Sông : Entretien avec Hai-Anh et Pauline Guitton

Sông est un récit familial et historique. Il nous plonge dans la Guerre du Vietnam, quelques années avant la victoire du Front National de Libération. Mais c’est surtout le récit d’une adolescente devenue mère, cinéaste de renom qui pour Sông, a raconté à sa fille le quotidien d’une femme dans le maquis. Sông : Entretien avec Hai-Anh (scénariste) et Pauline Guitton (dessinatrice) qui vous proposent de parcourir sa création.

En 1969, la guerre du Vietnam fait rage depuis 1946, avec plus ou moins d’intensité. Linh, à 16 ans, décide de rejoindre son père dans le maquis. Il fait partie du FLN, le Front National de Libération, le « Parti » comme elle l’appelle.

Des années plus tard, après être devenue une cinéaste renommée, être tombée amoureuse d’un interprète français, avoir vécu près de 20 ans en France, elle raconte son histoire à sa fille, Hai-Anh, autrice de Sông, édité chez Ankama.

Sông : Entretien avec Hai-Anh et Pauline Guitton

Votre Bande Dessinée se nomme Sông, c’est un mot vietnamien. Spontanément on le prononce Song, comme la chanson en anglais, quel est ce mot ?

Hai-Anh : Song, comme la chanson en anglais, c’est la prononciation « à la française ». Ça ne me dérange pas en soi, mais la prononciation vietnamienne c’est [sœom]*. Si on se trompe dans la prononciation, ça peut dire autre chose comme « rivière » ou d’autres mots. Sông signifie « en vie » ou « vivant ».

Pauline : On voulait un titre qui soit facile à prononcer, si on le transcrit phonétiquement. Et « chanson » en anglais, ça reste un beau titre.

Au fil des pages, on voit des moments de votre enfance Hai-Anh, l’histoire de votre mère était importante dans votre quotidien ?

Hai-Anh : J’ai grandi avec une mère qui était souvent en déplacement. Mais lorsqu’elle était à la maison, autour de repas, elle nous racontait souvent des petites anecdotes de sa période dans le maquis. Mais c’était vraiment décousu, je n’avais jamais l’histoire complète. Donc j’ai grandi en imaginant ma mère comme une héroïne, dans un contexte hyper particulier, un peu épique. En 2018, on a eu l’idée de faire Sông avec Pauline. On a proposé l’idée à ma mère, et quand j’ai commencé les entretiens, j’ai pu découvrir toute l’histoire, de 1969 à 1975.

Sông - Hai Anh et Pauline Guitton - Ankama

Cette forme d’anecdote ressemble à la façon dont vous avec scénarisé Sông. C’était le but ? 

Hai-Anh :  C’est peut-être en effet parce que c’est la façon dont j’ai fait mes entretiens. Mais aussi parce que tout le long du récit, ma mère reste au même endroit, dans le maquis. Donc mes questions n’étaient pas tant chronologiques ou sur une date spécifique, mais sur des thèmes. La cuisine, c’était comment ? Les cicatrices… Les entretiens se sont faits naturellement comme ça. Pour revenir à la question sur l’impact de l’histoire de ma mère sur ma vie, j’ai grandi avec ses histoires. Donc pour moi c’était une femme que je ne comprenais pas très bien, mais qui avait l’air d’avoir une vie assez extraordinaire.

Lorsque je me suis assise avec elle pour parler de cette histoire plus sérieusement et plus en détail, je me suis rendue compte que c’était beaucoup plus complexe. Au-delà du côté spectaculaire, ma mère était une femme qui a vécu des choses assez universelles. Une adolescente comme les autres qui a connu la solitude, ses premiers amours, comment on fait avec les règles chaque mois. C’est ce qui nous a beaucoup touchées, avec Pauline. Cela nous a surprises et je pense que c’est ça qui fait la force de Sông aujourd’hui.

Vous avez voulu faire un parallèle entre le présent, lorsque vous racontez les entretiens avec votre mère, et le passé qu’elle vous raconte ? Par exemple, vous êtes installées, votre mère et vous dans votre cuisine, et lorsqu’on plonge dans ses souvenirs, nous sommes au même endroit, dans une cuisine.

Hai-Anh : C’est vrai. J’avais vraiment cette opposition de l’ordinaire et de l’extraordinaire. Pour moi, ma vie au présent était le quotidien ordinaire. En écrivant cette histoire avec Pauline, on cherchait l’épique et l’extraordinaire dans le maquis. Mais au fil des entretiens, on se rend compte que c’est juste un quotidien de maquisard, que la guerre c’est vraiment en fond. Ma mère n’était pas au front. Puis l’histoire a plus évolué vers une relation mère-fille.

Pauline : En fait on a retrouvé des thèmes un peu universels et des préoccupations qu’on peut retrouver peu importe d’où l’on vient et peu importe l’époque. Car c’est une adolescente qui a fui dans le maquis et qui s’est retrouvée dans un contexte très particulier.

En effet, il y a l’aspect historique qu’on connaît peu en France, mais ce que Linh nous racontait, ce dont elle se souvient et qu’elle a envie de partager, ce sont des choses du quotidien.

L’histoire dans le quotidien

Est-ce que vous avez redécouvert l’histoire de la Guerre du Vietnam grâce à l’écriture de Sông ?

Hai-Anh : Oui, pour nous deux. On ne l’apprend pas forcément à l’école, surtout de ce point de vue. Et au Vietnam, on parle très peu de cette période-là. J’ai de la chance d’avoir une mère réalisatrice et écrivaine qui se confie facilement. Si j’avais des questions, même plus jeune, elle me répondait. Mais c’est vraiment en faisant Sông que j’ai pu avoir un portrait de cette période-là. Je suis vraiment contente qu’on l’ait fait car ce sont des histoires qui se devaient d’être racontées.

Pauline : Avec Hai-Anh, on a toujours voulu travailler ensemble, on se connaît depuis longtemps, on a toujours voulu faire de la BD ensemble car on adore ça. Et lorsqu’elle m’a présenté l’idée en 2018, je me suis dit « C’est fou, parce qu’on a toujours eu le point de vue des films américains, à l’école on survole cette partie de l’histoire. Mais là, c’est des choses qu’on ne soupçonne pas, dont on a jamais entendu parler« . J’ai appris beaucoup de choses en faisant cette BD. Je me suis dit « ça va marcher, ça va parler aux gens, ça va intéresser car c’est une vision de l’histoire inconnue« . Au début, on pensait d’ailleurs faire que des anecdotes sur le maquis. Mais au fur et à mesure des entretiens, ça a évolué vers d’autres thématiques : la relation mère-fille, la recherche de sa propre histoire. Mais qui sont aussi des sujets universels. Donc d’un contexte très particulier, on arrive à toucher des sujets qui peuvent parler à tout le monde. Je trouve que c’est ça, la force du récit.

Le mot « maquis » fait référence à la révolution, notamment durant la Seconde Guerre mondiale en France. Est-ce que vous savez, Hai-Anh, si votre mère, Linh, se sentait résistante dans le maquis, au-delà de son quotidien ? 

Hai-Anh : Oui, je pense que c’est pour ça qu’elle est restée dans le maquis au-delà de retrouver son père. C’est toujours ce côté un peu aventurière, romantique. Au sens « Faire de grandes choses ». Je pense que c’est ce qui la fait rester.

Pauline : C’est l’idéologie de base qui est prometteuse. Elle participait au tournage de films de propagande pour le parti. Elle s’est engagée finalement.

Hai Anh : Elle était révolutionnaire, mais via le cinéma dès le début.

Son amour pour le cinéma et les histoires ont eu un impact sur votre choix de faire du scénario ?

Hai Anh : Oui, mais presque inconsciemment. Ma mère ne m’a pas du tout fait lire ou regarder des films avec elle. Au début, je ne voulais pas m’engager dans cette voie. C’était la voie de ma mère. Je ne voulais pas subir une sorte de comparaison avec elle. C’est beaucoup plus tard, après des études d’économie que je me suis mise au cinéma et au scénario. Et quand je l’ai annoncé à ma mère, elle m’a dit « oui, c’est évident« . Mais elle ne m’a pas du tout poussée à faire ça. Mais quand on a grandi dans un entourage où tout le monde est cinéphile et qu’on parle d’histoire à la maison, c’est logique…

Est-ce que Sông est la quête d’un héritage ? 

Hai Anh : Je pense qu’il fallait effectivement que je passe par Sông. Pour faire autre chose, en cinéma et en BD. C’est comprendre mon histoire familiale. C’était hyper important parce qu’il y avait plein de non-dits et de trous que je ne comprenais pas. C’est important de savoir pourquoi on est là aujourd’hui en France. J’ai une relation particulière avec ma mère, comme beaucoup d’autres filles, je pense que ça se voit dans la BD. C’était important de s’attaquer à cette histoire avant de faire autre chose.

Sông - Hai Anh et Pauline Guitton - Ankama

Créer un pont entre maintenant et là-bas

L’amitié est quelque chose d’important, à la fois dans Sông et dans sa création. Vous êtes amies d’enfance toutes les deux… Comment votre propre relation au Vietnam vous a aidées à dessiner Sông, Pauline ? 

Pauline : Pendant un an, après des études où j’étais un peu perdue, je me demandais ce que j’allais faire de ma vie après les Beaux-Arts, Hai-Anh partait faire un an de stage dans le cinéma à Saignon, enfin Hô Chi Minh-Ville. Comme je ne savais pas ce que je voulais, elle m’a dit « Viens avec moi« . J’ai répondu « OK« . Du coup pendant un an je suis partie au Vietnam. C’était en 2015, bien avant l’idée de la BD. Mais ça m’a permis de me rapprocher de sa maman, de mieux comprendre la culture vietnamienne, la vie là-bas. Cela m’a énormément servi pour la BD, dans la couleur et le dessin.

Je n’ai pas pu y retourner car je me suis relancée dans des études. Puis lancée dans un travail, il y a ensuite eu le covid. Mais j’espère pouvoir y aller quand la BD sera adaptée en Vietnamien.

Vous avez dû faire des recherches supplémentaires pour dessiner des éléments spécifiques à la vie dans le maquis ? Je pense au four dans la cuisine, à la classe qui était donnée aux jeunes … 

Pauline : C’était un peu ce qui me faisait peur. Mais on ne prétend pas être un récit documentaire. C’est vraiment de la transmission du récit, donc il y a une part, par le souvenir, qui est toujours un peu déformée. Mais on faisait toujours vérifier par la maman d’Hai-Anh au storyboard si c’était cohérent. Il y a eu des reconstitutions de la vie dans le maquis dans le sud du Vietnam. Je me suis inspirée de ça. Je me suis inspirée du documentaire qui a été tourné par le grand-père d’Hai-Anh, celui que l’équipe tourne dans la BD. Pour le four par exemple, quand Linh nous a donné le nom spécifique du four, c’était plus facile de retrouver des informations dessus en Vietnamien. Mais on faisait systématiquement vérifier par Linh pour être sûres qu’on ne faisait pas de grosses erreurs historiques.

À propos de la thématique de l’amitié, il y a un plan particulier dans Sông, où votre mère vous raconte son amitié complexe avec une autre femme dans le maquis. Le temps du récit de Linh et le temps de la BD se rejoignent sur une seule et même planche. C’est un moment fort pour vous ? 

Hai-Anh : Je pense que l’idée de cette planche est venue car j’ai beaucoup grandi dans des immeubles, même au Vietnam. Ma mère a fait un film qui s’appelle « Immeuble« . J’ai beaucoup d’images du passé liées aux immeubles. Au Vietnam, il y a tout le temps des coupures de courant. Et quand les lumières se rallument, c’est vraiment un retour à la réalité.

Sông - Hai Anh et Pauline Guitton - Ankama

Ce que raconte cette planche, c’était assez fou comme histoire. J’étais vraiment très contente de pouvoir la raconter et qu’on puisse la dessiner avec Pauline. Ma mère était très seule, même si elle est très sociable. J’ai grandi sans frère et sœur mais toujours avec des amitiés très fortes.  Donc l’amitié est quelque chose qui me parle beaucoup. Ma mère ne me racontait pas beaucoup d’histoires d’amitié. Mais là, elle me raconte cette histoire d’amitié, surtout entre femmes. Que je comprenne toutes les subtilités de cette relation dont on ne parle pas tant que ça, que ma mère me raconte très sincèrement ce qu’il s’était passé, ça m’a vraiment beaucoup touchée. On a vraiment aimé illustrer cette histoire parce que c’est un sujet qui nous parle.

Pauline : Et c’était plus intime. Les autres anecdotes sont plus techniques. C’était l’anecdote la plus intime.

Hai-Anh :  Et très universelle.

Femmes Puissantes

Sông vous a permis de faire un pont entre toutes les anecdotes qui ont ponctué votre enfance et la personnalité forte de votre mère que vous décrivez ? 

Hai-Anh : Je pensais que ma mère était quelqu’un qui se confiait assez facilement. Je pensais bien la comprendre. Et finalement, on pense comprendre les gens mais on ne comprend pas tout, surtout nos parents. Avec Sông, j’ai découvert plein de choses. J’étais vraiment étonnée car je pensais savoir déjà beaucoup de choses. Par exemple, la solitude m’a mieux fait comprendre notre relation et son rapport au travail. J’ai toujours été étonnée de voir qu’elle était plongée dans le travail constamment. Sông explique un peu pourquoi.

Pourquoi le travail et le cinéma sont si important pour Linh ? 

Hai-Anh : Je pense que ça se résume à cette phrase qu’on répète plusieurs fois dans Sông.

« La guerre ça brise des pays, mais ça brise surtout des familles. »

Hai-Anh : Ma mère est une des personnes qui a été profondément blessée par cette période. C’est mon interprétation mais le travail a été un refuge total. Elle répète elle-même qu’une réalisatrice ou une autrice c’est quelqu’un qui contrôle. Pouvoir contrôler les choses et les humains, c’est quelque chose qu’on n’a pas dans la vie et ça rassure.

Pauline : Je voudrais aussi ajouter, qu’elle a appris le cinéma dans un milieu entouré d’hommes. C’est la première femme à entrer à l’école de cinéma de Moscou. Je pense qu’il y a aussi ce côté « Femme qui prend sa vie en main, qui fait passer sa carrière avant tout« . Un côté très indépendant.

Hai-Anh : Elle le dit elle-même, jusqu’à 40 ans, elle ne voulait pas de mari, ni d’enfant, parce qu’il faut choisir. Soit tu es réalisatrice et tu fais tes films, soit tu es mère au foyer.

Ce rapport aux femmes dans le cinéma est présent aussi dans Sông, lorsque des prisonniers de guerre sont libérés, Linh est la seule femme réalisatrice présente sur place et on lui fait remarquer. C’était important de montrer cet aspect ? 

Pauline : Le but n’était pas de dénoncer quoi que ce soit. C’est le caractère de Linh qui fait qu’elle a réussi à s’imposer. C’est pour montrer son courage et sa persévérance.

Hai-Anh : Cet événement, la libération des prisonniers à l’aéroport de Lom Ni est très bien documenté. Donc l’entretien que j’ai réalisé avec Linh a vraiment porté sur l’aspect historique. Lorsqu’elle me raconte comment on la percevait sur place, c’était un fait. Mais pas une critique. Mais si elle en parle encore aujourd’hui, sans que je lui demande, c’est peut-être que ça l’a beaucoup travaillée.

Une anecdote de Sông, toujours sur la thématique des femmes, est très surprenante. C’est comment on gère les règles quand on est dans le maquis et qu’on a peu de moyens ? 

« Qu’est-ce qui était le plus dur dans le maquis ? »

Hai-Anh : Niveau entretien, il était pas prévu de parler de règles. Pendant cet entretien je cherchais l’épique. J’ai toujours cherché l’épique. La question que je lui pose c’est : « Qu’est-ce qui était le plus dur dans le maquis ?« . Je m’attendais à une histoire de bombe. Elle me répond : « C’était avoir ses règles tous les mois« . Cela m’a frappée. C’est incroyable. En même temps, c’est très logique, c’est tous les mois, ça fait mal. C’était vraiment bien, on est vraiment contentes d’avoir cette histoire.

Pauline : Ce que Linh nous expliquait c’est qu’elle utilisait des morceaux de moustiquaire pliés en plusieurs fois pour faire des sortes de serviettes hygiéniques. Ce qui était vraiment compliqué c’est qu’il fallait les laver dans un endroit où il n’y a pas l’eau courante et dans un milieu très masculin. Pour les sécher, c’était très compliqué aussi car elle n’avait pas envie d’étaler « ça » aux yeux de tout le monde. C’est là qu’était le danger, car elle allait chercher un trou ensoleillé – la jungle était très dense, on voyait rarement le ciel – il fallait veiller à ne pas se faire repérer par les avions américains. Donc c’était très contraignant. L’autre option c’était de les faire sécher la nuit contre le four, mais dès qu’il y avait un homme c’était gênant. Donc le plus dur, c’était de réussir à gérer les petites choses de l’intime dans un quotidien hyper compliqué. Surtout qu’il y avait très peu de femmes et qu’elle avait 16 ans.

On commence Sông au moment où Linh entre dans le maquis et on en sort au moment où la guerre se termine. Mais tout le long de la bande dessinée, les anecdotes ne sont pas forcément dans un ordre chronologique, pourquoi ? 

Hai Anh : L’ordre des chapitres a changé plusieurs fois. On a commencé par construire la bande dessinée dans l’ordre de nos interrogations. Comment on vit, on mange… Au fur et à mesure de nos entretiens, notre relation mère-fille a pris plus de place, il y a plus de présent qui intervient. On a donc dû réarranger pour que la BD fasse sens. Je pense qu’il y a un vrai moment de bascule entre le quotidien dans le maquis et là où je prends plus de place dans le récit. Où notre relation est beaucoup plus analysée.

Votre relation avec votre mère est très forte dans Sông. Mais vous y décrivez aussi la relation de Linh avec sa propre mère, donc votre grand-mère.

Hai Anh : Je connaissais l’histoire de ma grand-mère depuis plusieurs années. C’est un des drames qui a vraiment brisé plein de familles durant la Guerre du Vietnam. C’est une des clefs pour comprendre ma mère et son rapport à la famille.

Pauline : On s’est demandé si on racontait cette histoire ou non, car c’était très compliqué à raconter. Il y a beaucoup d’allers-retours entre plusieurs temporalités. Mais c’était une histoire tellement folle.

C’est une autre fenêtre sur la vie d’une autre femme extraordinaire. C’est l’épique dont vous parliez Hai-Anh ? 

Hai Anh : Ma grand-mère faisait des petites missions pour le parti du FNL. Elle livrait des lettres, montait la garde. Pas des choses très dangereuses. Mais elle a aussi espionné en étant femme de ménage pour des familles bourgeoises. Elle a consacré toute sa jeunesse au parti. Elle a rencontré mon grand-père qui était également militant. Ils se sont mariés tôt, et dès qu’ils ont eu ma mère, mon grand-père a dû partir combattre au nord. Donc Linh a grandi sans son père.

L’histoire devient folle quand ma grand-mère accepte une mission de plus grande envergure. On lui a demandé de jouer la femme de quelqu’un. Le parti recomposait beaucoup de famille fictive durant la guerre. Donc pendant des années, elle a vécu comme étant la femme d’un inconnu et de ses deux enfants. Ils ont fini par tomber amoureux, ils se sont remariés. Donc ma mère est restée une enfant de la guerre.

Kéh

Sông va être édité au Vietnam ?

Hai-Anh : On a été contactées par des maisons d’édition vietnamiennes qui suivaient le projet depuis des années. On aimerait aussi que le titre soit traduit en anglais, car il y a tout une diaspora.

Quel est votre titre de chapitre préféré ? 

Hai Anh : J’aime tous les chapitres, mais je pense que mon verbe – car tous les chapitres sont nommés d’après des verbes vietnamiens – préféré c’est « ioo » ça veut dire « aimer« .  J’aime beaucoup ce mot. Pour relier à Sông, je pense que c’est un projet d’amour. Tous ceux qui ont travaillé dessus l’ont fait parce qu’on s’aime.

Pauline : Un chapitre plutôt qu’un titre – je ne veux pas me risquer à la prononciation – c’est celui de la mère de Linh. C’est celui qui me touche le plus. Ce qui me plaît vraiment dans la mise en scène, c’est montrer l’émotion. Dans ce chapitre, on avait moins d’informations. Donc, niveau fiction, j’ai pu m’amuser. C’est celui qui a été le plus compliqué à mettre en scène mais pour moi c’est aussi le plus touchant.

Hai Anh : Le nom de ce chapitre c’est « Tohm kamh ». C’est intéressant car tous les autres mots sont facilement traduisibles en français. Mais celui-ci n’a pas de traduction exacte. Il faut le traduire par deux verbes. Cela signifie « Comprendre et pardonner« . Il y a vraiment les deux processus. C’est un beau mot.

Comment dit-on ce que vous avez fait avec Sông, comment dit-on « Raconter » en vietnamien ? 

Hai Anh : ça se dit « Kéh »

 

*1 Prononciation transcrite à l’aide de l’alphabet phonique français.

Article posté le lundi 05 juin 2023 par Marie Lonni

Sông - Hai Anh et Pauline Guitton - Ankama
  • Sông
  • Autrice : Hai-Anh
  • Dessinatrice : Pauline Guitton
  • Editeur : Ankama
  • Prix : 24,90 €
  • Parution : 13 janvier 2022
  • ISBN : 9791033516958

Résumé de l’éditeur : Linh a 16 ans et ne connaît pas son père. En 1969, en pleine guerre du Vietnam contre les Américains, elle fugue pour le rejoindre dans le maquis des révolutionnaires. Là-bas, elle découvre que son père réalise des films documentaires pour le Front National de Libération.
Réussira-t-elle à s’adapter à la vie dans le maquis ? Est-il possible de renouer avec son père après tant d’années ?
Aujourd’hui, à l’aube de ses 70 ans, Linh, réalisatrice vietnamienne reconnue, transmet à sa fille le récit de ses sept années dans le maquis ainsi que toute une partie de l’Histoire encore très peu racontée.

À propos de l'auteur de cet article

Marie Lonni

"C'est fou ce qu'on peut raconter avec un dessin". Voilà comment les arts graphiques ont englouti Marie. Depuis, elle revient de temps en temps nous parler de ses lectures, surtout quand ils viennent du pays du soleil levant. En espérant vous faire découvrir des petites pépites à savourer ou à dévorer tout cru !

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