Et à la fin ils meurent

Et si les contes n’étaient pas si gentillets que ceux adaptés par Disney ? Et si derrière le vernis d’une belle morale, ils cachaient de sales secrets ? Lou Lubie convoque les frères Grimm, Charles Perrault, Cendrillon, la Petite sirène ou la Belle aux bois dormants pour les décortiquer dans Et à la fin ils meurent. Drôle et jouissif !

La sale vérité sur les contes de fées

Après Goupil ou face présentant sa bipolarité, La fille dans l’écran mettant en scène la rencontre de deux femmes ou L’homme de la situation racontant les angoisses de Marc, Lou Lubie s’attaque aux contes de fées ! Et elle le fait avec intelligence et humour.

Elle les décortique à travers 248 pages notamment grâce à une solide documentation. Parce que oui, on rigole beaucoup dans Et à la fin ils meurent mais parce que l’autrice a beaucoup travaillé en amont pour livrer tous les secrets de ces histoires populaires. Et la vérité fait mal parce qu’elle est sale !

Tradition orale et tradition écrite

Lou Lubie ne choisit pas la facilité, finalement. L’on pense que les contes sont simples à analyser mais que nenni ! Ils cachent secrets et anecdotes croustillantes. Pour bien comprendre, l’autrice réunionnaise prend des exemples connus, des récits mis à notre disposition par les frères Grimm, Charles Perrault ou Giambattista Basile. Ce dernier, Napolitain (1566 – 1632), fut publié après sa mort. Son recueil Lo cunto de li cunti overo Lo trattenemiento de peccerille servira de base à ses successeurs : le Français (1628 – 1703) et les frères Grimm (Jacob et Wilhelm 1785 à 1863).

Chacun d’entre eux n’ont pas réellement inventé les contes parvenus jusqu’à nous. Ils ont fondé leur intrigues sur celles des histoires orales que l’on se racontait au coin du feu. Mais si actuellement on pense que ces récits sont destinés aux enfants, à l’époque, ils avaient pour cible les adultes. Pas de télé ni d’internet, le plus simple pour passer son temps le soir était de se raconter des histoires. Et elles étaient très adultes ! Voyez la symbolique du loup et du Chaperon rouge (elle a vue le loup !). Soit elles étaient locales soit des personnes tierces (des conteurs) les apportaient dans leur besace dans chaque village.

Entre racisme, patriarcat, violence, sexisme et histoires à dormir debout

Les Grimm, Perrault et Basile ont donc couché sur des feuilles ces récits ancestraux et les ont adapté à leur sauce. Il y a donc parfois des différences et des nuances entre eux malgré la même base d’histoire. Chez ce dernier, les héros sont des adultes et s’adonnent à des trucs d’adultes, le second s’adresse aux enfants en ajoutant des morales et les premiers, linguistes allemands, vont à l’essentiel, sans fioriture juste en décrivant l’action.

Et Lou Lubie de décortiquer avec méthode Cendrillon, Barbe bleue, Raiponce et autres Belle aux bois dormants, en faisant des parallèles judicieux entre les quatre auteurs.

On notera que ces contes de fées ont souvent les mêmes ingrédients et reposent sur une vision très stéréotypés de la famille. Ainsi, souvent ils avaient des idées très arrêtées voire rétrogrades pour nos yeux actuels – racisme, patriarcat, violence, sexisme  – mais très répandues à l’époque.

Bruno Bettelheim en prend aussi pour son grade

Tout cela est fustigé avec malice et parfois férocité pour les plus grands bonheur des lecteurs. Mais Et à la fin ils meurent n’oublie pas non plus d’en mettre une couche sur Bruno Bettelheim, l’auteur de Psychanalyse des contes de fées. Le pédagogue et psychanalyste américain voulait faire comprendre à ses contemporains l’importance de ces récits dans la construction des enfants. Complexe d’Oedipe ou rivalités fraternelles sont au cœur de cet ouvrage essentiel en pédagogie.

Mais Lou Lubie, toujours avec malice, n’hésite pas à faire tomber de son piédestal le grand psychanalyste. Et c’est drôle ! Elle fait de même pour les versions souvent très (trop ?) édulcorées de Walt Disney.

Restent les dessins toujours aussi expressifs de l’autrice et la qualité de son travail sur ces récits si importants dans l’inconscient collectif. Et à la fin ils meurent : des vérités à ne pas dire aux enfants !

Article posté le dimanche 17 octobre 2021 par Damien Canteau

Et à la fin ils meurent de Lou Lubie (Delcourt - 2021)
  • Et à la fin, ils meurent
  • Autrice : Lou Lubie
  • Editeur : Delcourt, Hors collection
  • Prix : 24,95 €
  • Parution : 03 novembre 2021
  • ISBN : 9782413040705

Résumé de l’éditeur : De l’Antiquité à Perrault et Grimm, Lou Lubie présente les versions authentiques et croustillantes des contes, où la fin heureuse s’arrose à la vodka et le prince n’est pas si charmant. À travers ces récits savoureux, l’autrice aborde avec humour une réflexion sur l’éthique des contes : violence, sexisme, racisme… une exploration culturelle et littéraire passionnante !

À propos de l'auteur de cet article

Damien Canteau

Damien Canteau est passionné par la bande dessinée depuis une vingtaine d’années. Après avoir organisé des festivals, fondé des fanzines, écrit de nombreux articles, il est toujours à la recherche de petites merveilles qu’il prend plaisir à vous faire découvrir. Il est aussi membre de l'ACBD (Association des Critiques et journalistes de Bande Dessinée). Il est le rédacteur en chef du site Comixtrip.

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