S.E.N.S., l’album à visiter

Marc-Antoine Mathieu continue ses expérimentations à la frontière de la bande dessinée et de l’art contemporain, avec une exposition inspirée de S.E.N.S, son dernier album.

Dans le monde de la bande dessinée, Marc-Antoine Mathieu à une place à part, quelque part entre les mondes littérairo-graphiques de Philémon brillamment mis en scène par le très regretté Fred, et l’art contemporain. Ses albums sont tous des expérimentations qui interrogent leur médium à la fois sur le fond et sur la forme. Jeux de perspectives, mise en abimes de cases dans les cases, personnages conscient d’être dans une BD et qui brisent le quatrième mur malgré eux, case découpées au beau milieu d’une page, expérimentations transmédia… Marc-Antoine Mathieu tente toujours d’explorer les limites de la BD, quitte à abandonner sans vergogne les lecteurs plus classique sur le bord du chemin.

Une déambulation dont vous êtes le héros

Son dernier album, S.E.N.S, paru il y a quelques mois, était dans cette même veine. Une déambulation muette d’un personnage dans un monde de flèches, ou chaque page était une case, et où le lecteur pouvait aussi facilement se perdre dans le décor que le protagoniste de l’histoire.

Avec l’exposition S.E.N.S présentée depuis le 20 mai dans l’ancienne base de sous-marins de Saint-Nazaire, Marc-Antoine Mathieu, aidé par ses comparses scénographes du collectif Lucie Lom, pousse le concept encore plus loin. Dès le couloir d’entrée de cette exposition, il place astucieusement le visiteur dans la peau du personnage de son album, grâce à une scénographie inventive et efficace. La pièce qui vient après ce premier couloir est la plus poétique et onirique, à mi-chemin entre les paysages sans fin de l’album et le rêve fou d’une salle remplie de sable déjà explorée par Franck Pé dans les Baleines Publiques. Pour le visiteur, c’est un vrai choc esthétique et sensuel, qu’il faut absolument prendre le temps de savourer.

A côté de ces premiers pas, la seconde salle serait presque décevante. Elle est pourtant déjà bien plus inventive et intéressante que n’importe quelle expositions classiques traitant de la BD. Le visiteur se retrouve comme plongé dans un tourbillon figé. Un tourbillon d’immenses feuilles comme arrachées de l’album, et peut prendre le temps d’en explorer chaque trait, bercé par la musique envoutante. Mais il regrette la sensation du sable sous ses pieds…

Garder l’esprit du récit S.E.N.S, mais le réinventer

Pour Marc-Antoine Mathieu, ce travail de scénographe (dont il a l’habitude, puisque il réalise des expositions, scénographies et installations urbaines depuis de nombreuses années) n’est pas si différent de celui qui effectue en temps qu’auteur. « Quand on est auteur de BD, on s’attache à ancrer le lecteur dans un univers. On fait de la scénographie. Et la scénographie, c’est de la narration. » Mais pour autant, cette exposition « n’est pas une BD. C’est un objet difficilement nommable. Une promenade onirique, peut-être? Une hybridation. Une tentative. On a voulu tenter de faire un récit dont le visiteur serait le héros. Mettre le visiteur dans un état ou il est rarement, un état proche de celui dans lequel on est lorsque on lit un album de BD. Recréer ce temps de lecture, qui n’appartient qu’à soi, en en faisant un temps d’exposition. »

Pour autant, « on ne voulait surtout pas faire un parc d’attraction Marc-Antoine Mathieu. Une des vérités de la BD, c’est de pouvoir présenter des architectures absolument folles. Les mettre en volume aurait été totalement vain. Pour cette exposition, on a gardé l’esprit du récit S.E.N.S, mais on l’a réinventé, en l’adaptant à l’espace singulier que l’on avait. »

Et cette transposition de l’univers de l’album vers d’autres horizons ne devrait pas s’arrêter là. « Une adaptation avec un casque à réalité virtuelle va être faite, probablement pour 2016. » Une autre vision d’un même univers, une nouvelle tentative de faire entrer le lecteur dans un territoire inexploré…

Article posté le mardi 26 mai 2015 par Thierry Soulard

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À propos de l'auteur de cet article

Thierry Soulard

Thierry Soulard est journaliste indépendant, et passionné par les relations entre l'art et les nouvelles technologies. Il a travaillé notamment pour Ouest-France et pour La Nouvelle République du Centre-Ouest, et à vécu en Chine et en Malaisie. De temps en temps il écrit aussi des fictions (et il arrive même qu'elles soient publiés dans Lanfeust Mag, ou dans des anthologies comme "Tombé les voiles", éditions Le Grimoire).

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