Nicolas est un Tupinambas. Pourtant, ce Français n’était pas voué à devenir l’un des membres de cette tribu brésilienne découverte au XVIe siècle. Son bonheur se heurte alors à Villegagnon, le maître du fort Coligny, venu installer une colonie pour le roi de France. David B. et Eric Lambé dévoile ses aventures dans Antipodes, un récit entre Histoire et humour, entre colonisation et normes, entre mythe du bon sauvage et réalité. Une très jolie surprise.
Nicolas, les Tupinambas et le Fort Coligny
1557 au Brésil. Dans un village tupinambas, Nicolas rigole avec les membres de la tribu. Ce Français venu faire le lien entre les habitants et le petit groupe de Français du Fort Coligny est maintenant l’un d’eux.
Il a laissé tomber ses habits et s’est marié à Pépin pour vivre auprès de sa nouvelle famille. Il faut souligner que sa belle voix lorsqu’il chante a également charmé ses nouveaux camarades.
Pourtant, les Tupinambas n’ont pas bonne réputation. Ces chasseurs-cueilleurs sont aussi cannibales. Il était donc important pour les représentants de la couronne de France de s’allier avec les différentes tribus pour pouvoir avancer dans les terres et les coloniser.
Villegagnon et les préceptes de l’Église
Jusqu’à présent, Nicolas vivait en harmonie avec les Tupinambas. Mais c’était sans compter sur Villegagnon, le gouverneur du Fort Coligny. Ce représentant du Roi fait demander le jeune homme. Il lui reproche de ne pas avoir été marié par un prêtre.
Mais Nicolas n’en a que faire. Alors, Villegagnon le fait arrêter et jeter en prison. Surprenant parce que c’est celui-là même qui lui a demandé de rester chez les Tupinambas pour servir d’interprète.
Pendant la nuit, Pépin vient alors le délivrer…
Antipodes : de l’Histoire à la fiction
Quand les blancs rencontrent les Indiens cela donne une vision décalée et drôle de la situation. David B. avait déjà lu de nombreux textes sur Fort Coligny et cette tentative ratée de colonisation. Un point de départ idéal pour imaginer un récit historique.
Méconnue de nombreux français, cette colonisation brésilienne est un terrain de jeu idéal. Il faut souligner que peu de sources historiques ont défini ce moment. Une aubaine pour combler les trous pour l’auteur de Hâsib et la reine des serpents.
“Dans Antipodes, se superposent les projections des Indiens sur les blancs et celles des blancs sur les Indiens, le vrai et le faux dialoguent en permanence”, souligne David B.
Antipodes : conte philosophique d’aventures
Ainsi Antipodes se fait rencontrer des mondes opposés, le tout avec de l’humour. Rien n’est manichéen dans l’album. Le duo Lambé-David B ne voulait en aucun cas n’avoir que le point de vue du colonisateur. Il fallait équilibrer tout cela en montrant avant tout la vie quotidienne dans le village.
Comme l’explique l’auteur de L’ascension du haut-mal, l’Histoire a servi de point de départ pour cette fiction. Il qualifie d’ailleurs son récit de “conte philosophique d’aventures”.
Aux antipodes
Le fait de glisser un personnage occidental dans le giron des Tupinambas apporte son lot de questionnements philosophiques. Il bouscule l’ordre établi, “renverse les tabous, remet en cause la façon dont nous fonctionnons en tant qu’occidentaux”, comme le définit Eric Lambé.
Nicolas est cultivé, leur lit des livres et chante dans différentes langues. Le chant tient d’ailleurs une place importante dans Antipodes. Ses chansons charment le clan. Ils aiment alors qu’ils ne comprennent pas le sens. Eux aussi chantent. Ces douces compositions les font danser, avancer et se donner du courage. Il y a un rôle social du chant dans le village. D’ailleurs pour notifier les paroles, Eric Lambé a choisi de faire danser les phylactères. Les mêmes phylactères qui sont entourés d’un serpent rouge lorsque les Tupinambas parlent avec le Français.
“Nous sommes toujours le sauvage d’un autre” [David B.]
Antipodes aborde également des thèmes autour de la normalité, de qui est le sauvage de qui, de colonisation, de rapport à la nature, de cannibalisme, de cruauté, de violence, de conquête, de fuite, de peur, d’amour et de joie.
De la violence en société
La violence est présente sous plusieurs formes dans Antipodes. Une violence sociale sur les Tupinambas exercée par les colons. Une violence physique avec des scènes de combats. Mais aussi une violence inscrite dans l’Histoire. Celle du cannibalisme.
Cette violence frontale est contrebalancée par l’amour et l’humour. Une histoire d’amour entre Nicolas et Pépin. Sans tomber dans la romance Pocahontas à la Disney. Il a été adopté par les Tupinambas à partir du moment où il a accepté de s’unir à sa compagne.
De l’humour comme gardien du récit
Quant à l’humour, il fracasse les moments de tensions et de violence. Un humour visuel, mais aussi un humour dans les dialogues et dans les situations du récit.
D’ailleurs, Tupinambas a donné le mot topinambour. Un joli message décalé aussi. En 1613, des membres des tribus tupinambas ont été exhibés devant le roi Louis XIII à Rouen. C’est à ce moment-là que le légume rapporté d’Amérique du nord aurait pris son nom définitif. Un comble pour cette espèce de plantes à fleurs qui n’est pas originaire du Brésil !
Dessiner Antipodes
Des êtres humains nus, d’autres habillés et la nature, voilà ce qui attendait Eric Lambé pour la partie graphique. L’auteur de Paysage après la bataille (avec Philippe de Pierpont, fauve d’or du meilleur album à Angoulême en 2017) doit ainsi composer avec la nudité qui n’est pas vulgaire. C’est le mode de vie des Tupinambas. Nicolas doit même enfiler une vieille chemise en lambeau pour aller chez Villegagnon. Tout se bouscule, tout change.
Comme les sources sont rares, Eric Lambé a donc pu usé d’une grande part d’invention et de liberté pour représenter ces Indiens du Brésil. Ainsi, leur dessin l’intéressait plus que les costumes de la Renaissance.
Les mouvements, la danse et la nudité sont très beaux sous les pinceaux de l’auteur d’Ophélie et les directeurs des ressources humaines.
“Certains pensent que les Indiens ne sont pas des êtres humains. Pourtant, ils en ont une et elle n’est pas plus noire que la nôtre.” [Nicolas]
- Antipodes
- Scénariste : David B.
- Dessinateur : Eric Lambé
- Editeur : Casterman
- Prix : 22 €
- Parution : 28 août 2024
- Pagination : 112 pages
- ISBN : 9782203257726
Résumé de l’éditeur : Au milieu du XVIe siècle, l’aventurier français Villegagnon installe une colonie sur un îlot proche de la côte brésilienne. Afin de communiquer avec les Indiens Tupinambas, il charge Nicolas, jeune catholique français, d’apprendre leur langue et de servir d’intermédiaire. Échappant de justesse au cannibalisme des Indiens grâce à ses talents de chanteur, Nicolas s’intègre peu à peu à la tribu : il vit nu, épouse une Indienne nomée Pépin, et mange même du Portugais ! Il tente surtout de comprendre les coutumes et croyances de ses nouveaux compagnons. Persécutés de toutes parts par des démons réels et imaginaires, les Tupinambas décident de partir en quête de la « Terre sans Mal », pays mythique qui devrait les éloigner définitivement du malheur. Mais la réalité s’avérera beaucoup plus dure pour les Tupinambas, Pépin et Nicolas…
À propos de l'auteur de cet article
Damien Canteau
Damien Canteau est passionné par la bande dessinée depuis une vingtaine d’années. Après avoir organisé des festivals, fondé des fanzines, écrit de nombreux articles, il est toujours à la recherche de petites merveilles qu’il prend plaisir à vous faire découvrir. Il est aussi membre de l'ACBD (Association des Critiques et journalistes de Bande Dessinée). Il est le rédacteur en chef du site Comixtrip.
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