Entre précarité, l’innocence de l’enfance et grosses bêtises, Aroha Travé dévoile Chair à canon, un album nerveux et énergique aux éditions Flblb. Réjouissant !
Trou dans le crâne
Dans un quartier populaire et précaire vivent Yanira, Kilian, José et leur mère. Alors qu’elle doit sortir quelques minutes, la jeune femme au langage virulent laisse ses trois enfants seuls. Elle leur fait des recommandations mais c’était sans compter sur les deux plus grands.
Ils jouent et Kilian s’ouvre le crâne. Il saigne abondamment. Comme leur mère n’est pas joignable, ils décident de demander de l’aide à des voisins, un peu chelous.
ça plane pour moi
Sur le chemin vers l’hôpital, le conducteur décide d’aller un petit joint. Le pauvre Kilian hume alors les vapeurs et plane complètement.
Et après quelques aventures dans l’établissement, la mère de José, Kilian et Yanira arrive pour les récupérer…
De la Chair à canon
En parcourant Chair à canon, on se surprend à aimer cet univers d’Aroha Travé. Alors oui, c’est un peu sale, parfois trash, complétement décalé mais c’est tellement drôle. Sans jamais se moquer de ses personnages, l’autrice catalane brosse le portrait d’un prolétariat de quartier précaire.
Les thèmes ont beau être très lourds et sombres, on rit des aventures des trois enfants. De leur innocence et de leur naïveté, ils se retrouvent dans des situations rocambolesques et ubuesques.
Des dangers qui les entourent
Le quartier, ses habitant.es et sa pauvreté sont là, bruts et sans fard. José, Yanira et Kilian se prennent de plein fouet cette misère sociale. Les dangers sont autour d’eux mais comme des enfants, ils tentent de vivre, jouent sans bien comprendre les conséquences de leurs actes.
« Je crois que les enfants sont toujours de la « chair à canon ». Quand la situation est merdique, c’est eux qui morflent en premier. » [Aroha Travé]
Alors malgré leur jeune âge, ils fument et entrent même dans l’usine abandonnée et y rencontrent le Chamorro, junkie défoncé.
Personnages haut en couleur
Dans Chair à canon, le lecteur est impressionné par la grande justesse de l’environnement dans lequel les personnages évoluent. Pour cela, Aroha Travé a puisé dans ses souvenirs. Le quartier de son album, c’est son quartier d’enfance.
La grande force de Chair à canon, c’est aussi que le récit est porté par les yeux des enfants. Sans jamais être misérabiliste, les courts chapitres d’Aroha Travé donnent un rythme de lecture agréable.
Les enfants et les adultes sont très bien campés. On ne peut pas dire que la mère soit la plus stable des mamans. Elle alterne les câlins et les grosses engueulades. Mais, elle tente d’élever ses enfants comme elle peut, seule. Elle râle mais est néanmoins très protectrice.
Les dialogues sont ciselés, vifs, percutants et drôles. D’ailleurs comme l’explique Thomas Dupuis – traducteur et cofondateur des éditions Flblb – le passage de l’espagnol au français ne fut pas simple. Les insultes et autres expressions liées à la religion étaient difficilement traductibles tel quel.
El Vibora et la Movida
Née en 1985, l’autrice de Terrassa près de Barcelone, a énormément travaillé dans le fanzinat. Cela se ressent dans son dessin et dans ses propos. Son trait vif a fait les beaux jours du magazine El Vibora.
Cette revue fut créée dans le même temps que le mouvement La Movida : contreculture, sexe, drogue and rock’n’roll. On y retrouve Pedro Almodovar, Max, Nazario, Daniel Torres, Jaime Martin ou Paco Roca. Sans oublier des auteurs étrangers comme Robert Crumb, Gilbert Shelton, Daniel Clowes, Loustal, Liberatore, Joost Swarte ou Taniguchi…
Aroha Travé se retrouve pleinement dans cet héritage. Il y a du Crumb et du Shelton dans Chair à canon. Il y a aussi du Carlos Gimenez dans José, Yanira et Kilian, mais également dans leur précarité comme dans Paracuellos.
- Chair à canon
- Autrice : Aroha Travé
- Éditeur : Flblb
- Traducteur : Thomas Dupuis
- Prix : 15 €
- Parution : 17 février 2023
- ISBN : 9782357613485
Résumé de l’éditeur : Vous restez assis là jusqu’à ce que je rentre, vous arrêtez de vous donner des coups de pied dans tous les sens, ça perturbe le José alors qu’il est tout tranquille. Vous regardez les dessins animés ou toutes les conneries que vous voulez, mais vous ne faites pas les zoulous ou ça va chier, OK?? Allez, un bisou à maman?! Alala, qu’est-ce que je vous aime, bordel de merde?!
À propos de l'auteur de cet article
Damien Canteau
Damien Canteau est passionné par la bande dessinée depuis une vingtaine d’années. Après avoir organisé des festivals, fondé des fanzines, écrit de nombreux articles, il est toujours à la recherche de petites merveilles qu’il prend plaisir à vous faire découvrir. Il est aussi membre de l'ACBD (Association des Critiques et journalistes de Bande Dessinée). Il est le rédacteur en chef du site Comixtrip.
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