Cher pays de notre enfance

Le dessinateur Etienne Davodeau et le journaliste Benoît Collombat cosignent une enquête en images consacrée à quelques grandes affaires qui ont secoué la Ve République.

LA FRANCE ET SES ANNÉES DE PLOMB

 Le tout tient en 208 pages noir et blanc très serrées. Une enquête rondement menée autour des « années de plomb » qu’a connues la France entre les années 60 et 80, quand la politique et les pouvoirs de l’époque flirtaient avec le crime et les basses œuvres…

Il s’agit donc du Cher pays de notre enfance, un reportage dessiné conduit par le duo Davodeau/Collombat. Le premier est connu pour son souci du réalisme et les documentaires dessinés Lulu femme nu, Les Ignorants, Les Mauvaises gens et le second, grand reporter à France Inter,  pour ses enquêtes au long cours.

QUAND ON ABAT UN JUGE

Dans cet album mené comme une enquête policière,  les deux auteurs, proches de la cinquantaine, nous rappellent ou nous révèlent ce que furent quelques grandes affaires dans la France gaulliste et giscardienne. On commence avec la mort du juge Renaud, premier magistrat assassiné à Lyon le 3 juillet 1975 . A l’origine de cette sombre histoire, des braquages de banques, notamment par le gang des Lyonnais, braquages dont une partie du butin aurait permis de financer les campagnes électorales du parti gaulliste alors au pouvoir, l’UNR , ancêtre du RPR et de l’UMP…

UN SUICIDE DANS CINQUANTE CENTIMÈTRES D’EAU

 Ce livre, passionnant de bout en bout, est divisé en quatre grands chapitres. Après la mort d’un juge intègre qui ne faisait aucune concession aux politiques comme aux truands, c’est à celle d’un ministre de la république, Robert Boulin, que s’attachent les auteurs. Ministre du travail dans le gouvernement de Raymond Barre, on retrouve son corps sans vie dans un étang de la forêt de Rambouillet le 30 octobre 1979 . Officiellement, Boulin s’est suicidé. On sait aujourd’hui, et tout n’a pas encore été tiré au clair, qu’il s’agissait probablement d’un assassinat…

AVEC LE SAC ET LES MILICES PATRONALES

Derrière la plupart de ces affaires, on trouve le SAC, ce fameux service d’action civique créé au début des années soixante, « Etat occulte dans un Etat officiel « , officine gaulliste qui regroupe truands et barbouzes n’hésitant pas aussi à faire le coup de poing au service du patronat…

Pour arriver à leurs fins, Collombat et Davodeau ont rencontré pendant deux ans des dizaines de témoins. Quarante ans après toutes ces affaires, certain (e)s ont refusé de témoigner, d’autres ont souhaité qu’on ne dessine pas leur vrai visage…

Ce sont des politiques, des journalistes, des syndicalistes, des policiers, des anciens truands ou des proches des victimes. Tous n’ont pas souhaité apparaître à visage découvert ; Tout cela nous est expliqué. Les auteurs nous font vivre leur enquête au fur et à mesure qu’elle se déroule, rendant compte au lecteur de l’avancée de leurs échecs ou de leurs avancées.

Le tout est extrêmement agréable à lire, très pédagogique sans être ennuyeux et offre des clés de lecture intéressantes à tous ceux qui s’intéressent à l a récente histoire politique du pays.

Le livre s’achève avec une postface du juge italien anti-mafia Roberto Scarpinato intitulée Le grand jeu du pouvoir. Ce dernier reprend à son compte une phrase de Balzac : «  Il y a deux Histoires : l’Histoire officielle, menteuse, qu’on enseigne, puis l’Histoire secrète, où sont les véritables causes des événements, une histoire honteuse ».

A la lecture de cette enquête dessinée, on comprendra aisément que cette phrase n’a pas pris une ride.

Article posté le mardi 03 novembre 2015 par Jean-Michel Gouin

  • Cher pays de notre enfance
  • Scénariste : Benoît Collombat
  • Dessinateur : Etienne Davodeau
  • Editeur : Futuropolis
  • Prix : 24 euros
  • Parution : 08 octobre 2015

Résumé de l’éditeur : Dans les années 1970, on tue un juge qui dérange, le premier haut magistrat assassiné depuis la Libération ; des voyous braquent des banques pour financer les campagnes électorales du parti gaulliste ; le pouvoir crée de toutes pièces des milices patronales et des syndicats jaunes pour briser les grèves ; le Service d’Action Civique (le SAC), la milice du parti gaulliste, multiplie les exactions, jusqu’au massacre du chef du SAC marseillais et de toute sa famille à Auriol en 1981. Ce sont, sous la présidence de Pompidou et de Giscard d’Estaing, les « années de plomb » à la française. Ces « années de plomb » pèsent de tout leur poids sur le fonctionnement de notre démocratie. Et si la violence politique a aujourd’hui disparu en France, elle reste encore taboue. Elle a pourtant structuré toute une génération de décideurs politiques, pour certains encore en activité. En nous faisant visiter les archives sur le SAC, enfin ouvertes, en partant à la rencontre des témoins directs des événements de cette époque – députés, journalistes, syndicalistes, magistrats, policiers, ou encore malfrats repentis –, en menant une enquête approfondie et palpitante, Étienne Davodeau et Benoît Collombat nous font pénétrer de plain-pied dans les coulisses sanglantes de ces années troubles. Le premier est né en 1965 ; le second, en 1970. Tous les deux ont grandi dans la France gaulliste de la Ve République, ce cher pays de leur enfance…

UN AUTRE AVIS SUR L'ALBUM

Cher pays de notre enfance est un formidable roman graphique – reportage signé Benoît Collombat et Etienne Davodeau. Fin 2013, les deux auteurs décident d’enquêter sur l’un des assassinats les plus célèbres des années 70 : le juge Renaud, magistrat reconnu et qui instruisait des affaires tournant autour des exactions impunies du SAC, est retrouvé mort devant chez lui en 1975.

LE SAC, UNE MILICE POLITIQUE

Cet excellent album est construit sur les rencontres de témoins, les questions et les réponses de ces personnes proches des dossiers. Au fil de ces entretiens, le duo d’auteurs remontent le fil des affaires qui ont émaillé la 4e et surtout la 5e république. Tout est imbriqué, tout se tient et l’on retrouve souvent les mêmes personnes impliquées : le SAC (Service d’action civique), qui n’a rien de civique comme le souligne Collombat, était la milice gaulliste qui faisait taire les opposants en les intimidant ou les assassinant ; sans que personne n’y trouve rien à redire. Ce groupuscule très puissant, dont Charles Pasqua fut l’un des dirigeants, est mis en cause dans des affaires sordides : la tuerie du chef du SAC marseillais, le massacre de la famille Auriol en 81, l’assassinat de Robert Boulin, ministre du travail du gouvernement Barre et bien sûr celui du juge Renaud. Pas moins de 47 meurtres politiques sous les présidences de De Gaulle et de Giscard d’Estaing sont recensés.

UN PASSIONNANT VOYAGE DANS LES ANNÉES DE PLOMB

A travers la personnalité fantasque, incorruptible et loyal de Renaud et donc de son assassinat, le lecteur découvre un pan entier de l’Histoire de France de 1958 au début des années 80 et la dissolution du SAC (40 ans de manœuvres politiques). Très documenté, ce voyage est très instructif et passionnant, grâce au travail de Benoît Collombat, grand reporter à France Inter et qui connaît parfaitement ces dossiers ; ainsi que la mise en image de Etienne Davodeau. Le talentueux dessinateur propose des planches en noir et blanc au lavis qui restituent admirablement les émotions des témoins.

Cher pays de notre enfance : l’un des meilleurs romans graphiques de l’année 2015. Fort, poignant et instructif. Un modèle du genre !

Damien CANTEAU

À propos de l'auteur de cet article

Jean-Michel Gouin

Passionné par l'écrit, notamment l'histoire, la littérature policière et la bande dessinée, Jean-Michel Gouin est journaliste à Poitiers.

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