Evol

Quand trois adolescents se retrouvent avec des super-pouvoirs après leur tentative de suicide, ce n’est pas seulement leur vie qui bascule, mais bien toute la société. Dans Evol, un récit critique entre justice et adolescence, Atsushi Kaneko fait la part belle aux histoires de super-héros… 

Un monde de héros

Dans un monde moderne en tout point semblable au nôtre, les personnes ayant des pouvoirs surnaturels sont au service de la justice. On les appelle « Héros« . Ils sont rares. Leurs pouvoirs se transmettent génération après génération. Ils sont au service des gouvernements dans le but de servir une cause juste.

Là où se déroule cette histoire, Lighting Volt et Thunder Girl font régner l’ordre. Leur pouvoir d’électricité peut provoquer du plus petit des dysfonctionnements électroniques à la désintégration pure et simple d’un corps de chair et de sang. Ils sont tous deux élevés au rang d’icône pour le grand public. Ce sont des héros au discours très affirmé sur la séparation nette entre le Bien et le Mal. Et quoi qu’il arrive, ils représentent le Bien.

Mais de quel Bien parle-t-on lorsque les ordres viennent d’une administration corrompue ?

Super pouvoir à la demande

Nozomi, Sakura et Akari viennent du même collège. Pourtant, lorsqu’ils se retrouvent tous les trois dans un hôpital spécialisé après leur tentative de suicide, ils se remarquent pour la première fois. Sakura était populaire, selon ses propres dires, et réfute totalement avoir tenté de se tuer. Akari est discrète, fille de commissaire, elle fait profil bas. Mais ce qui la terrifie plus que tout, c’est de rentrer chez elle. Nozomi était un pro de l’école buissonnière, il fréquentait un skatepark.

C’est isolé dans sa chambre sécurisée que Nozomi découvre son nouveau pouvoir. L’adolescent est capable de faire un trou de cinq centimètres dans n’importe quoi du bout de l’index. Entraîné dans le plan d’évasion de Sakura, il découvre qu’Akari est capable de produire une flammèche de cinq centimètres au creux de sa paume et que Sakura peut voler à cinq centimètres du sol. Or, aucun d’eux n’a de lien de parenté avec un super-héros.  D’autant plus que leur pouvoir apparaît après leur tentative de suicide ratée.

Evol : « We are Evil »

Au bout du rouleau pour de mystérieuses raisons, les trois adolescents se découvrent plus de points communs qu’il n’y paraît. Dans une dégringolade dans l’opprobre de la société, Atsushi Kaneko raconte trois adolescents épuisés par leur condition, les violences subies et l’indifférence générale. Que se passe-t-il quand des enfants rejetés et opprimés obtiennent tout à coup des outils, même médiocres, pour rendre les coups ? 

Ils ne deviennent pas des héros. Ils prennent leur revanche. 

Sous des airs de fugue enfantine, Nozomi, Akari et Sakura se révoltent de toutes leurs forces. Tous trois sont un véritable condensé de colère. Ils ne demandent qu’une chose : tout détruire.

Après avoir déclenché un incendie dans l’ancienne boutique du père de Sakura, les adolescents écrivent le premier tag, d’une longue, très longue suite :

EVOL

Par là, Nozomi veut revendiquer ses actes malveillants, mais avec une faute d’orthographe. Puisque « Mal » s’écrit « Evil » en anglais, et non « Evol« . Drôle de coïncidence pour des enfants terriblement en manque d’amour (« Love« ).

Le Mal du héros

Atsushi Kaneko s’empare d’une thématique chère aux auteurs de comics, dont les codes balisés depuis près de 90 ans, connaissent une vague de renouvellement en phase avec les préoccupations sociales contemporaines. Déjà malmené par des séries comme The Boys de Garth Ennis – publié à partir de 2006 et remis aux goût du jour par une série télévisé en 2019 – et My Hero Academia de Kohei Horikoshi à partir de 2014, la figure du héros connaît une véritable généralisation de l’archétype de l’anti-héros. Si bien que l’anti-héros n’est plus un modèle de personnage, mais le ton qui produit l’ambiance globale d’une critique politique et sociale.

Qu’en est-il de la santé mentale d’individus possédant effectivement des pouvoirs de destruction massive au creux de leur main ? Qu’advient-il d’une société qui laisse reposer sa sécurité intérieure et extérieure sur des individus et non des systèmes réglementés ? La figure du héros repose sur sa morale, mais la morale résulte d’une éducation. Qu’advient-il alors des laissés-pour-compte ? Qu’advient-il enfin, aux héros dont l’éducation repose sur un idéal eugéniste ?

Dans un 21ème siècle éraflé par les injustices sociales de plus en plus criantes, l’iconique figure du héros – incarnation de la morale du 20ème siècle – connaît une inévitable crise existentielle. C’est dans ce cadre qu’Evol prend racine.

 L’auteur révolté 

Atsushi Kaneko est un adepte de la critique sociale. À travers ses histoires trash, survoltées, presque légères dans leur régime de violence, l’auteur raconte la disgrâce, la fatalité de naître en bas de l’échelle sociale, la construction des monstres humains et leur lutte de survie. Dans Bambi et Search and Destroy (réécriture d’après Dororo d’Osamu Tezuka), l’auteur nous embarque dans une vendetta personnelle contre des sociétés hypocrites et pétries d’arrogance. Evol ne fait pas exception, et se rapproche encore davantage du lecteur en prenant comme point de départ trois adolescents comme les autres.

Son style dessin proche de la ligne claire, version noir et blanc, renforce le manichéisme de son histoire. Tout autant que son côté comics « à la japonaise ». Evol est une nouvelle œuvre d’Atsushi Kaneko à mettre du feu dans les veines, de la colère dans la tête en bon défouloir littéraire. Mais gare à vous, vous n’êtes pas à l’abri de devoir beaucoup – beaucoup – réfléchir à l’issue de votre lecture…

Article posté le dimanche 04 février 2024 par Marie Lonni

Evol - Atsushi Kaneko - Delcourt/Tonkam
  • EVOL
  • Auteur : Atsushi Kaneko
  • Editeur : Delcourt/Tonkam
  • Traducteur : Sébastien Ludmann
  • Prix : 19,99€
  • Pagination : 266
  • Parution : 12 avril 2023
  • ISBN : 9782413048176

Résumé de l’éditeur : Ce jour-là, la vie de deux jeunes filles et d’un garçon déçus de ce monde aurait dû s’achever, mais par malchance, leur tentative de mettre fin à leur vie a échoué : ils ont survécu. Lorsqu’ils reprennent connaissance à l’hôpital, ils se découvrent dotés d’étranges « pouvoirs » ; des pouvoirs qui, en principe, ne se transmettent que par le sang chez les alliés de la justice que l’on appelle « héros »…

À propos de l'auteur de cet article

Marie Lonni

"C'est fou ce qu'on peut raconter avec un dessin". Voilà comment les arts graphiques ont englouti Marie. Depuis, elle revient de temps en temps nous parler de ses lectures, surtout quand ils viennent du pays du soleil levant. En espérant vous faire découvrir des petites pépites à savourer ou à dévorer tout cru !

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