Garçons manqués

Presque 20 ans pour que l’auteur James parvienne à livrer enfin l’histoire qu’il avait en tête, dans le propos comme dans le dessin. La lecture de Garçons manqués, publié par Fluide Glacial, est-elle à la hauteur de ce processus créatif ? C’est ce que vous allez découvrir.

GARÇONS MANQUÉS : LE STRIP DES LECTEURS ET LECTRICES DÉCONSTRUITS

Malcolm et Charlotte sont deux gamins. Ils se croisent à l’occasion au parc mais ne se parlent pas tellement. Malcolm est planté dans les livres et Charlotte est plus du genre casse-cou. Ils n’ont pas grand-chose à se dire, mais leurs parents vont les obliger à se voir régulièrement… Et ça les soule déjà !

Deux bandeaux, six cases. James vient jouer sur les platebandes d’un genre peu apprécié en France, pourtant porté par de véritables monstres sacrés du 9e Art mondial. Ce défi, l’auteur en parle dans les remerciements de fin d’album. Il a douté, hésité, s’est perdu, avant de parvenir au livre que voici. Alors que l’artiste porte une collection d’humour (Pataquès, chez Delcourt), alors que ses livres sont de véritables réussites, la situation en devient touchante.

Mais ça, c’est une jolie histoire, une belle communication. Alors, ça a quoi dans les tripes, Garçons manqués ?

TENDRESSE ET POLITIQUE

Donc, concrètement, ça consiste en quoi cet album ?

Malcolm et Charlotte sont deux gamins qui ne collent pas aux clichés de genre. Ils ne rentrent pas dans les cases habituelles auxquelles la société peut assigner des enfants. Malcolm est écrit avec des codes plus féminins, Charlotte (alias Charlie), des codes plus masculins. Ils sont surtout écrits avec des convictions fortes sur ces sujets. Des convictions en apparence antagonistes, ou au contraire totalement compatibles, pour peu qu’ils veuillent bien le voir ?

James joue avec un artifice familier. Il place des paroles d’adultes dans des corps d’enfants. Le décalage entre l’insouciance théorique de l’enfance et la profondeur des réflexions un peu désespérées, cela fonctionne souvent. James réussi son premier pari. Il livre un album à la fois intelligent et touchant. Une histoire qui traite autant des travers de la société que des ressentis de deux gamins aux familles un peu perturbées.

T’ES WOKE OU T’ES PAS WOKE ?

Ce qu’il y a de particulièrement intéressant au fil de ces pages, c’est la façon dont James vient interroger les engagements politiques de genre. Il fait assez peu de doute que l’auteur soit plus Woke que Réactionnaire. Néanmoins, comme un poil à gratter, il vient grattouiller les valeurs positives du wokisme, pour interroger leurs tenants sur leurs propres contradictions. Car oui, l’être humain est pétri de contradiction, quelles que soient ses valeurs philosophiques. Et il n’est jamais mauvais de se questionner sur ses propres systèmes de représentations. C’est cela qui permet de progresser et de ne pas se fossiliser.

GARÇONS MANQUÉS : UN GRAPHISME OLD-SCHOOL

Parmi les défis évoqués par James en conclusion de l’album, il y avait la question de la représentation graphique. Quel dessin adopter pour ces personnages, d’autant plus lorsque l’on est un artiste polymorphe tel que lui ?

C’est sans doute par la colorimétrie que la solution est venue : noir, blanc, et orange, avec un effet de trames. Ce faisant, l’artiste s’est encore plus coulé dans l’imaginaire du comic-strip. Ses personnages évoluent dans un univers qui aurait pu être celui d’un journal du début du XXe siècle. Et du côté du trait, c’est dans la simplicité et la caricature que James a puisé. Ses personnages en deviennent très expressifs, mais surtout universels. En faisant fi du réalisme, l’artiste incite chaque lecteur et lectrice de placer ses propres images. Il nous invite à nous connecter aux personnages et d’y mettre un peu de nous à l’intérieur. Ce qui est idéal pour permettre aux lecteurs d’adhérer émotionnellement à leur lecture.

LE DÉFAUT DE GARÇONS MANQUÉS

Terminons sur ce qui relève finalement du seul et plus gros défaut de ce livre. Il est trop court !
Seulement 56 pages, soit une centaine de gags. Avec, petit tour de force, une forme de conclusion qui nous est livrée. Comment cela se serait terminé ? Hors de question ! Malcolm et Charlie DOIVENT revenir ! Nous avons encore tant d’amour à leur donner, à ces deux gamins décalés !

Article posté le vendredi 12 avril 2024 par Yaneck Chareyre

Garçons Manqués, James, Fluide Glacial
  • Garçons manqués
  • Auteur : James
  • Éditeur : Fluide Glacial
  • Date de publication : 03 avril 2024
  • Nombre de pages : 56
  • Prix : 13.90€
  • ISBN : 9791038206816

Résumé BD Fugue : Malcolm et Charlie détestent les conventions et faire tout comme tout le monde. Un duo de garçons manqués à ne pas manquer ! Malcolm ne se sent pas comme les autres garçons, et Charlie affirme ne pas être une fille. Ces deux garçons manqués se rencontrent par hasard dans un parc et vont faire connaissance au fil des pages et des saisons. James parvient à nous attendrir et à nous faire rire en nous racontant cette rencontre et la manière dont leur relation évolue. Que se passera-t-il quand leurs parents se mettront en couple ? De multiples sujets d’actualité sont évoqués à travers le regard de deux enfants étonnamment lucides sur le monde dans lequel ils grandissent : le genre, le patriarcat, la retraite, la guerre, le réchauffement climatique… La maturité de ces enfants et leurs questionnements sur la vie crée un décalage humoristique irrésistible.

À propos de l'auteur de cet article

Yaneck Chareyre

Journaliste , critique et essayiste BD depuis 2006.

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