Decorum

Désormais guidé par un mélange de technologie et de religion, le monde connu n’a plus de limite. Et au milieu d’enjeux incommensurables régis par des règles inamovibles, une jeune fille tente tout simplement de conserver son humanité. Decorum, de Jonathan Hickman et Mike Huddleston, nous raconte son histoire.

UN SPACE OPERA QUI OBSERVE LE DECORUM.

Il fut un temps où les nombreuses civilisations pouvaient croître en paix, tout en poursuivant un but évident :  acquérir un degré de sophistication suffisant pour intégrer le puissant Empire solaire.

Mais ce temps est révolu.

Car désormais, l’Empire solaire s’est effondré, victime collatérale de la lutte sans merci que se livrent l’Église de la Singularité et l’ordre des Mères Célestes.

Depuis une éternité, les secondes attendent inlassablement la naissance du messie qui leur conférera un pouvoir absolu.

Mais bien entendu, la première tente à tout prix de les en empêcher. D’ailleurs Ro Chi, son grand prêtre, est prêt à tout pour permettre l’avènement de l’Apocalypse. Les mondes jugés renégats en ont fait l’amère expérience en voyant leur population décimée par une peste créée en laboratoire.

Et dans cet univers qui ne connaît plus la pitié, il existe un juge de paix : la Guilde de Vertu. Son bras armé est composé de tueuses d’élite formées par la confrérie de la Sororité de l’Homme. Cette corporation, qui a élevé l’assassinat au rang d’art, loue ses services au plus offrant.

« Il est vrai que le meurtre constitue un dénominateur commun entre toutes les espèces. Tout un chacun peut s’y adonner, et ce, depuis Caïn. Il n’en va pas de même pour l’assassinat, qui relève plutôt de… la vocation. »

DU DECORUM ET UNE TRACE D’HUMANITÉ.

Et au milieu de cet univers sans merci, se trouve une jeune fille, Neha Nori Sood. Bien loin des enjeux qui la dépassent, elle n’aspire qu’à une chose : survivre. Mais pas pour elle, pour sa famille. En effet, tout son argent est englouti dans les loyers qu’elle verse à la Louxor corporation. Cette société peu scrupuleuse a trouvé un moyen infaillible de faire fortune. En effet, elle propose la cryogénisation des malades de la peste en attendant l’administration d’un remède très coûteux. Mais le cynisme n’ayant pas de limite, les loyers des Cryopods Louxor le sont tout autant…

Ainsi, pour maintenir sa famille en vie, Neha exerce le métier de coursier et multiplie les livraisons. Et c’est au cours d’une d’elles qu’elle fait la rencontre d’Imogen Smith-Morley, une assassine dont la courtoisie n’a d’égal que l’efficacité à mettre à mort. Immédiatement, la maîtresse-tueuse décide de prendre la jeune fille sous son aile. Mais le moins que l’on puisse dire, c’est que la tâche s’annonce ardue.

« Alors, justement… Je suis plutôt du genre pacifiste, perso. »

QUAND LA SCIENCE DEVIENT FICTION.

Comme à son habitude, Jonathan Hickman (Black Monday Murders) construit son intrigue au sein d’un univers particulièrement vaste. Les enjeux sont nombreux, c’est indéniable. Et religion, géopolitique, colonialisme, inquisition se mêlent allégrement dans un style qui peut rappeler celui qu’affectionne Jodorowsky. Mais surtout, tous ces éléments sont évoqués dès les premières pages au moyen de cartes, de notices techniques ou encore de textes regorgeant de termes issus d’une science-fiction complexe. Par ailleurs, le choix d’une narration morcelée, qui fait traverser les époques et se focalise sur des personnages divers, ne facilite pas la tâche. Tant et si bien que rapidement le lecteur se retrouve décontenancé face à la somme d’informations qu’il croit devoir assimiler.

TOUT VIENT À POINT À QUI SAIT ATTENDRE.

Mais bien vite, on se rend compte que cette complexité n’était heureusement que de façade. Et ce « décorum », laisse place à une intrigue bien plus simple qu’on aurait pu le croire et même le craindre.

En réalité, lorsqu’on lit Decorum, il ne faut pas se laisser impressionner par les apparences. Et en cela, la conception de l’œuvre rejoint subtilement l’histoire présentée.

Comme en témoigne les nombreuses pointes d’humour, Hickman ne se prend pas au sérieux. Il s’amuse en jonglant avec les personnages, les caractères et les situations, en utilisant un procédé qui touche au but : associer ce qui s’oppose.

L’ALLIANCE DES CONTRAIRES.

Et c’est finalement simple : dans Decorum, tout fonctionne selon ce principe. L’extrême complexité laisse place à une simplicité surprenante. L’avenir de l’humanité fait face au destin d’une jeune héroïne. Le raffinement exquis d’Imogen Smith-Morley s’oppose à la vulgarité mal dégrossie de Ma. La phallocrate Église de la Singularité se trouve aux antipodes de la féminine congrégation des Mères Célestes

Les exemples sont omniprésents et la découverte des deux albums permet de se rendre compte de leur caractère systématique. Tout se mêle et se croise dans un esprit baroque, comme en atteste le soin extrême apporté à l’esthétique qui émane de ce diptyque.

UNE PERLE MERVEILLEUSEMENT IRRÉGULIÈRE.

Il fallait indéniablement une certaine audace pour donner vie aux différentes facettes abordées dans Decorum. Et disons-le sans détour : la prestation de Mike Huddleston est absolument exceptionnelle. Multipliant les styles, il accompagne le ton de la narration et crée des ambiances à couper le souffle. Entre création personnelle et hommage aux maîtres que sont Moebius ou Chris Foss, il éblouit.

Les séquences d’action nous emportent autant que les dialogues nous mettent sous pression. À ce titre, la colorisation joue un rôle primordial. Aquarelle, fusain, noir et blanc, numérique sont utilisés avec une maîtrise impressionnante. Ainsi, certaines pages donnent réellement le frisson. Mais toujours soucieux de trouver le ton juste, l’artiste est aussi capable de conserver un aspect crayonné sur certaines pages, ce qui donne un mystérieux effet d’inachevé. Ces constantes variations donnent un rythme saisissant à la narration. Et on ne sait jamais à quoi on va assister quand on tourne les pages. Mais utilisées à dessein, ces techniques prennent vie dans une symphonie visuelle.

La graphiste Sasha E. Head, qui est en charge du paratexte, vient parfaire ce tableau. Avec beaucoup d’ingéniosité, elle crée des cartes et des notices qui développent un peu plus l’univers imaginé.

 

Decorum, de Jonathan Hickman et Mike Huddleston, est une œuvre absolument hors-norme. À mi-chemin entre innovation et hommages aux maîtres de la science-fiction, elle subjugue avec son esthétique exceptionnelle. Par bien des aspects, elle rappelle le style du mythique Metal Hurlant. Et les éditions Urban Comics ne s’y sont pas trompées : en publiant l’œuvre dans un format augmenté (celui de Le Dernier des Dieux), elles rappellent l’influence S.F. franco-belge du diptyque à couper le souffle qu’est Decorum.

Article posté le mercredi 30 mars 2022 par Victor Benelbaz

Decorum de de Jonathan Hickman et Mike Huddleston (Urban comics)
  • Decorum tome 01
  • Scénariste : Jonathan Hickman
  • Dessinateur : Mike Huddleston
  • Coloriste : Mike Huddleston
  • Design graphique : Sasha E. Head
  • Traducteur : Maxime Le Dain
  • Editeur : Urban
  • Collection : Urban Indies
  • Prix : 21 €
  • Parution : 12 mars 2021
  • ISBN : 9791026821601

Résumé de l’éditeur : S’il est vrai que le meurtre constitue un dénominateur commun entre toutes les espèces, il n’en va pas de même pour l’assassinat, qui relève plutôt de… la vocation.

Decorum de de Jonathan Hickman et Mike Huddleston (Urban comics)
  • Decorum tome 02
  • Scénariste : Jonathan Hickman
  • Dessinateur : Mike Huddleston
  • Coloriste : Mike Huddleston
  • Design graphique : Sasha E. Head
  • Traducteur : Maxime Le Dain
  • Editeur : Urban
  • Collection : Urban Indies
  • Prix : 21 €
  • Parution : 11 mars 2022
  • ISBN : 9791026821373

Résumé de l’éditeur : Fin de série S’il est vrai que le meurtre constitue un dénominateur commun entre toutes les espèces, il n’en va pas de même pour l’assassinat, qui relève plutôt de… la vocation.

À propos de l'auteur de cet article

Victor Benelbaz

Tombé dans la marmite de la bande dessinée depuis tout petit, Victor est un vrai amateur éclairé. Comics ou récits jeunesse sont les deux genres préférés de ce professeur de français.

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