À l’occasion du festival Quai des Bulles 2023 et de la sortie de Goupile la sorcière, son premier album jeunesse publié chez Les Éditions de la Gouttière, Miléna a bien voulu répondre à nos questions. Une interview placée sous le signe d’une adorable petite renarde devenue sorcière pour aider son prochain.
Un univers fantastique et coloré dans lequel nous nous sommes plongés avec plaisir.
D’où vous est venue l’idée de cet album Goupile avec en personnage principal une sorcière ?
J’aime bien la thématique de la sorcellerie médiévale. Je lis déjà beaucoup de récits autour des sorcières. C’est une thématique que j’aime bien. Peut-être qu’effectivement il y a quelque chose autour du féminisme.
Je voulais créer un personnage qui interagisse avec la nature, qui soit en harmonie avec elle et qui la comprenne. Donc, dans cette bande dessinée, j’ai mis plein de choses que j’aimais bien. Comme les histoires qu’on se raconte au coin du feu. .
Tu aimes donc les histoires un peu surnaturelles ?
Ce que j’aime, c’est avoir un début d’histoires qui paraît très surnaturel et qui, au final, est plutôt rationnel. Je voulais retrouver ça dans les histoires de Goupile. Dans la première histoire, il est question d’un bouc qui est persuadé que sa maison est hantée par un esprit. Mais au final non, c’est beaucoup plus rationnel.
C’est pareil avec l’histoire du phare, même s’il y a quelque chose de magique. Mais c’est moins horrifique qu’on ne le pense. Et pour l’histoire du château, c’est ça également.
« Avec mon style de dessin, on comprend très vite qu’on va être plus dans quelque chose de drôle et de mignon. »
Pourquoi as-tu choisi, pour chaque histoire, de trouver des titres un peu décalés ?
J’ai voulu mettre des titres qui font peur comme La Maison hantée, Le Phare maudit. Avec mon style de dessin, on comprend très vite qu’on va être plus dans quelque chose de drôle et de mignon. Ce ne sont pas des histoires qui font peur mais je trouvais intéressant qu’on puisse jouer avec les titres.
Pourquoi tes personnages sont-ils des animaux ?
J’avais réalisé une série d’illustrations sur la thématique de l’automne avec Goupile et Arthur. Une petite histoire très basique où ils devaient chercher un ingrédient pour fabriquer une potion magique. Je les ai trouvés très intéressants et j’ai voulu leur écrire une histoire.
Ma première intention était que les sorciers soient des animaux “nuisibles”, renards ou blaireaux. Nuisible c’est dans le sens qui viennent manger les poules. Donc des ennemis à la campagne.
» Je me suis amusée à rendre cet univers très égalitaire pour éviter les classes sociales. »
Mais tous tes animaux peuvent-ils devenir des sorciers ?
Dans le tome 2, je vais ouvrir pour que tous les animaux puissent en être. Je ne voulais pas que les paysans soient seulement des animaux herbivores et les sorciers des carnivores. Ça les classifiait trop. Je me suis amusée à rendre cet univers très égalitaire pour éviter les classes sociales.
« Je trouvais ça intéressant que cette sorcière renarde soit intelligente et au service des autres. »
Pourquoi avoir choisi de donner l’apparence d’un renard à ton personnage principal ?
Le renard est un personnage que j’aime beaucoup. Dans beaucoup de récits, les renards sont effectivement rusés. Mais dans les classiques de la littérature, ils sont également assez négatifs.
Dans ce livre, je trouvais ça intéressant que cette sorcière renarde soit intelligente et au service des autres.
D’où vient ce choix du mot goupil et pourquoi l’avoir féminisé pour en faire un prénom ?
Je voulais pour cette histoire de sorcière un personnage féminin. L’appeler Goupile permet de jouer sur le fait que goupil est un nom commun qui devient un prénom. Comme à l’inverse Renart est devenu un nom commun.
J’ai donc demandé à Flavie, mon éditrice, si on pouvait féminiser Goupile et l’utiliser comme prénom pour mon personnage et marquer ainsi le féminin.
Pourquoi ne trouve-t-on pas d’humains dans tes récits ?
C’est amusant parce que je n’ai pas du tout pensé à un récit avec des humains. Je ne me suis même pas posé la question de ce que cela donnerait avec des humains. En fait, j’ai toujours vu cette histoire avec des animaux. Peut-être parce que j’avais envie de ne dessiner que des animaux.
D’où te vient cette volonté de truffer ton récit de jeux de mots ?
J’aime beaucoup les jeux de mots. Pourtant, je ne vais pas chercher très loin. Comme pour le drako Lummynère. Un luminaire, je pense que ce n’est pas un mot que les enfants connaissent. Quand un parent le lit à son enfant, lui va comprendre le jeu de mots.
C’est comme le drako Lassavat. Les enfants ne savent pas que c’est le sport de combat la savate. Je trouvais intéressant qu’un adulte puisse leur expliquer que c’est une sorte de boxe.
Quand j’étais petite, j’aimais beaucoup Astérix, mais je ne comprenais aucun jeu de mots. Ce sont mes parents qui m’expliquaient Aquarium, Petibonum…
Tu as utilisé deux sortes de polices pour différencier la langue des animaux et celle des drakos. Pourquoi ce choix ?
Je parle très mal anglais et c’est un peu ce que je ressens à chaque fois que je dois discuter avec quelqu’un qui parle une langue que je ne comprends pas.
Ça demande une attention et beaucoup d’efforts. Je trouvais donc intéressant que ça passe par l’écrit, donc avec des fautes d’orthographe.
Quand je donne des cours de bandes dessinées à des enfants, certains n’écrivent qu’en phonétique. Maintenant, je commence à avoir l’habitude donc je comprends ce qu’ils écrivent. Mais ça demande un temps d’adaptation et parfois il faut le dire à l’oral. Mon intention était de dire que l’orthographe est compliquée mais il faut se rendre compte de ses fautes parce que c’est important pour se faire comprendre.
Quel était l’intérêt de penser ta structure narrative en trois histoires reliées par un fil conducteur ?
Les deux tomes comportent trois chapitres qui se suivent. Je trouve que pour le lecteur c’est mieux. Pour le découpage, c’est très pratique. Cela permet de faire une coupe nette afin de passer d’une ambiance à une autre sans que la transition soit trop laborieuse.
J’ai trouvé également que ce chapitrage était pas mal, puisque ces chapitres permettent aux parents de lire une histoire et de s’arrêter au bon moment. Ensuite, l’enfant va se coucher.
Cela donne un rythme, chaque histoire, ayant le format d’une enquête.
As-tu utilisé le même dessin que dans ton précédent album qui n’était pas un album jeunesse ?
En fait, j’ai un peu modifié mon dessin. Quand on regarde ma première bande dessinée (Les Enfants de l’été chez Vraoum), mon dessin était à l’aquarelle. Un style plus indé avec des formes non fermées.
En me dirigeant vers la jeunesse, j’ai eu envie de modifier mon dessin et de fermer les formes. Et surtout, je me suis rendu compte que j’aimais bien faire des décors, ce qui n’était pas le cas avant.
Avec Goupile, j’ai voulu prendre le temps de travailler sur de grandes images, avec des châteaux, des forêts. C’est comme cela que mon dessin s’est modifié. Il s’est mis au service de ce que j’avais envie de raconter.
J’ai opté pour la colorisation numérique. Cela fonctionne mieux avec des formes fermées. Je travaille plus sur des aplats, donc c’est plus intéressant.
On sent également que dans cet album tu as essayé d’apporter un soin particulier aux détails.
J’aime bien ajouter des détails. Quand je dessine Briek par exemple, je veux dessiner précisément son armure et sa hallebarde. Alors je travaille avec des livres à côté de moi, des livres très complets. Je m’inspire de certains dessins, notamment tout ce qui tournait autour de l’armure ou du château.
Goupile est une grande voyageuse, pourquoi ne trouve-ton pas dans l’album une carte de ses pérégrinations ?
Myléna : Quand Goupile va quelque part, il y a des rochers qui poussent. Et dans le prochain album, une carte va répertorier ces rochers bleus.
Flavie de Souzy (éditrice) : On voit qu’à chaque fois que Goupile se déplace, elle découvre ces rochers qui poussent. On a fait exprès de pas trop en dire sur l’endroit où se trouve Goupile, afin de ne pas donner trop d’informations sur cet univers.
Insérer une carte dans le tome 1 aurait amené à savoir où sont vraiment positionnés les rochers. Parce que, sans tout spoiler, cela va amener quelque chose dans le récit du tome 2.
Peux-tu nous expliquer comment tu as travaillé sur cet album ?
J’aime bien travailler étape par étape. J’en avais parlé dès le début avec Flavie. J’écris tout le scénario pour qu’on puisse voir ensemble ce qui va et ce qui ne va pas. Comme des incohérences. Ensuite j’attaque le crayonné que je fais valider avant de commencer l’encrage et la couleur.
La dernière étape étant la couleur, c’est souvent le moment du rush. Peut-être la partie que j’aime le moins, parce que c’est la fin et je suis souvent à court de temps.
« Mais j’aime bien à chaque fois avoir la même énergie quand j’écris, quand j’encre et quand je colorise. »
Tu n’envisagerais donc pas de travailler par séquences ?
Parfois je me demande si je ne devrais pas chercher une autre méthode de travail. Mais j’aime bien à chaque fois avoir la même énergie quand j’écris, quand j’encre et quand je colorise.
Je sais que si je ne travaillais qu’une partie de la couleur, en y revenant six mois plus tard, j’aurais envie de tout changer.
La colorisation est une étape qui me met en difficulté. J’ai toujours l’impression de ne rien savoir et de devoir repartir de zéro. Mais au bout d’une heure, quand mes mains retrouvent tous les raccourcis Photoshop, ça va plus vite.
Je suis contente parce que j’ai eu des retours de lecteurs sur les couleurs, qui m’ont dit qu’elles étaient belles. Qu’il y avait des ambiances différentes à chaque chapitre.
Quelle est donc la partie de ton travail que tu préfères ?
Je ne saurais pas dire pourquoi, mais les moments que je préfère sont l’écriture et le crayonné. C’est le moment où je peux insérer des blagues. Au moment de l’encrage et de la couleur, je suis sur des étapes de travail où il faut que j’aille vite. Alors je me mets des podcasts et de la musique énergique comme pour faire du sport.
Peux-tu nous dire à quel stade tu en es actuellement avec le tome 2 de Goupile ?
L’histoire est écrite. Il va falloir revenir sur quelques détails avant de partir sur le découpage, puis le crayonné. Tout est déjà posé dans ma tête, il faut juste que je transmette ces éléments à Flavie, pour qu’elle me dise si c’est cohérent. Mais on n’en est qu’au début.
« L’avantage d’être seule à l’écriture et au dessin, c’est que je ne me lasse jamais. »
Cela ne te dérange pas de travailler seule sur un projet ?
L’avantage d’être seule à l’écriture et au dessin, c’est que je ne me lasse jamais. Je donne forme et vie, c’est moi qui ai créé ces petits personnages.
Je travaille en atelier, plutôt avec des illustrateurs, et ils disent que parfois, pour eux, c’est un peu laborieux. J’ai cette chance que mes personnages prennent vie au fur et à mesure des étapes. Quand j’arrive à la couleur, même si j’en ai assez à cause du rush, je suis contente de voir mes personnages bientôt terminés. Et c’est la même chose pour l’univers du récit.
As-tu justement eu des premiers retours sur tes personnages ?
Pas tellement pour l’instant parce que Goupile vient de sortir. Mais c’est amusant de se rendre compte que les personnages les moins présents dans le récit peuvent marquer les lecteurs. C’est le cas pour les chats bavards. C’est pourquoi je les ai dessinés sur une carte pour en faire un ex-libris.
Merci beaucoup Miléna d’avoir répondu à nos questions à l’occasion de la sortie du tome 1 de Goupile la sorcière, Le mystère des rochers qui poussent. Merci à Flavie de Souzy pour sa présence lors de cette interview.
INTERVIEW RÉALISÉE LE SAMEDI 28 OCTOBRE 2023 AU FESTIVAL QUAI DES BULLES PAR FABRICE BAUCHET ET CLAIRE KARIUS
RETRANSCRIPTION ET MISE EN PAGE : CLAIRE KARIUS, CRÉDIT PHOTOS : CLÉMENTINE SANCHEZ
- Goupile la sorcière, tome 1 : Le mystère des rochers qui poussent
- Autrice : Miléna
- Éditeur : La Gouttière
- Prix : 17 €
- Parution : 13 octobre 2023
- Pagination : 120 pages
- ISBN : 9782357960886
Résumé de l’éditeur : La sorcière Goupile et son apprenti Arthur aiment leur thé bien chaud, lire au coin du feu, et surtout prêter main forte à celles et ceux qui en ont besoin, comme leur voisin, le bouc Hémissaire, qui est hanté la nuit par un esprit frappeur ce qui l’empêche de cultiver ses bonnes salades le jour. En résolvant ce mystère, Goupile et Arthur découvrent un étrange rocher bleu qui pousse et qui semble créé par de la magie noire. Pour trouver des réponses, ils décident de se rendre à la grande bibliothèque du royaume. En chemin, ils viennent en aide à Berthe et Aenor, les chauves-souris gardiennes de phare – l’une étant attaquée par un monstre marin quand l’autre dort – mais aussi à l’ADORABLE ourson Enguerrand, fils du seigneur Urs et de la seigneuresse Ursule, qui a été victime d’une tentative de kidnapping, malgré la vigilance du garde Briek.