journaliste qui lui dit qu’il a vécu de belles aventures extraordinaires, qu’il est un héros. Je me suis dit à l’époque : mais oui on l’a suivi, de petit gratte-papier sans relief à sa condition de héros sans que lui-même s’en rende compte. Et nous, avec Espions de famille, nous les avons vu devenir des héros pendant quatre tomes et tout à coup, ils reviennent dans leur quotidien où ils sont des héros et cela crée forcément des tensions. « Je vis ma vie, je passe le brevet, je vais en classe », le CPE est inquiet parce que Alex est fatigué et qu’il pense qu’il fait une dépression.

Romain : C’est une apparition Hitchokienne de Thierry qui auparavant a été CPE (rires).

Thierry : Ils sont devenus des héros mais ils ne peuvent pas en parler, c’est la double peine. Ils se retrouvent avec tous les problèmes de la vie de héros, ça éclabousse les relations avec les amis proches. « Je suis héros, je sauve des vies mais personne ne doit le savoir et ça pourrit ma vie quotidienne ».

« Ils sont devenus des héros mais ils ne peuvent pas en parler, c’est la double peine »

Est-ce qu’ils ne s’ennuient pas aussi un peu au collège ?

Romain : En même temps, ils en sont au début de leur formation. Ce sont des ados de 14/15 ans, ils ne sont pas encore espions. En plus, les missions qu’il commencent à effectuer dans le cadre de leur formation, ce ne sont pas les missions les plus glamour. Ils doivent aller récupérer un collier pour je ne sais plus quel ministre. Ils ont élaboré tout un stratagème pour pas grand-chose. C’est aussi cela qui nourrit la rivalité entre Alex et Leila.

Elle a été recrutée par une sorte d’antenne des services secrets qui est beaucoup plus high-tech, plus moderne, qui lui donne plus de moyens, qui met plus en valeur ses compétences et c’est donc plus excitant. C’était le bon moment d’aller dans cette direction de l’affrontement.

« Nous maltraitons nos personnages, ils sont tout le temps sollicités, nous ne les laissons jamais tranquille »

Thierry : L’adolescence c’est le moment de frustrations inouïes. On est contraint mais on a surtout envie d’être libre. On est contraint par l’école, par la famille et là en plus on rajoute de la frustration par le fait qu’ils ne font pas ce qu’ils veulent et aussi la relation d’amour qui est stoppée par la séparation. Nous maltraitons nos personnages, ils sont tout le temps sollicités, nous ne les laissons jamais tranquilles.

« Que se soit un sbire, le super vilain ou que ce soit un gentil. Est-ce qu’il mérite de mourir ? Ce n’est pas de la censure extérieure ou de l’éditeur, c’est vraiment une question philosophique et éthique »

Dans Espions de famille, il y a de nombreux clins d’œil et hommage (Spy Kids, James Bond et Hunger Games sans les morts).

Romain : Le tome 4 avait ce côté Hunger Game, affrontement sans les morts. Tout le monde se fait endormir par des fléchettes hypodermiques. Il y a eu des morts dans la série, mais c’est toujours des questions que je me pose : faire tuer un personnage, ce n’est pas rien. Que se soit un sbire, le super vilain ou que ce soit un gentil. Est-ce qu’il mérite de mourir ? Ce n’est pas de la censure extérieure ou de l’éditeur, c’est vraiment une question philosophique et éthique.

Thierry : Amédée, qui lorsqu’il relate son passé, explique qu’il a tué des gens. Tuer des gens, ce n’est pas anodin. C’est le gros problème dans James Bond : c’est un peu anodin la façon dont il peut tuer les gens. Je tue les gens mais c’est pas grave, je vais boire un coup derrière – un Martini – et je vais sortir avec une femme. Si les gens meurent dans Espions de famille, c’est aussi de leur faute.

« Le miracle de la rencontre avec Romain et l’envie de vouloir raconter la même chose, toucher les lecteurs qui viennent nous dire merci parce que ça les a touché, cela fait plaisir ! »

Thierry c’est votre première série bande dessinée. Pourquoi avoir voulu tenter l’aventure de ce média ?

Thierry : J’ai appris à lire avec la BD. Mon oncle avait des Pilote chez lui et je les ai tous lu, de nombreuses fois. Mes héros ce sont Goscinny, Greg et Jacques Lob. La bande dessinée, j’ai trouvé cela merveilleux très vite.

J’ai aussi un rapport très particulier avec Angoulême parce que j’y vais depuis que je suis tout-petit, dès 1975, j’avais 3 ans ! Lorsque je suis devenu scénariste pour la télé, la bande dessinée c’était un horizon logique après cela. Quand tout à coup, il y a eu cette possibilité, cela a été un rêve de gosse qui se réalisait. Passer de l’autre côté de la table, venir dédicacer mes albums, parler aux lecteurs alors que moi j’avais été pendant des millénaires de l’autre côté de la table, c’était fou ! D’où aussi la motivation pour faire un truc qui touche vraiment le lecteur. Le miracle de la rencontre avec Romain et l’envie de vouloir raconter la même chose, toucher les lecteurs qui viennent nous dire merci parce que ça les a touché, cela fait plaisir ! En plus, il y a un rapport direct avec le lecteur que l’on a pas à la télé, les gens on ne les rencontre pas.

On a la responsabilité de raconter des choses justes, à qui l’on s’adresse, les valeurs que l’on veut véhiculer. Il faut être très au clair avec ce que l’on veut dire et juste par rapport à ce que l’on ressent.

Romain : Ça me fait cela sur tout ce que je lis comme livres, comme bandes dessinées ou que je regarde comme films. C’est qu’est-ce que ça raconte, qu’est-ce que ça dit et qu’est-ce que ça propose comme vision du monde ?

C’est quasiment la seule question, la question primordiale, c’est celle là : Qu’est-ce que l’on veut dire de ses héros, de l’époque ?

Quand vous dessinez, le découpage est rythmé. Est-ce une vraie volonté par rapport à la série ?

Romain : Cela vient un peu d’inspiration de comics ou de mangas sur ces scènes là. J’aime tous les styles de BD, de mangas. Ça vient de Dragon Ball, de Akira, One piece aussi (rires). Le tome 2, je l’ai réalisé alors que je regardais One piece. On doit d’ailleurs retrouver graphiquement des trucs de la série, dans les visages grimaçants (rires). Je suis un peu un éponge en terme de style. Quand je vois un truc, il se retrouve dans la case suivante (rires).

Je suis un grand grand fan de Batman. Les planches souvent ont des découpages très dynamiques. J’aime que les choses prennent vie. Ça peut prendre vie dans des plans statiques quand l’histoire l’appelle et quand on veut quelque chose qui bouge un peu, il faut y aller. Je suis aussi un gros consommateur d’animation.

Thierry : Le premier album, je l’avais conçu avec beaucoup de cases. Et pour les suivants, on a vraiment parler de ce que l’on voulait avec Romain. Je lui laissais peu de place, c’était très contraint. Cela m’a obligé d’une manière très salvatrice à épurer mon style et à aller à l’essentiel. Laisser à Romain, la liberté de créer. Je découpe case par case, mais il y a une grande souplesse pour qu’il puisse organiser les choses comme il le voit, il le sent. Je propose un découpage, Romain s’en empare, l’améliore, le change, fusionne des cases… Ensemble parfois nous cherchons une troisième voie. L’idée c’est que ça respire.

Le tome 1 : « j’ai refait cet album en deux mois et demi »

Romain : Nous avons entièrement refait le tome entre la publication dans Okapi et la sortie en album. A ce moment-là, je travaillais sur un gros roman graphique Love in the air guitare (Delcourt Mirages). Nous recevons un mail qui explique que l’histoire va être publiée en album, quelques mois avant. Nous ça faisait 3/4 ans que le début de l’histoire avait été prépubliée. En quatre ans, mon style avait changé. Il y avait des problèmes autres, liés aussi à ce que le récit était une œuvre de jeunesse. Nous avons voulu les résoudre et j’ai donc refait cet album en deux mois et demi.

Thierry : Nos ne pouvions pas laisser le tome 1 en l’état après avoir trouvé notre style dans le tome 2. Il n’aurait pas été raccord avec ce que nous faisons maintenant, qui est plus juste, qui va à l’essentiel. Nous avions besoin que la série soit homogène.

Romain : « Internet a été mon école »

Romain, avez-vous effectué des études de graphisme ?

Romain : Pas du tout, j’ai fait des études de commerce. J’ai commencé à travailler dans le cinéma mais du côté financement de film – tableaux Excel et tout ça – mais la bande dessinée, j’en ai toujours fait depuis que je suis petit. Je mettais déjà mes dessins dans des cases, puis rapidement Batman est arrivé dans mes histoires.

Après adolescent, j’ai continué à faire cela sérieusement. C’était un hobby. Plus tard, dans la vingtaine, je postais mes travaux sur internet, j’allais sur des forums – notamment Café Salé – j’avais des retours sur ce que je faisais et ça me permettait de progresser.

C’est comme cela que j’ai été repéré par Antoine Ozanam avec qui j’ai donc fait la petite histoire dans Spirou, puis Okapi et des projets plus personnels comme Air Guitare. Cela est donc devenu mon métier à plein temps. Je suis totalement autodidacte.

En 2009, j’ai fait un blog qui a été un très bon terrain d’expérimentations avec des choses très lâchées. J’avais comme exercice de faire un strip tous les jours en prenant la première idée ou un truc qui m’était arrivé… en essayant des choses différentes en terme de narration, de couleur et cela m’a permis de connaître des illustrateurs, de blogueurs. Internet a été mon école.

Entretien réalisé pendant le Festival BD d’Angoulême, le samedi 28/01/2017
Article posté le vendredi 24 février 2017 par Damien Canteau

Espions de famille de Thierry Gaudin et Romain Ronzeau (BD Kids - Bayard) - Comixtrip
  • Espions de famille, tome 5 : L’espionne qui m’aimait
  •  Scénariste : Thierry Gaudin
  • Dessinateur : Romain Ronzeau
  • Editeur : BD Kids / Bayard
  • Prix : 9.95€
  • Parution : 04 janvier 2017

Résumé de l’éditeur : Au sortir de leur école d’espions, Alex et Leïla ont rompu. Tout conspire à les éloigner, et surtout la guerre que se livrent les deux services secrets auxquels l’un et l’autre appartiennent. Alors il faudra plus que les stratagèmes de leurs amis et l’attention de leurs parents pour les rapprocher… Une nouvelle mission, en fait, alors que la santé de B707 vacille sérieusement. Alex et Leïla parviendront-ils à désamorcer le terrible complot qui menace d’anéantir l’ensemble des services secrets du pays ? Quand les ennemis d’hier reprennent du service, les Espions de famille se retroussent une fois de plus les manches… Attention aux étincelles ! Un rythme effréné, de l’action, des très méchants, des très gentils, des références en pagaille et… une belle histoire d’amour. Alors, vous en êtes ?

BIO ET BIBLIO EXPRESS DE THIERRY GAUDIN

Thierry Gaudin fut Conseiller principal d’éducation pendant 10 ans, puis il débute une carrière de scénariste.

  • Série d’animation Zap Collège de Téhem, script de 10 épisodes (Alphanim), 2005
  • Série d’animation Le petit Prince, script de 4 épisodes (Method animation), 2010-2015
  • Série d’animation Oscar et Co, directeur d’écriture, 52 épisodes (Teamto), 2010
  • Série d’animation Plankton invasion, directeur d’écriture, 78 épisodes (Teamto), 2010-2012
  • Série d’animation Pok et Mok, script de 3 épisodes (Alphanim), 2011
  • Série d’animation Vic le Viking, auteur de 2 épisodes (Studio 100 animation), 2011
  • Série d’animation Peter Pan, auteur de 6 épisodes (Method animation), 2011_2015
  • Espions de famille, avec Romain Ronzeau, 5 tomes (BD Kids – Bayard), depuis 2012

 

Son blog : Thierry Gaudin auteur

BIO ET BIBLIO EXPRESS DE ROMAIN RONZEAU

Romain Ronzeau est un auteur de bande dessinée.

  • Les scooteuses, tome 1 avec Lapuss’ (Delcourt), 2010
  • Love in the air guitare avec Yann Le Quellec (Delcourt), 2011
  • Espions de famille, avec Romain Ronzeau, 5 tomes (BD Kids – Bayard), depuis 2012
  • Carnets de mariage (Delcourt), 2013
  • Projet 17 mai : 40 dessinateurs contre l’homophobie, collectif (Des ailes sur un tracteur), 2014
  • Billets d’amour (Delcourt), 2014

 

Son blog : Comme des guilis dans le ventre

À propos de l'auteur de cet article

Damien Canteau

Damien Canteau est passionné par la bande dessinée depuis une trentaine d’années. Après avoir organisé des festivals, fondé des fanzines, écrit de nombreux articles, il est toujours à la recherche de petites merveilles qu’il prend plaisir à vous faire découvrir. Il est aussi membre de l'ACBD (Association des Critiques et journalistes de Bande Dessinée) et co-responsable du prix Jeunesse de cette structure. Il est le rédacteur en chef du site Comixtrip. Damien modère des rencontres avec des autrices et auteurs BD et donne des cours dans le Master BD et participe au projet Prism-BD.

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