Le bateau-usine

Editeur indépendant et engagé, Akata aime surprendre son lectorat en lui proposant des œuvres fortes. C’est de nouveau le cas avec Le bateau-usine, adaptation du roman éponyme paru en 1920 au Japon. Cette version manga de Gô Fujio met en scène une révolte de marins sur imposant bateau de pêche.

PRENDRE LA MER POUR QUELQUES PIÈCES

Port Hakodate, Japon. Des centaines de marins embarquent à bord du Hakuko Maru, énorme bateau-usine. Pendant plusieurs mois, des femmes et des hommes vivent entassés dans des conditions terribles pour quelques pièces. Ils doivent pêcher poissons et crabes.

Venus de divers horizons, ces marins sont toujours sous la pression pour toujours pêcher plus. Il faut dire qu’ils sont sous la houlette de Asakawa, l’intendant sadique, nationaliste et avide d’argent. Si les premiers jours, les hommes sont plutôt joyeux, cette pression leur fait vivre un véritable enfer. Les tensions grandissent, une mutinerie se dessine et le chaos approche…

LE BATEAU-USINE : MONUMENT DE LA LITTÉRATURE OUVRIÈRE ET CONTESTATAIRE JAPONAISE

Edité pour la première fois au Japon en 1920, Le bateau-usine est une œuvre forte écrite par Tajiki Kobayashi. Pour cela, le dramaturge japonais s’est énormément documenté et a rencontré de nombreux marins embarqués sur ces immenses cargos afin de rendre son livre le plus réaliste possible.

Il faut souligner que Kobayashi, né en 1903, a intégré l’école de commerce de Otaru où sa famille s’était installée et que grâce à cela, il a pu côtoyer des écrivains en pleine ascension à l’époque. Bercé par cette envie d’écrire, il publie une pièce de théâtre – Onna shûto (La prisonnière)  – et se glisse ainsi dans la littérature prolétarienne. Arrive ensuite, Le bateau-usine qu’il écrit en 1929. Deux ans plus tard, il s’oppose à l’extension de la guerre d’invasion menées par le Japon en Mandchourie et adhère au Parti Communiste Japonais, illégal à l’époque. Mais le 20 février 1933, il est arrêté par la police spéciale et meurt sous la torture dans des conditions très suspectes.

Le bateau-usine est donc l’œuvre majeure de la littérature ouvrière et contestataire japonaise, surtout par ces thématiques fortes.

DES MARINS QUI RÊVENT DE LIBERTÉ

La grande force de Bateau-usine ce sont les problématiques mises en lumière avec beaucoup d’habileté. Alors que le monde est entré dans une spirale folle à cause de la Crise de 1929, Takiji Kobayashi fustige le capitalisme non-régulé et la volonté des patrons de gagner toujours plus d’argent sur le dos des ouvriers.

Ainsi l’on découvre que la lutte des classes – incarnée par les thèses communistes mises en application par Lénine en Russie – est à son paroxysme et que les écarts sont énormes entre les plus pauvres et les plus riches; un écho flagrant avec la situation connue actuellement. Certains des marins se saignant aux quatre veines pour gagner quelques pièces, partant plusieurs mois et laissant leur famille à des milliers de kilomètres.

Les conditions exécrables sur le bateau et la surexploitation des marins sont aussi très bien mises en lumière. Ces derniers sont aussi privés de liberté et humiliés parfois même physiquement par un intendant prêt à tout pour bien se faire bien voir par ces supérieurs. Pourtant, ces ouvriers feront preuve de solidarité (la chaloupe qui dérive) et parviendront à mettre de la lumière et de l’Humanité dans ce récit si sombre.

UNE BELLE ADAPTATION DANS CET EXCELLENT MANGA

Auteur de Masashige Kusunori, La révolte de la cavalerie ou encore Golf trouble n°110, Gô Fujio adapte avec un grand soin le livre de Kobayashi – interdit jusqu’après la guerre – mettant un juste distance entre les faits et le romanesque.

Le découpage permet de mettre beaucoup de rythme dans cet histoire; les planches sont équilibrées et l’ambiance de tension admirablement restituée.

A noter que le roman d’origine est encore disponible aux éditions Allia – traduction de Evelyne Lesigne-Audolyn qui signe la préface du manga – qu’il fut adapté deux fois au cinéma et qu’il a connu un second souffle en 2008 après la crise financière au Japon (la jeunesse s’est réappropriée le livre pour dénoncer leur précarité).

Article posté le vendredi 30 septembre 2016 par Damien Canteau

Le bateau-usine belle adaptation de l'oeuvre Takiji Kobayashi (Akata) par Gô Fujio décrypté par Comixtrip le site BD de référence
  • Le bateau-usine
  • Auteur : Gô Fujio d’après l’ouvrage de Takiji Kobayashi
  • Editeur : Akata
  • Prix : 7.90€
  • Parution : 08 septembre 2016

Résumé de l’éditeur : Dans les années 20, au Japon… L’industrialisation du pays fait rage, tandis qu’en Russie, la Révolution vient de s’achever. Au port de Hakodate, c’est l’effervescence : le bateau-usine s’apprête à partir en mer, pour pêcher des crabes qui seront revendus à prix d’or. Mais les ouvriers-pécheurs ne se doutent pas encore du destin qui les attend… Exploités, battus et spoliés par Asakawa, l’intendant du navire qui ne pense qu’aux bénéfices de l’entreprise qu’il représente, ils vivront un véritable enfer quotidien. Pourtant, quand le bateau échappe au naufrage, grâce à l’aide d’un chalutier russe, les esprits commencent à s’échauffer. Un jeune étudiant, influencé par les romans de Dostoïevski, décide de prendre la tête d’un mouvement de rébellion… La grève est ouverte !

À propos de l'auteur de cet article

Damien Canteau

Damien Canteau est passionné par la bande dessinée depuis une vingtaine d’années. Après avoir organisé des festivals, fondé des fanzines, écrit de nombreux articles, il est toujours à la recherche de petites merveilles qu’il prend plaisir à vous faire découvrir. Il est aussi membre de l'ACBD (Association des Critiques et journalistes de Bande Dessinée). Il est le rédacteur en chef du site Comixtrip.

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