Hommage à Bruno Bianchi, créateur de l’Inspecteur Gadget

C’était une incroyable « dream team ». L’entreprise s’appellait la DIC (Diffusion Information Communication) et après avoir été sise un temps dans les locaux de la Nouvelle République rue Chaptal à Tours, elle s’ était installé rue Chalmel, l’une des artères du centre ville qui mène aux jolis jardins des Prébendes. Créée par Jean Chalopin en 1971, éphémère filiale du journal régional, elle s’était lancée, après la pub, dans la fabrication de dessins animés.

Le directeur artistique était un ami du patron et parmi les jeunes pousses de 20/22 ans qui y travaillaient, talents frais émoulus de l’école Brassart (école d’art tourangelle réputée), se trouvait aussi un dénommé Bruno Bianchi.

Un formidable créateur de séries cultes

La DIC de Jean Chalopin va devenir (Google dixit, svp) le premier producteur MONDIAL de dessins animés télévisuels dans les années 1980. Et Bruno Bianchi, plus connu par ses copains tourangeaux sous le sobriquet de B.Burn’s (private joke pas forcément traduisible !) va devenir l’un des plus formidable créateur de séries cultes qui vont scotcher plusieurs générations de gamins de toute la planète devant leur petit écran.

Bruno Bianchi n’était pas à proprement parler un dessinateur de BD, mais peu importe. Sa disparition brutale le 2 décembre 2011 à l’âge de 56 ans (ses obsèques ont eu lieu au père Lachaise deux jours plus tard) laisse orphelin des milliers de fans. Et tous ses amis tourangeaux. Comment : son nom ne vous dit rien? Regardez bien cette photo qui date de 1979 ! Ces lunettes inquisitrices, cette lippe, cette casquette à la Conan Doyle.

Bon dieu, mais c’est bien sûr ! Bruno Bianchi est le créateur de L’Inspecteur Gadget !

Il était donc naturel que Comixtrip lui rende un vibrant hommage*, un hommage ému, histoire de rappeler aux internautes quel grand bonhomme il était et quel étonnant palmarès s’attache à cette DIC où il fit ses débuts.

Manchu, Jean Barbaud et Bruno Bianchi

Au départ de cette étonnante (et fort mal connue) aventure, il y a deux copains. Deux amis d’enfance qui avaient ensemble monté des spectacles de poésie à Tours dans un lieu nommé « Le trou dans le mur ». Bernard Deyriès retrouve Jean Chalopin dans les années 1975 alors que la DIC fabrique essentiellement des films publicitaires. Dans la Nouvelle République (en 2005), Bernard Deyriès expliquait : « En cinq secondes, Jean me propose de monter un studio de dessins animés et d’art graphiques, m’expliquant qu’il avait besoin de petites illustrations et animations ». Les petites mains se seront Philippe Bouchet, qui deviendra vite Fifi Manchu, Jean Barbaud, et Marie-Pierre Journet. Puis Bruno Bianchi qui lui sort de l’IUT de Tours. Et c’est parti ! La première grande réussite de la DIC sera Ulysse 31 (fabriqué en 1981 et diffusé sur France 3 en 1983) : le scénario est de Chalopin, Télémaque a le visage du fils Deyriès, Manchu dessine les vaisseaux spatiaux et le reste de l’équipe dessine et assemble tout ça.

Primé à Angoulême en 1979 avec son fanzine

Mais les années Giscard, les seventies, ce sont aussi les années fanzines. Parallèlement à l’animation, nos joyeux drilles rejoints par des potes comme Patrick Lavaud vont lancer à Tours un magazine à parution variable. Nom de la bête : Basket Bitume. Emblème : une biquette assez obscène aux pis protubérants. Un zine férocement potache mêlant SF, vagues relents politiques et humour ras des pâquerettes.

Toute la bande se rend, en janvier 1979, à Angoulême (en baskets… roses, évidemment) pour obtenir le prix Saucisson Smith du nom d’un héros de BD qui n’est pas vraiment resté dans l’histoire du neuvième art.

Bruno Bianchi, dit B.Burn’s, longiline, flegme, humour et gentillesse à la britannique, toujours circulant sur son vieux solex, participe au tirage manuel sur l’offset des exemplaires de Basket Bitume. Comme avec son « scénariste » Philippe Pitaud (aujourd’hui prof de fac dans le Midi), il avait sorti un premier zine au bahut intitulé BD-SIGHT, il éditera aussi une BD intitulée Même l’enfer est irrespirable dont le côté rarissime constitue de fait, un objet collector. Et dont un exemplaire est déposé au… musée de la BD à Angoulême.

Et puis, alors que commencent les années 1980, finit l’épisode tourangeau. Jean Chalopin installe la DIC à Paris et la véritable grande aventure commence. La liste serait très longue des triomphes (en terme d’audience) auxquels sera associé le nom de Bruno Bianchi. Mais le plus célèbre d’entre eux est indiscutablement l’Inspecteur Gadget.

L’Inspecteur Gadget créé par auto-parodie

D’après ses amis tourangeaux, B.Burn’s a crée le visage du cyber policier de Métroville en s’auto-parodiant. En tout cas, comme les objets de Rahan dans Pif-Gadget vont marquer une génération, les gadgets de l’Inspecteur Gadget (désolé, il n’y a pas de synonymes !) vont demeurer dans la mémoire collective télévisuelle : les ressorts sous les chaussures, le briquet dans le pouce, la brosse à dent et le crayon dans un doigt, une pince coupante dans une autre ou le grappin dans le chapeau…

Près de 90 épisodes télévisés entre 1983 et 1986. La parodie de Mission Impossible conquiert les Américains. Deux longs métrages chez Walt Disney, une demi-douzaine de jeux vidéos sans oublier les bouquins de la Bibliothèque rose. Tout le monde a vu un extrait de l’Inspecteur Gadget et son nom reste le symbole d’une série culte. Même si son ami Jean Barbaud, lui aussi devenu un maître du dessin animé avec Il était une fois l’homme ou Il était une fois la vie (primé par un 7 d’Or), a participé à la fabrication de l’Inspecteur et de sa nièce Sophie, c’est bien Bruno Bianchi, le B’Burn’s tourangeau qui en est le papa.

A l’origine de nombreux dessins animés à succès

L’hommage serait incomplet, s’il n’associait les autres créations ou productions de ce dessinateur qui entre Paris, Los Angeles, et le Japon (où il vécu longtemps) trouvait le temps de descendre à Angoulême ou à Japan Expo France. Toujours disponible, toujours sympa. L’équipe Chalopin-Deyriès-Bianchi va enchaîner : Les mystérieuses cités d’or (1982) ; Les Mini-Pouss (1983) ; les Bisounours (1984) ; Jayce et les conquérants de la lumière (1985) ; MASK (Module d’action sécurité Kommando, waooh !) en 1985 aussi. On lui doit aussi (entre autres), La vie de Carlos (1992) ou une version de Iznogoud (1992) tirée de l’ineffable BD de Tabary.

Diffusées par les trois grandes chaînes de télé en France puis par Canal +, ces séries, comme a pu le faire Dorothée avec Albator, Goldorak, Lady Oscar ou Les Chevaliers du Zodiaque, ont popularisé une certaine forme d’animation disons « à la japonaise » dans le public français. Les noms de ces hommes de l’ombre ne sont pas célèbres. Mais leurs images ont fait rêver ou rire des millions d’enfants. Et c’est le plus beau des hommages qu’on puisse rendre à l’artiste qu’était Bruno Bianchi. Salut B.Burn’s !

* Quelques heures avant Bruno Bianchi, un autre maître du dessin animé est décédé. Il s’agit de Shingo Araki, 72 ans, à qui l’on doit notamment les Chevaliers du Zodiaque et qui avait travaillé avec Bruno sur Ulysse 31 et sur l’Inspecteur Gadget. Incroyable et dramatique coïncidence.
Article posté le vendredi 10 avril 2015 par Erwann Tancé

Que sont-ils devenus?

Jean Barbaud : Après « Il était une fois l’espace », ce fou d’aviation est devenu le roi du dessin d’aviation… humoristique. Le roi et le maître de ce genre de BD. Gueules de Zings (Vent d’Ouest-2001), Pompiers en Zings (Mosquito), puis les Dézingueurs (Bamboo) complètent les incontournables aventures du Lieutenant McFly (Delcourt). Vous pouvez visiter son atelier en video sur Comixtrip.

Phlippe Bouchet dit Fifi Manchu : Selon le mot de David Fossé, « le peintre qui voulait devenir astronaute ». Deux recueils graphiques chez Delcourt, une splendide exposition au château de Tours en 2003 et des dizaines de couvertures dans Le Livre de Poche, Folio SF, l’Atalante, etc. Jetez un œil dans un rayon SF de librairie, toutes les couvertures sont signées Manchu. Vous pouvez visiter son atelier en video sur Comixtrip.

Bernard Deyriès : Après avoir monté Ulysse 31 au Japon (avec Tokyo Movie Shinsa) première co-production franco-japonaise de l’histoire du dessin animé, va vivre toute l’aventure de DIC Entertainment jusqu’en 1987. Il va aussi publier une Histoire de la musique en bande dessinée (publiée chez l’éditeur tourangeau Van de Velde) vendues dans 17 pays à 280.000 exemplaires. Il reviendra à l’école Brassart de Tours comme directeur en 2003.

À propos de l'auteur de cet article

Erwann Tancé

C’est à Angoulême qu’Erwann Tancé a bu un peu trop de potion magique. Co-créateur de l’Association des critiques de Bandes dessinées (ACBD), il a écrit notamment Le Grand Vingtième (avec Gilles Ratier et Christian Tua, édité par la Charente Libre) et Toonder, l’enchanteur au quotidien (avec Alain Beyrand, éditions La Nouvelle République – épuisé). Il raconte sur Case Départ l'histoire de la bande dessinée dans les pages du quotidien régional La Nouvelle République du Centre-Ouest: http://www.nrblog.fr/casedepart/category/les-belles-histoires-donc-erwann/

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